mardi 16 février 2016

CHAP. 6 - PLANQUE TON BLÉ







Je songe à partir quelque temps en vacances, mais avant, faut planquer le fric, je ne peux pas le conserver sous mon lit éternellement. 




Je décide d’ouvrir un compte numéroté dans une banque privée genevoise, les plus sûres et les plus discrètes de la planète finance.



Association des banquiers privés genevois.
En tant  que banquiers privés, nous avons une responsabilité illimitée garantie par nos propres biens et sommes engagés et impliqués dans toute action menée au sein de la banque. Ça, ça donne confiance. S’ils perdent tout, je perds tout. 
En 5 siècles, c’est encore jamais arrivé.


Pénétrer dans une de ces célèbres banques de la rue de la Corraterie, pour un néophyte, est une expérience étonnante.
Imposante porte d’entrée en fer forgé noir, vitres sécurisées, poignées en laiton poli et une minuscule sonnette sur le côté.
Je sonne, rien ne se passe... alors quoi, ils ne veulent pas de mon fric ? Ah, enfin... la lourde porte s’ouvre lentement, je pénètre dans le coffre fort. 
Personne… je reste planté là, serrant contre moi ma mallette en cuir naturel, achetée pour la circonstance.
Clac... la porte se referme. Je suis pris au piège.
Ce qui frappe c’est le silence, épais tapis dans le hall d’entrée, accrochés aux murs des tableaux de grands maîtres dignes d’un musée. Entre chaque tableau, un bras en bronze doré style Empire, tenant une torchère répandant une lumière diffuse.
Un huissier austère, costume sombre, chemise blanche et cravate unie bleue, surgit de je ne sais d’où...!
– Bonjour, Monsieur, nous sommes à votre disposition, que pouvons-nous pour vous.
– Je désire ouvrir un compte et effectuer un versement.
– Veuillez me suivre, je vous prie.
Un instant pris de panique, je me reprends, saisis ma mallette en cuir par la poignée, et marche d’un pas assuré.
Là je me rappelle une phrase de mon père, à qui j’avais demandé conseil pour ouvrir un compte – Attention, l’argent que tu déposes à la banque, n’est plus à toi, dorénavant, il appartient à la banque, ne l’oublie jamais –.
Tant pis, je suis l’homme en noir. Nous montons un escalier assez large pour laisser passer un bataillon en ordre de bataille. Rampe en noyer poli par les ans, marches moquettées de pourpre, fixée par une barre en laiton.
Nous arrivons enfin dans un couloir aux murs également recouverts de tableaux, j’ai juste le temps de reconnaître la rade de Genève peint par Ferdinand Hodler, un des plus célèbres peintres suisses. 
– Si vous voulez entrer, Monsieur  Gérard Martin va vous recevoir.
Le monsieur austère s’efface, j’entre ma mallette à la main en prenant un air désinvolte. – Bonjour, je suis Monsieur Martin, associé et fondé de pouvoir de notre banque, asseyez-vous.
Je disparais aussitôt dans un profond fauteuil club en cuir fauve.                                
– Je vous serre un verre… whisky... vodka ? 
– Je veux bien, oui, merci, un whisky.
Verre et carafe en cristal taillé, breuvage ambré d’au moins 16 ans d’âge, la grande classe quoi...!
– À notre future collaboration Monsieur...?
– Blaise Le Wenk.
– Notre banque est à votre service, monsieur Le Wenk.
– Voilà, je voudrais ouvrir un compte numéroté et verser l’argent qui se trouve là… dis-je en tapotant sur ma mallette. 
– Aucun problème. Suit une discussion technique sur l’usage que je désire pour mon argent. - intérêts, long ou court terme, investissement, garantie, confiance, etc.
– Très bien, je fais venir un de mes collaborateurs qui va se charger de votre compte. 
Surgit silencieusement un personnage grassouillet, chauve et souriant, à qui on confierait en toute quiétude sa fortune.
– Vous pouvez lui remettre votre mallette.
– Charles, veuillez ouvrir un compte pour monsieur Le Wenk, déposer l’argent qui se trouve dans cette valise et apportez-moi les papiers pour signature, lorsque vous aurez terminé.
– Un petit 1/4 d’heure de patience… je vous serre un autre verre ? Vous êtes de Genève ? Oui... bien et quel métier pratiquez-vous ? Antiquaire ! voilà un beau métier. Vous savez qu’aucune information vous concernant ne sortira jamais de notre établissement bancaire.
– Ah voilà les papiers, je les signe devant vous, contrôlez et signez là en bas de la page. Selon votre directive, aucune correspondance ne sera envoyée à votre adresse, passez me voir régulièrement pour faire le point. Monsieur Le Wenk au revoir et merci de votre confiance.
Ah... encore une dernière chose, la plus importante, votre N° de compte, ne l’oubliez pas si vous voulez récupérer votre dépôt un jour...
Monsieur le fondé de pouvoir de la banque « Planque & Trésor » me glisse alors une carte portant mes initiales B.L et un simple numéro à 12 chiffres.
Je ressors abasourdi, sonné par les deux whiskies et l’étrange atmosphère de cette banque. Je suis quand même soulagé d’avoir mis mon argent en sécurité, quoique je me demande si je le reverrai. J’ai même pas eu besoin de mentir sur sa provenance, ils ne mon rien demandé.
J’ai versé 155.000 fr. le montant total que j’ai fini par compter, en plusieurs fois, prudence… prudence. J’ai conservé 10.000 fr. pour mes frais de voyage que je répartis dans une ceinture en toile, spécialement prévue pour cet usage, sous les vêtements à même la peau. Faudrait pas qu’on me pique mon pognon tout de même !!

Direction Cap Nord 
C’est le printemps, tout le monde descend dans le Sud.
Moi, je décide de partir dans le Nord, le Grand Nord. J’ai envie d’aller voir le soleil de minuit au Cap Nord en Norvège.
Au Cap Nord, le soleil de minuit est visible du 13 mai au 29 juillet. Du 18 novembre au 23 janvier, le soleil ne se lève pas, c’est la nuit polaire. Le jour se limite à quelques heures d’une lueur blafarde.
Je prévois 3 semaines de voyage. Je me débrouille seul sans passer par une agence de voyages qui vous demande trop de renseignements privés, prudence… prudence.
Je prépare mon itinéraire sur une vieille carte de l’Europe.
Train jusqu’à Copenhague et de là bateau pour Bergen d’où un autre bateau part vers le nord tout au long de la côte norvégienne et les fjords de l’océan Atlantique avec arrêt au Cap Nord à Honningsvåg, idem pour le retour.
Deux jours plus tard, je prends un billet de train pour Hambourg, but de ma première étape. En première classe, j’ai les moyens. 20 heures de train à travers l’Allemagne de l’Ouest, encore dévastée par les bombardements alliés. 
Arrivée à Hambourg en début de matinée, il n’y a pas de gare, juste un immense tas de ferraille tordue où s’agitent des centaines d’ouvriers armés de chalumeaux qui découpent les poutrelles d’acier de ce qui fut la Gare Centrale.
Je descends sur un quai improvisé, en suivant la foule des passagers qui traverse les voies et se dirige vers un check point gardé par des G.I. de la military-police US.
Passeport, visa et titre de transport… please. L’un d’eux me fait signe d’entrer dans un bureau improvisé. 
– Interrogatoire en anglais américain :
Heureusement je parle mal l’allemand, mais pas mieux l’anglais.
– Monsieur Blaise Le Wenk !
– Yes.
– Nationalité Switzerland ! de Genève…
– Vous allez où ?
– À Bergen en Norvège.
– Pourquoi ?
– Touriste, je vais visiter Le Cap Nord.
– Ouvrez ce sac.
Je me déplace toujours avec un sac de l’armée U.S. acheté à un soldat américain en séjour en Suisse. Le sac est vidé sans ménagement sur la table, examiné avec précaution, comme s’il allait leur exploser a la figure.
– OK… remballez.
Discussion animée avec un petit chef. Ils n’ont pas du voir souvent des touristes dans le coin. 
– OKeee… vous ne pouvez pas sortir de la gare sans visa, attendez ici le train pour Copenhague, vous pouvez prendre un billet dans le bâtiment en bois qui se trouve sur le quai 8.
Pan… un grand coup de tampon. 
– Tenez votre passeport. Bon voyage.
De là où je suis, je peux voir ce qui fut la grande ville portuaire allemande, des ruines à perte de vue, des centaines de Caterpillars jaunes déblaient des montagnes de briques rouges et les déversent dans des camions militaires américains qui se dirigent en longues files vers l’ancien port, qu’ils comblent petit à petit avec les gravas. Déjà 6 ans que la guerre est terminée et il reste encore au moins la moitié de la ville à déblayer. Impressionnant.
Après avoir pris un billet pour le Danemark sur lequel est indiqué juste le quai de départ, mais pas l’horaire. J’attends jusqu’au soir mon train en me nourrissant de saucisses et de pain vendus par des marchands ambulants qui déambulent sur les quais.
À 22 heures mon train arrive et je peux continuer le voyage pour Copenhague où je n’arrive que le lendemain matin, après de nombreux arrêts en rase campagne, les ponts qui on tous été détruits, ne sont encore qu’à une seule voie. Heureusement, la gare et Copenhague sont intacts, cela me rassure pour la suite du périple. La ville grouille de monde, peu de voitures, mais des milliers de vélos et des centaines de bateaux naviguent sur les canaux.
Bien que je ne comprenne pas le Danois, je décide de rester 2 jours pour visiter. Je me prends une chambre dans un hôtel près du port, d’où je redescends immédiatement pour aller me restaurer convenablement dans un restaurant du quartier. Pas la peine de regarder les menus rédigés en Danois, langue totalement incompréhensible pour moi.
Surprise… sur la devanture d’un petit bistro propre et accueillant, quelques photos de plats traditionnels :

Les célèbres smørrebrød garnis :
de crevettes des fjords, 
de saumon fumé, 
de hareng mariné, 
de radis et de ciboulette, 
de filets d’anguille aux œufs brouillés, 
de tranches de rôti de porc au chou rouge, aux pommes et aux pruneaux, 
de pâté de foie accompagné de lamelles de concombre au vinaigre ou de cornichons. 
Je commande tout l’assortiment. Depuis mon départ de Genève, je n’ai avalé que quelques sandwiches. J’ai la dalle.
Le repas terminé, je vais déambuler sur le port à la recherche d’une agence de voyages ou d’un bateau en partance pour Bergen en Norvège, d’où partent les navires côtiers pour le Cap Nord.





En passant je salue l’emblème de la capitale du Danemark, la célèbre « Petite Sirène » des contes d’Andersen de mon enfance.



Son histoire commence lors d’une représentation en 1909 d’un ballet narrant le conte bien connu de Hans Christian Andersen. Le brasseur Karl Jacobsen, célèbre fondateur des brasseries Carlsberg, y était présent et fut tellement ému par l’histoire tragique de la Petite Sirène, qu’il décida de commander une statue en son honneur. Le sculpteur Edvard Eriksen, chargé de l’ouvrage, pris en modèle sa femme Eline Eriksen pour le corps de la statue. Quant à la tête, il choisit de représenter celle de la femme qui avait interprêté la Petite Sirène, la danseuse Ellen Price.




Finalement, pas d’agence et pas de billet touriste, mais je trouve un cargo mixte qui part le lendemain pour Bergen.
Copenhague - Bergen = 1000 km. Soit environ 20 heures de navigation.
J’ai loué une cabine 2 places, et je voyage donc avec un étudiant Norvégien sympa… Olaf, de retour d’un tour d’Europe. Nous mangeons et surtout buvons l’akvavit avec l’équipage, des durs à cuire retraités de la marine militaire norvégienne. Lever son verre et dire skâl sera ma première initiation aux coutumes norvégiennes, par chance la mer est calme. Le froid et le vent sont terribles, pas question de se promener sur le pont.
Arrivée dans le magnifique port de Bergen, entouré de bâtiments aux façades multicolores.


Brrrr… pas très marrant, encore de nombreuses ruines, Bergen était le port d’attache pour l’atlantique Nord des terribles sous-marins allemands U-Boot. À la fin de la guerre, plus de 190 sous-marins étaient passés par les abris de Bergen. Ces abris en béton armé, de plusieurs mètres d’épaisseur, sont en cours de démolition, mais il faudra encore beaucoup de temps avant que ce port retrouve sa quiétude et attire des touristes.
Fin mars, glace, neige et pas âme qui vive dans les rues. Heureusement il y a Olaf mon compagnon de cabine qui habite dans le coin.
– J’ai un cousin qui tient une pension, c’est pour les marins lorsqu’il doivent attendre leurs embarquements. J’espère que tu as l’estomac solide.
– Aïe… il est déjà pas mal tapissé à l’aquavit du voyage depuis Copenhague.
– C’est juste pour 2 jours, le MS Lofoten, ton bateau pour le Cap Nord, sera à quai jeudi matin et il repartira dans la soirée. Tu prends ton billet directement sur le bateau, il n’y a pas beaucoup de passagers, une centaine tout au plus. Hallö, (au revoir) comment c’est ton nom déjà, à oui… Basile… content d’avoir fait ta connaissance Basile.
– Ha det, takk… Olaf. (au revoir et merci)

SUNNA : 
Le voyage de la compagnie Hurtigruten commence à Bergen, d’où le bateau part vers le Nord tout au long de la côte norvégienne de l’océan atlantique. 

l’Express Côtier (Hurtigruten) exploite cette ligne depuis 120 ans, et dessert les 2700 kilomètres de la côte norvégienne entre Bergen, la deuxième ville du pays, et Kirkenes, à tout juste trois kilomètres de la frontière russe. Le service ravitaille 34 ports, 6 jours de navigation sont nécessaire pour relier Cap Nord et autant pour en revenir.


Cette expérience offre une extraordinaire vue sur les fjords norvégiens, jusqu’au Cap Nord et à Honningsvåg, situé à 71 degrés de latitude nord, à 1800 kilomètres d’Oslo, la capitale du pays. À cette latitude, le jour polaire dure deux mois et demi chaque été. Au Cap Nord, le soleil de minuit est visible du 13 mai au 29 juillet. Du 18 novembre au 23 janvier, le soleil ne se lève pas, c’est la nuit polaire. Le jour se limite à quelques heures d’une lueur blafarde.
L’océan est libre de glace toute l’année, sur cette côte, exceptionnellement longue, le climat est relativement égal. Ce climat océanique se caractérise par des températures étonnamment douces l’hiver et fraîches l’été. L’explication ? La présence du Gulf Stream, qui remonte jusqu’au niveau du Cap Nord. Voilà pourquoi, en hiver, la mer de Norvège ne gèle jamais, ce qui permet aux navires d’assurer leur mission quotidienne en toute saison.
Le mois d’avril est merveilleux. Au sud, c’est déjà le printemps et au nord, c’est encore l’hiver.
Pendant les 8 jours que dure le voyage, je communique peu avec les autres voyageurs, la langue norvégienne étant incompréhensible pour moi. 
J’ai quand même réussi à faire la connaissance d’une passagère particulière. Elle reste des heures immobile à la proue du bateau dans les embruns glacés. Elle est habillée étrangement, un genre de déguisement coloré. Je tente une approche prudente, et reste 15 minutes à ces côtés accrochés à la barrière de proue, tétanisé par le froid. 
J’essaie de communiquer par signe, ce qui donne…
– Vous venir boire un café avec moi ?
– Ich spreche deutsch.
– Ya !
– Möchen sie einen Kaffee mit mir trinken. Mir ist kalt.
– Ya, ya… danke.
Nous nous rendons au carré, unique lieu convivial bien chauffé ou une énorme bouilloire pleine de café est toujours à disposition de l’équipage et des passagers.
Nous sommes les seuls occupants, nous nous installons autour d’une grande table, je vais chercher 2 gobelets émaillés et ébréchés suspendus à des crochets au-dessus de la cafetière, les remplis de café brûlant et les dépose sur la table.
– Bitte..
– Hello, meine name ist Blaise
– Lech heisse… Sunna.
Les présentations faites, la glace rompue, je continue en français pour vous lecteurs.
Sunna vient du Finnmark, la Laponie Norvégienne et elle parle le Saami.
Elle habite Kirkenes, une ville qui compte près de 4000 habitants. La dernière avant la frontière russe qui se trouve a moins de 60 km. C’est le terminus de notre bateau le MS Lofoten avant qu’il ne redescende vers Bergen.
À la fin de la guerre, les troupes allemandes ont utilisé la technique de la terre brûlée dans le Finnmark pour stopper la progression de l’armée rouge. Ils ont par ailleurs exilé de force la moitié de la population du comté dans le reste de la Norvège. Ceux qui ne purent s’enfuir passèrent l’hiver dans des grottes ou sur des bateaux. Peu d’habitations ont survécu à la guerre et de nombreuses personnes ont été évacuées de force. Les troupes soviétiques ne sont toutefois jamais allées plus loin que Kirkenes qu’ils ont libéré le 25 octobre 1944. Il s’agit d’ailleurs de la seule ville qui a été épargnée par les Allemands, ces derniers n’ayant pas eu le temps de la détruire avant l’arrivée des Soviétiques.
Sunna retourne pour la première fois dans son pays depuis la guerre. Elle s’était réfugiée à Oslo, elle doit avoir autour des 25 ans. J’ai beau essayer de l’imaginer, mais c’est difficile de voir à quoi elle ressemble réellement sous son habillement traditionnel, fait de grosse laine et de fourrure. 
Son visage respire la santé, ces yeux légèrement bridés et des pommettes saillantes dénotent ses origines lapones.
Je la drague effrontément, agrémenter ce voyage avec cette jolie étrangère me plairait beaucoup et je n’ai que peu de temps pour la séduire. Heureusement, elle n’a pas l’air trop farouche.
Nous passons le restant de la journée ensemble à baragouiner en allemand et à faire des gestes plus expressifs. Après le repas du soir, je vais acheter une bouteille d’aquavit pour faciliter les échanges !


Sunna ne fait pas de difficulté pour me suivre dans ma cabine, où après quelques skâl d’aquavit cul-sec, je tente une approche plus intime. Pour l’instant seule sa bouche est accessible, je m’en occupe goulûment un bon moment, mais pour une suite en profondeur cela reste inaccessible, une Laponne en habit traditionnel ne s’effeuille pas aussi facilement qu’une robe de soirée. Il faut certainement un mode d’emploi. (voir photo, non ce n’est pas Sunna)


Patience… ne brusquons rien, mais dans ces instants de fébrilité sexuelle, cela reste un exercice insupportable, 
– Vous êtes d’accord… non ?
– Sunna… Sunna, ausgezogen sie bitte (déshabille-toi)
Enfin, elle se décide, lentement, cela a l’air laborieux. En Laponie il ne connaissent pas encore les pressions ni la fermeture éclair, semble-t-il. Sunna plie soigneusement ces vêtements un à un sur une chaise. 
Je bous intérieurement. Lorsqu’elle atteint enfin ses sous-vêtements qui heureusement sont plus frivoles que le reste, me voilà rassuré sur sa plastique qui est magnifique, un corps de sirène au galbe parfait avec une peau d’une blancheur de porcelaine qui n’a certainement jamais vu le soleil. 
Je m’exécute à mon tour, ce qui prend assurément moins de temps, une fois mon nu intégral assuré, mon membre impatient dressé, je m’approche de Sunna et lui enlève délicatement son soutien-gorge, elle termine la manœuvre par le bas elle-même, et nous pressons nos deux corps, qui tombent en travers du lit, emportés dans le feu de l’amour.
C’est là que la tornade nordique aussi frénétique qu’imprévue se déclenche. 
La nymphe sortie de sa chrysalide déploie ses ailes et fond sur moi dans toute sa sensualité érotique.
Ne pouvant plus parler, je m’arrête là dans cette sublime narration, et puis quand même… c’est ma vie privée.
Nous passerons des instants inoubliables durant les quatre jours et les quatre nuits suivantes, ne quittant notre cabine que lorsque nous sentons les vibrations du navire diminuer, ce qui signale un proche accotement dans un des ports de la côte.
Main dans la main, nous allons à l’endroit de notre première rencontre debout à l’avant du bateau, sans parler, les yeux dans les yeux, profitant de ces moments enchanteurs.
Nous savons qu’il va falloir nous quitter prochainement, Sunna continue le voyage jusqu’à sa ville natale de Kirkenes.
Moi, je vais descendre à Honningsvåg pour relier Le Cap Nord.
Nous n’abordons jamais ce sujet trop émotionnel. Cela s’est passé, cela s’est terminé, fin de l’histoire, restent ces souvenirs inoubliables, indélébiles à tout jamais.
Adieu Sunna petite fille de la toundra de ce bout du monde, je ne t’oublierai pas, je ne reviendrai probablement jamais, tu es et tu seras pour toujours dans mon cœur.
De Honningsvåg au Cap Nord, il faut prendre un bus ou louer un taxi pour parcourir les 30 km. de route qui nous sépare du Cap. Il n’y a pas de bus pour la saison en ce moment je prends donc un taxi.
Arrivés au sommet de la falaise de 310 mètres, je suis seul, à part le chauffeur qui boit son café bien au chaud dans sa voiture.



Je reste là, face au vent qui souffle en rafales glaciales.
J’imagine au-delà de l’horizon, l’Islande, le Groenland et encore plus loin le Canada. Que ce monde grandiose est immense presque sans fin.
Je ne regrette pas ce long voyage pour ressentir ce sentiment d’infini qui m’envahit à cet instant.
Coin… coin… non, ce n’est pas un canard, mais le klaxon poussif du chauffeur qui me fait signe que le spectacle a assez duré. Pourtant c’est moi qui paye. Quel con… rentrons.

« Un loup pour rien ». 
Je ne compte plus les escales dans les ports au fond des fjords, je ne me rappelle plus aucun des noms des villes aux noms imprononçables pour un français. Il ne me reste juste le souvenir de la puissance de la nature qui a construit ces paysages titanesques, ces chutes d’eau tombant dans la mer de plusieurs centaines de mètres, du combat permanent des forces océaniques et terrestres qui s’affrontent en permanence, contrastant avec les ridicules petites embarcations des hommes qui s’efforcent de les maîtriser à leur avantage.
C’est sur le chemin du retour que j’ai pu en mesurer la terrible violence. Dès le premier jour, le navire est pris dans une tempête à la hauteur de la ville de Tromsö  qu’il tente en vain de rejoindre pour s’y abriter.
Des vagues de 20 mètres déferlent en permanence. Nous sommes encore très au nord, et de la glace commence à s’accumuler sur le pont et les infrastructures rendent le navire moins maniable. Devant ces difficultés, le commandant décide de s’éloigner des côtes, direction le large. 
Je suis en mauvaise posture, à plat ventre dans les toilettes où je vomis tripes et boyaux, de l’eau passe dessous la porte et gèle presque immédiatement.
Au secours, je vais mourir… le mal de mer provoque des spasmes, je n’ai plus rien à rejeter. Heureusement, un des matelots du bateau arrive a mon secours, il me prend par les épaules et me redresse sur mes deux jambes flageolantes tout en me hurlant dans mes oreilles des mots incompréhensibles pour un simple mortel.
J’ai quand même le temps de voir pour la dernière fois une partie de mon magnifique manteau en peau de loup que je me suis payé au Cap Nord et qui est resté pris au sol dans la glace des toilettes.
Le brave marin, qui en a vu d’autres, me dirige en hochant la tête, vers une des grandes salles du 2ème pont. La centaine d’autochtones qui composent les passagers sont réunis par petits groupes dans un des salons-salle à manger. Ils n’ont pas l’air de paniquer le moins du monde, cela me rassure un peu, la plupart boivent des bières ou mangent des filets de hareng bien gras accompagnés de pickles de concombres. 
Devant ma mine cadavérique verdâtre, l’un d’eux me fait signe de m’approcher de sa table, je m’effondre sur une chaise fixée au sol.
– Il me tend le pot contenant les filets de hareng,
– « spise fisk » (manger poisson)……..« spise fisk » ne cesse t-il de me répéter.
Devant mon air ahuri, une personne de la table me dit dans un allemand approximatif « Essen sie gut fisch für seekrankheit ».
– Ah… vous croyez. Je plonge mes doigts dans le pot et en retire un énorme filet dégoulinant de gras.
– ya… ya… essen - il me tend une serviette en papier.

– Beurkkk… c’est vraiment dégeu.
– Allons courage, je m’enfile d’un coup le pescaille dans le gosier, mâche un peu et avale l’ensemble.
– Miracle… mon « mal de vague » s’atténue d’un coup. Je renais. Je suis rené.
– Noch, noch.
– Danke,  vielen dank.
– Aquavit jetzt ?
– Nein, danke.
Génial, 1/4 d’heure plus tard, je paye une tournée de bières. 2 heures plus tard, complètement saoul, je commence à danser et à m’étaler à chaque coup de roulis.
On m’explique qu’il ne faut pas se coucher, tant que la tempête ne faiblit pas.
Je reste assis, vacillant sur ma chaise bien fixée.
– Oh quelle nuit, les amis.
J’ai ramené en Suisse le reste de mon manteau, pauvre loup tué pour rien.

Pas de panique 
La tempête est passée, elle a duré quand même 2 jours. Mon estomac n’est pas encore remis d’aplomb lorsque nous arrivons dans le port de Bergen. Je suis sur le pont, curieux de la manœuvre d’appontage, le bateau est encore couvert d’une épaisse couche de glace, il fait beau et froid.
Brusquement… un choc et un énorme craquement, je vois des morceaux de glace projetées sur le pont autour de moi. Le navire vient de toucher le môle et s’immobilise brutalement, je tombe à plat ventre et glisse sur le pont glacé pour m’écraser contre un rouleau de cordage qui par chance amortit le choc. Je me tâte, rien de cassé, mais j’ai eu une sacrée trouille, j’ai cru que j’allais passer par-dessus le bastingage. Deux matelots se précipitent pour me relever et m’emmener à l’infirmerie du bord. Je m’assieds un peu sonné, mais de toute façon il n’y a pas de médecin et un seul et unique médicament « l’Aquavit » que me sert dans un verre à bière, un de mes sauveteurs. Ce qui me remet les idées en place, mais pas mon foie.

 Prononcer « akevitt ». L’alcool norvégien par excellence, il est fabriqué à partir de pommes de terre et parfumé au cumin, à l'anis, à la coriandre... il doit être servi glacé et accompagne idéalement un poisson gras comme le saumon.


À bord c’est la panique, cris, agitation et le haut-parleur qui hurle en plusieurs langues. 
– -Bo i hytter, ikke gå ut på terrassen, det er ingen fare.
– Restez dans les cabines, ne pas sortir sur le pont, il n’y a pas de danger.
– Übernachten in den Kabinen nicht gehen auf dem Deck und es besteht keine Gefahr.
Vous parlez d’un voyage tranquille… je reviendrai en visite dans 50 ans, je suis certain que d’ici là, les fjords et le Cap Nord deviendront un but d’excursion de premier ordre avec des bateaux plus sûrs et plus confortables tant la nature et splendide.
Finalement, les dégâts ne sont pas trop graves, la coque en acier s’est déformée mais a bien résisté, c’est un vieux navire, voué après cet accident à une démolition 
Il a fallu une passerelle de fortune en corde pour débarquer les passagers sur le quai. Moi qui avais projeté de prendre un bateau depuis Bergen directement pour Kiel en Allemagne, je renonce… ah non plus de bateaux, j’ai donné.
Je me rends donc à la gare pour prendre un train pour - Bergen - Oslo - Göteborg - Malmö - Copenhague - Hambourg - Francfort - Bâle - Genève :
Je m’assure de bien rester en Allemagne de l’Ouest tout au long du voyage de 2 jours, j’opte pour une couchette, je suis crevé… crevé… crevé. 
J’arrive à Genève Cornavin après un périple de 35 jours. 
Ce soir je vais me taper une bonne raclette de chez nous avec 3 dl de Fendant à la Cave Valaisanne, j’en peux plus de bouffer du poisson gras depuis 1 mois.






Ma ceinture de billets est vide, va falloir la remplir à nouveau.


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