vendredi 24 mars 2017

CHAP. N°5 — PAN…DANS LA GUEULE



Je le savais, qu’il allait falloir payer un jour pour toutes mes conneries. 
Ce jour est arrivé. La facture est lourde.





J’ai débuté dans mon travail. Super content. J’ai mon propre bureau. Bonne ambiance, juste que l’odeur des parfums, me file un puissant mal de tronche, paraît que c’est normal les premiers temps, ça devrait passer.
En fin de journée, je passe chercher mes filles à l’école Steiner, à midi elles mangent sur place, c’est végétarien, pourquoi pas ! ça ne peut pas leur faire de mal !
Pendant le repas du soir, Marie m’annonce qu’à la suite de la visite chez son médecin, elle doit aller faire des examens à l’hôpital.
– Mais, il t’a dit quoi... ton toubib. 
– Pas grand-chose, il a fait la grimace. – Vous devez rapidement aller faire des analyses à l’hôpital cantonal, je vous prends un r. d. v. immédiatement – voilà, c’est pour demain matin 10 heures, vous devez voir le professeur Jenzer qui va vous examiner.
– Et maintenant, comment te sens-tu ?
– Seulement très fatiguée. Je n’ai pas faim, j’ai toujours des nausées. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.
– Je vais t’accompagner à l’hôpital demain.
– Non, ce n’est pas nécessaire, tu ne vas pas déjà t’absenter de ton travail, quand tu viens de commencer. Je te téléphonerai, dès que cela sera fini.
– J’irai en taxi. Ne te fais pas de souci.
Du souci je vais m’en faire toute la journée. Il est 16 heures quand je reçois un téléphone du professeur Jenzer.
– Monsieur Le Wenk ? Oui, c’est moi. – Nous allons garder votre femme en observation quelques jours. Vous pouvez venir la voir ce soir jusqu’à 20 heures. Bonsoir.
Je reste abasourdi, la main en l’air, tenant le combiné téléphonique. Je ne suis pas rassuré du tout. Tant pis si je perds mon boulot, mais il faut que je parte immédiatement.
En premier lieu, je vais chercher Saba et Lilas et les ramène à la maison. Ensuite pour ce soir, il faut que je trouve quelqu’un pour les garder. Je téléphone à une amie de Marie qui n’habite pas très loin, et lui demande si elle peut venir s’en occuper pour la soirée. 
Oui, bien sûr, je viens directement après le travail vers 18 heures.
Sitôt que Chiffon – c’est son surnom, arrive – je lui explique la situation, et pars immédiatement.
Réception de l’hôpital : bonjour la chambre de Mme Marie Le Wenk s.v.p.  – La 113, premier étage. – Merci.
Long couloir, sol miroir, odeurs d’hôpital. Voyons... 81 – 93 – 111 – 113... la voilà. toc... toc, j’entre en douceur, bonsoir. 6 lits...
– Marie ! Je suis là – bisou... bisou – comment vas -tu ? 
Ça va, juste un peu fatiguée. J’ai passé des radios, prise de sang, auscultation dans tous les sens, tu vois le topo, tu l’as subi aussi à notre retour d’Algérie.
– Et alors, ils t’ont dit quelque chose ?
– Non absolument rien. Je dois rester encore demain pour d’autres examens. Le médecin te téléphonera quand ils seront terminés.
– Comment vont les enfants ?
– Pas de problème, j’ai demandé à ta copine Chiffon de les garder ce soir. Demain matin, je les raccompagne à l’école. Maintenant il faut que je parte, repose-toi. Je t’aime, bonne nuit.
La mienne est mauvaise, je ne cesse de gamberger. Finalement, je décide de ne pas aller travailler, je suis inquiet, comme un mauvais pressentiment.
Je reste toute la matinée à tourner en rond, attendant le téléphone de l’hôpital. Il est midi quand il sonne enfin.
– Bonjour Monsieur Le Wenk, je suis le docteur Jenzer, vous pouvez venir chercher votre femme en début d’après-midi, mais avant, je vous demande de passer à mon bureau. Je vous attends à 14 heures.
– Cet appel n’est pas vraiment pour me rassurer. Impatient, je saute dans ma voiture pour me rapprocher de l’hôpital et trouver une place de parc, ensuite je vais manger au Café des Platanes, juste en face de l’entrée de l’hosto.
À l’heure fixée, je frappe à la porte du grand professeur Jenzer.
– Oui… entrez. Bonjour, Monsieur Le Wenk, vous pouvez vous asseoir ici. Je vais être direct, ce que je vais vous dire va vous causer un choc – votre femme a un cancer de l’estomac très avancé, avec métastases aux poumons. Il faut l’opérer rapidement. Je ne vous cache pas que ses chances de survie sont très faibles. J’ai prévu de l’opérer dans deux jours. C’est une grosse opération par thoracotomie. Encore une chose, votre femme n’est pas au courant de la gravité de sa maladie, je ne vous conseille pas de l’informer trop précisément, cela pourrait l’inquiéter et compromettre une éventuelle guérison.
– Vous pouvez ramener madame Le Wenk chez vous et la préparer à cette intervention qui sera suivie de plusieurs séances de radiothérapie. Je vous reverrai après l’opération pour vous donner plus de renseignements. Au revoir et bon courage.
Il se lève et me tend la main d’un air absent.
Je fais un effort pour me lever, mes jambes ont de la peine à me soutenir. Je sors du bureau comme un automate, il faut que je reprenne mes esprits avant d’aller chercher Marie.
Je sors de l’hôpital, et me dirige directement vers le café des Platanes, il me faut un puissant remontant.
– Un cognac s.v.p. je l’avale cul sec, un autre… qui suit le même chemin. Ça ne me remonte pas le moral, mais je ne peux pas retourner bourré chercher Marie. Impossible de rassembler mes esprits, le choc est trop terrible. Je ne peux même pas imaginer tout ce que cela va entraîner comme bouleversements dans nos vies.
– Allez Blaise... reprends-toi, c’est le moment de montrer ta maîtrise de joueur de poker. Allez, j’y retourne. 
Chambre 113… je reste quelques minutes devant la porte, calmos, calmos, visage impassible – j’entre.
Marie est assise sur le bord de son lit. Pour la première fois, je remarque son teint pâle et sa maigreur.
– Bonjour chérie, tu es prête ?
– Oui, j’attends depuis 1 heure.
– Excuse-moi j’ai été trouver ton docteur.
– Ah ! que t’a-t-il dit? – une certaine appréhension perce dans sa voix et dans son regard –. 
– Pas ici, c’est compliqué, rentrons, je t’expliquerai à la maison.
Je dois la soutenir, tellement elle paraît faible. 
– Attends, je vais chercher un fauteuil roulant pour t’amener jusqu’à la voiture qui est dans le parking. Voilà, installe-toi pendant que je ramène le fauteuil à la réception.
Pas un mot pendant le trajet. La tension est palpable. Je réfléchis à la meilleure manière de lui mentir pour cacher la véritable gravité de sa maladie. Il faut que j’invente rapidement quelque chose de plausible sur son état.
À peine arrivés chez nous, que Marie, inquiète me questionne – alors, qu’est-ce que j’ai ? 
– D’après le professeur Jenzer, tu as un ulcère à l’estomac qu’il faut opérer rapidement à cause d’un risque d’hémorragie. L’opération est prévue dans deux jours.
– Ah, c’est pas trop grave alors ?
– Non... je ne pense pas, mais c’est quand même une opération assez sérieuse. Ne t’inquiète pas trop, cela va bien se passer.
Je crois que je m’en suis bien tiré. Non, je ne suis pas très fier. Dans ce temps-là, personne ne disait la vérité au malade atteint d’une maladie à l’issue fatale, paraît que c’était pour qu’il conserve un bon moral. Foutaise...
Je passe les deux prochains jours à m’organiser pour les prochaines échéances. Chercher un internat pour Saba et Lilas. Arranger mon temps de travail afin d’être disponible pour les visites à l’hôpital. Faire les courses et préparer les repas, Marie étant trop faible pour avoir la moindre activité.
Le matin à 8 heures du jour programmé pour l’intervention, j’accompagne Marie jusqu’à une chambre commune de 6 lits. Elle s’assied sur son lit d’un air las. Je lui dis au revoir d’un air détaché et je quitte la chambre rapidement sans me retourner, submergé par l’émotion.
Dans le couloir, l’infirmière responsable du service me tend un papier avec un n° de téléphone.
– Monsieur Le Wenk, vous pourrez appeler ce numéro pour avoir des nouvelles en fin de journée.
Je prends le billet sans un mot, sors de l’hosto et vais directement au café des Platanes boire un café accompagné d’un solide remontant.
Je ne réalise pas encore vraiment ce qui se passe.
Incapable d’aller travailler, je reste sur la terrasse du café toute la journée, vers 18 heures, j’appelle le numéro indiqué. – Allooo... c’est monsieur Le Wenk, je viens prendre des nouvelles de madame Marie Le Wenk.
– Bonsoir, monsieur, je crois que vous devriez venir pour rencontrer le chef de clinique.
Je me précipite, traverse le boulevard de la Cluse, entrée de l’hôpital, 1er étage. Salle des infirmières.
– Je suis le mari de madame Le Wenk, je voudrais voir son médecin. 
– Venez, je vous accompagne. C’est ici, entrez.
Assis à son bureau, un jeune médecin me reçoit. Bonsoir, monsieur Le Wenk, je suis le docteur Clerc, asseyez-vous.
– Ce que j’ai à vous annoncer ne sont pas de bonnes nouvelles. Votre épouse a été opérée, nous avons dû enlever l’estomac et le poumon gauche qui était trop atteint. Malgré cela, de nombreuses métastases se sont disséminées dans d’autres organes. Pour être franc, malgré tous les traitements à notre disposition, il faut malheureusement envisager une issue fatale à brève échéance. 
Je me tasse dans le fauteuil, ma bouche est sèche, je prononce dans un souffle...
– Combien de temps ?
– C’est toujours difficile de faire un pronostic sur ce genre de cas, mais je dirais 1 à 2 mois, 3 dans la meilleure des probabilités.
Dans 15 jours, madame Le Wenk pourra rentrer à son domicile pour quelques semaines. Ensuite, c’est à vous de voir si vous voulez la garder jusqu’à la fin, ou nous la ramener ici dans le service où nous ferons tout notre possible pour l’accompagner et lui éviter le maximum de souffrance.
– Puis-je la voir maintenant ?
– Non, pour aujourd’hui ce n’est pas possible, revenez demain à 14 heures, je vous accompagnerai auprès d’elle.
Le docteur Clerc se lève, me tend la main – je suis désolé, bonsoir, monsieur Le Wenk, à demain. 
Je sors de son bureau complètement sonné, longe le couloir traverse le hall d’entrée et me dirige vers le parking récupérer ma voiture.
Une fois assis au volant, je mets la radio à fond, sors mon flacon du vide-poche et vide d’un trait le rhum qu’il contient.
Tant de choses se bousculent dans ma tête, je n’arrive pas à rassembler mes esprits. Cependant, peu à peu une pensée s’impose, le moment est arrivé où je vais devoir payer le prix de ma mauvaise vie passée.
Le lendemain dès 14 heures je suis sur place, le docteur Clerc m’accompagne au chevet de Marie, qui est seule dans une chambre. J’entre à sa suite...
Elle est là, minuscule dans son lit, reliée à de nombreux appareils de survie, pâle, les joues creusées, les yeux voilés et tristes.
Je suis incapable de lui parler, je n’ose même pas m’approcher pour la toucher. Elle tourne légèrement la tête dans ma direction et tente un pauvre sourire. Je me décide à lui prendre la main, nous restons ainsi plusieurs minutes sans rien dire. Puis je la lâche, me dirige à reculons en direction de la porte…  
– À demain chérie. Au revoir docteur.
Il va falloir que je maîtrise mieux mes émotions.

l

Une semaine a passé, bien qu’elle ait perdu 20 kilos, la condition physique de Marie s’améliore de jour en jour, elle commence à marcher et à manger. C’est incroyable, la capacité du corps à se régénérer. J’en viendrai presque à reprendre espoir.
J’ai mis à profit ce temps pour aménager notre nouvel appartement. Style confort anglais. Chambre à coucher Chippendale en acajou, salon cuir, cuisine équipée. Tout est prêt pour le retour de Marie.
Je dois faire comme si c’était définitif.
Saba et Lilas qui ont 10 et 11 ans ne sont pas au courant de la gravité de la maladie de leur maman. Je ne les ai pas emmenées lui rendre visite à l’hôpital pour ne pas les inquiéter.
3 semaines après l’opération, le jour de sortie de Marie est arrivé, elle est encore très faible, je dois la pousser dans un fauteuil jusqu’à la voiture.
Comme je ne prends pas le chemin habituel, Marie me demande où nous allons.
– Je t’ai réservé une surprise, nous nous rendons au Lignon à notre nouvel appartement. 
Je stoppe la voiture devant l’entrée, l’aide à s’en extraire avec difficulté et la soutiens jusqu’à l’ascenseur.
C’est parti, 25ème étage, en quelques secondes nous sommes devant notre porte, je l’ouvre prends Marie dans mes bras, pour franchir le seuil, et la pose avec douceur dans un des deux fauteuils de cuir. 
– Voilà, notre nouveau domicile, comme tu vois, tout est neuf et confortable, si tu arrives à marcher, viens voir notre chambre à coucher.
– Donne-moi la main, je n’arrive pas à m’extraire de ce fauteuil trop profond. 
– Viens... comme ça, doucement, encore quelques pas. Regarde, comme elle est jolie, je l’ai choisie pour toi. Elle te plaît ?
– Oh, oui, merci, je vais l’essayer immédiatement et m’étendre, je suis fatiguée. Si tu veux bien m’aider.
– Repose-toi. Je vais aller chercher les filles à la pension. Je serai de retour dans 1 heure. 
J’ai donné mon congé à Gévaudan. Je tiens à profiter des derniers moments avec toute ma famille. Marie a récupéré, et se porte beaucoup mieux. Nous allons souvent passer quelques jours dans des stations de montagne, Leysin, les Diablerets ou plus près à St.Cergue.
Nous ne parlons jamais de sa maladie, bien que je la sente inquiète dans son for intérieur.
Fin novembre l’état de Marie se dégrade à nouveau brusquement, il faut à nouveau l’hospitaliser.
Son médecin m’explique qu’il reste encore un espoir avec un nouveau traitement, la radiothérapie au cobalt qui est censé détruire les cellules cancéreuses profondes.   


          
Marie va subir plusieurs séances de cette nouvelle technique de torture. Elle en sortira brûlée au 3ème degré sur la moitié du corps. Après contrôle, le cancer n’a toujours pas régressé. 
Par contre l’état de Marie s’aggrave rapidement, il faut la mettre sous respirateur artificiel et la nourrir par perfusion.
Son teint est devenu cireux, elle ne parle plus. On lui administre de fortes doses de morphine. Je passe chaque jour de longues heures à ses côtés.
Dans un dernier moment de lucidité, Marie me prend la main et en me regardant droit dans les yeux...
– Chéri, je sais que je vais mourir, ça va être difficile pour toi, mais fais-moi la promesse de t’occuper de nos deux enfants, ne les abandonnes jamais, jure-le-moi.
– Je te le promets chérie. Ne t’inquiète pas. 
Ce sont les dernières paroles que nous échangeons. 
Terrassée à l’âge de 36 ans par un cancer généralisé, après avoir été disséquée par des apprentis sorciers aveugles sans état d’âme.
En ce soir du 25 décembre 1968, je suis à son chevet dans une chambre isolée de l’hôpital de Genève. Totalement inconsciente depuis plus d’une semaine, étendue, immobile, le visage cireux, reliée aux nombreux tuyaux qui la maintiennent prisonnière, sur ce lit de souffrance, donnant l’illusion d’un souffle de vie arrivé depuis longtemps à son terme. 
En ce jour de Noël, comme chaque soir depuis de nombreux jours, je viens veiller près de ce corps inerte, dans un silence pesant, troublé uniquement par le flux régulier du respirateur.
La soirée est déjà bien avancée, je m’apprête à partir, plus désespéré que jamais devant mon inutilité, lorsque la porte s’ouvre, l’interne de garde, passe la tête en disant d’une voix endormie “ tout va bien ici ! “ . Brutalement, je suis envahi par une poussée d’adrénaline, dans un furieux sentiment d’indignation, je réponds calmement, OUI, OUI… attendez-moi dans le couloir, j’ai deux mots à vous dire. Je me lève d’un seul coup, traverse la chambre, pousse le toubib dans le couloir et le saisis par le col de sa blouse blanche, et tout en le secouant, je lui hurle au visage :
– « Vous avez l’intention de la laisser “comme ça“ encore longtemps, vous savez bien que c’est finiiiiii… »
Et… stupéfait, j’entends « l’interne de garde ce soir de Noël » me répondre calmement… Mais monsieur, si vous m’exprimez clairement votre décision de faire stopper le soutien médical vital indispensable pour maintenir votre femme en vie, je peux le faire immédiatement.
– Abasourdi, par ce que je viens d’entendre, je le lâche. 
– Quoi… qu’est-ce que vous dites ! 
– Écoutez, je n’ai pas le droit de prendre cette décision de mon propre chef, mais si vous me le demandez, dans ces circonstances, je peux prendre la responsabilité de la débrancher.
Je n’hésite pas une seconde.
– Faites-le, tout de suite.
– D’accord, mais ne restez pas là, allez dans mon bureau, je viendrai vous chercher quand tout sera fini.
1/2 heure plus tard, le jeune interne est de retour.
– C’est fait, vous pouvez retourner dans la chambre dans laquelle repose votre femme. 
Là un choc m’attend… Marie est là, étendue, un petit bouquet de fleurs entre ses mains croisées sur sa poitrine. Son visage détendu reflète une sérénité indescriptible.
Tous les instruments de torture ont disparu, le lit a été fait, avec des draps d’un blanc immaculé. C’est terminé, le temps, suspendu un instant, s’est remis en marche. Il est minuit, en ce soir de Noël 1968. Je vais rester auprès d’elle pour la veiller jusqu’au matin, puis, complètement sonné par les événements de la nuit, je rentre chez moi, une boule dans le ventre qui mettra plusieurs mois à disparaitre.
C’est durant cette nuit, anéanti, scandalisé et révolté, que j’ai pris la décision irrévocable d’abandonner le système que cette société me propose et la voie toute tracée qui m’était destinée, et surtout, de renoncer à cette médecine symptomatique destructrice dont j’ai pu constater l’hypocrisie et les terribles limites.

Plus jamais ça…
OUI… oui, plus jamais ça, renoncer, changer, mais par quoi remplacer ? 
– Je n’en avais pas la moindre idée.
Quoi qu’il en soit, depuis cette tragique nuit de Noël, je renonce. J’ai vendu mes meubles, abandonné l’appartement, et me suis acheté un mobile home que j’ai installé dans un camping sauvage à quelques kilomètres du centre de Genève, au bord de l’Arve (une rivière boueuse issue du Massif du Mont-Blanc qui traverse la ville et se jette dans le Rhône au lieu dit « la Jonction ».)
Chaque nuit je m’efforce d’oublier la mort de Marie dans les bars de la ville, je me suis remis au jeu, aux femmes et à l’alcool.
Au petit matin un taxi me ramène à la caravane, où je m’effondre sur le lit jusqu’à la mi-journée.
Je sens bien que ma vie m’échappe, que je m’enfonce de plus en plus dans la débauche. Je veux payer mes erreurs passées par une forme de suicide.
Saba et Lilas sont toujours dans leur pension, je les prends quelquefois le dimanche. J’ai tellement de culpabilité de ne pas trouver le courage de reconstruire un noyau familial pour elle, comme je l’avais promis à Marie.
Je vais tenir un an à ce régime. Un matin où je rentre selon mon habitude totalement ivre, accompagné et soutenu par mon chauffeur de taxi habituel qui est devenu presque un ami, je m’écroule devant l’entrée de la caravane, terrassé par une insoutenable douleur dans la poitrine. Un rouleau compresseur m’écrase, je n’arrive plus à respirer, je perds connaissance.
Lorsque je me réveille, je suis à l’hôpital aux soins intensifs. Un médecin m’explique que j’ai eu une crise cardiaque que j’ai pu être sauvé grâce au sang froid du chauffeur de taxi qui m’a amené rapidement aux urgences.
La crise cardiaque a été provoquée par l’obstruction d’une artère, la coronaire droite, ce qui empêche le sang d’arriver au muscle du cœur (myocarde). Il a fallu donc déboucher l’artère le plus rapidement possible sous peine de mort immédiate.
Vous êtes tiré d’affaire pour le moment, mais à 36 ans, affaibli par un mode de vie déraisonnable : mauvaise alimentation, vie déréglée, tabagisme, alcool et manque d’exercice physique, une rechute est inévitable.
Nous allons vous garder un certain temps pour des examens complémentaires et mettre en place un traitement spécifique à votre cas.
Un mois… j’y suis resté, réadaptation, oui, j’ai une jambe légèrement paralysée, médicaments, régimes, etc.
Derniers entretiens avec mon médecin...
– Vous voilà à nouveau sur pied, provisoirement… Mais attention, si vous ne changez pas radicalement de mode de vie vous êtes foutu, vous m’avez bien compris ?
Vous êtes veuf et vous avez 2 enfants, je crois, alors... reprenez-vous N… de D... sinon ils seront bientôt orphelins.
Là il touche où ça fait mal.
– OK. Docteur, je vais essayer. Merci.
C’est le choc qu’il me fallait pour stopper ma propre destruction.









jeudi 23 mars 2017

CHAP. N°4 — CHANGEMENT DE CAP


CHANGEMENT DE CAP


Le vent tourne, l’orage approche…


J’ai demandé à Tobias (mon père), qui commerce toujours avec les États-Unis, de me procurer une Ford Mustang V8 de 225 cv. Les premiers modèles sont sortis des usines Ford en 1965.
J’en ai examiné et essayé une au Salon de l’Auto de Genève, j’en suis tombé raide dingue. La classe, racée, rapide avec son V8 double carburateur.
Et puis, merde, j’ai plein de fric et je ne sais même pas comment le dépenser.
Avec Tobias, les affaires ne traînent pas, un mois après lui avoir passé commande...
– Blaise, ta voiture est là, une occase. Presque neuve, 20.000 kil. Pneus neufs. Rouge. 30.000 fr. sans facture, dédouanée et visite passée. Je ne prends rien dessus, tu penses bien.
– 30.000 quand même ! rouge ! je n’aime pas trop, mais bon, elle est là, je viens la chercher.


Waouh !… ça, c’est de la bagnole, merci père. Tu viens, on va faire un tour par l’autoroute qui vient d’être ouverte à la circulation pour l’expo nationale 1964 à Lausanne.
Pas encore de limitation, les 128 kilomètres aller-retour sont avalé en 3/4 h. génial.
– On se fait une bouffe un de ces jours… j’ai le temps maintenant. J’ai arrêté les transports et revendu le camion. 
Ce que je vais faire ? Pour le moment rien, je vais rester un peu avec la famille. Salut papa.
3 mois passent ainsi, peinard. Bricolage, jardinage, ramasser des champignons dans les bois du Jura avec toute la famille et les chiens, aller à Genève-plage sans les chiens et partir le week-end à la montagne.
Au début, j’ai fait encore quelques virées à Berne, histoire d’entretenir les relations avec Lise, mais elle m’a fait comprendre qu’elle avait un copain régulier, et puis elle est devenue un peu “poufiasse “, l’histoire est terminée.
C’est mieux ainsi, je me sens bien avec Marie et les filles, je vous le dis, un vrai père tranquille.
Pendant ce temps l’orage se prépare...
Le premier coup de semonce, est provoqué par ma mère qui a fouillé un jour dans mon portefeuille, intriguée par la vie que je mène, elle a trouvé quelques photos Polaroïd de mes maîtresses et principalement de la trop jeune Lise. 
Pour me donner une leçon – à ce qu’elle dit – elle les montre à Marie. Du jour au lendemain, l’attitude de Marie à mon égard change, et pour la première fois la voilà qui me fait des reproches sur mes infidélités et me lance les photos au visage.
Aïe. Tout allait si bien pourtant. Moi qui venais juste de me ranger. Faut absolument que je rattrape le coup. Comment faire, maintenant que Marie a ouvert les yeux. Cette fois ce n’est pas un dîner aux chandelles qui va arranger les choses.
Finalement je pense avoir trouvé une solution pour rétablir sa confiance et me faire pardonner mes frasques.
Je vais trouver un travail régulier, à des heures régulières et une paye à la fin du mois. 
Par l’entremise de Mario un ami de longue date « grand nez « au laboratoire Gevaudan qui fabrique des extraits de parfums et des arômes alimentaires, j’obtiens un entretien d’embauche qui débouche rapidement sur un engagement comme contrôleur de qualité sur les chaînes de fabrication et de conditionnement.
Contrat en poche – bon salaire, 13ème mois + prime. Tu commences au début du mois prochain. Merci Mario.
Je n’en parle pas à ma femme, je veux lui faire la surprise.
– Père Louis, nous allons nous absenter 3 jours, nous serons de retour lundi dans l’après-midi. Tu peux t’occuper des chiens, laisse-les ici dans la cour, il faut qu’ils surveillent la maison, sait-on jamais...
– Marie, ce week-end nous partons à Zermatt.
Vous connaissez, la station sans voiture au pied du Cervin. J’ai réservé une suite (3 jours=3000-fr.), dans le célèbre hôtel, cinq étoile « Le Palace Mont Cervin » ouvert en 1851. Oui il a été rénové depuis...         
Nous laissons la voiture à Viège pour prendre le chemin de fer à voie étroite du Matterhorn-Gotthard Bahn jusqu’à Zermatt.
Arrivés à la gare de Zermatt, un fiacre rouge avec cocher tiré par deux magnifiques chevaux noirs, nous attend pour nous déposer à l’entrée de l’hôtel.
Portier, groom et tout le tralala nous prennent en charge avec les bagages et nous installent dans la suite royale.
Marie boude toujours... les filles sont sages comme des images sages.
Balade et visite du village, boutiques à touristes, séances photo nous occupent tout l’après-midi. Je fais également une visite discrète dans une pharmacie, mais, chut... c’est une surprise.
Rentrés à l’hôtel, je loue les services d’une jardinière d’enfants pour s’occuper de nos deux filles Saba et Lilas pour le repas du soir, les distraire la soirée et les coucher.
Moi, j’ai prévu un repas intime dans un petit salon avec Marie. Séance réconciliation.
Dès les premières coupes de Don Pérignon, je lui dévoile mes dernières décisions et lui mets le contrat Gevaudan sous les yeux. Tu vois j’ai trouvé un bon job, régulier, je te promets d’être sérieux à l’avenir, oublions mes aventures, je te demande pardon pour tout.
Marie fronce les sourcils, fait la moue, dubitative...
– Je n’arrive pas à te croire, je te connais trop, toi devenir un bon père de famille et un mari fidèle ? c’est impossible. Tu es et tu resteras toujours un aventurier sans foi ni loi. Mais, je l’accepte et te pardonne... À notre réconciliation... je t’aime malgré tout. Et, toi, tu m’aimes ?
– Bien sûr que je t’aime, mais pour moi, il y a deux sortes d’amour. Les amours à court terme et ceux à long terme, voilà ma conception de l’amour. Toi c’est du long terme, 10 ans, ça compte quand même... non ?
Les autres, les courts termes, je ne connais rien de leur vie, de leurs préférences, parfois même pas leurs noms, alors que toi, je connais tout de toi, enfin presque !
– Ouais… t’essaies quand même de noyer le gros poisson qui se nomme infidélité... mais t’as raison, moi, toi, les enfants... c’est autre chose, nous sommes une famille, du solide, ne la détruisons pas. Ne me détruis pas.
Ouf, j’ai réussi, en plus je suis sincère dans ma rédemption.
Nous passons deux jours et deux nuits exceptionnels, nous nous sommes retrouvés, nous partageons, nous communions à nouveau dans l’amour. 
Pour la première fois, c’est ça la surprise… une toute nouvelle pilule contraceptive est en vente libre, plus d’entrave aux rapports sexuels, plus de « coïtus interruptus » frustrants, plus de préservatifs, plus d’accidents, plus de... non... non… fais attention ! Nous ne sommes pas encore en mai 1968, mais la liberté sexuelle est en marche, grâce à cette pilule miracle.
Lundi matin. Merde il pleut, nuage bas, tiens le Cervin a disparu. Revenir à la réalité du présent, faire les bagages, prendre le train, Viège, la voiture et retour à la maison.
Avec la Mustang, en à peine 1 heure nous arrivons en vue de notre maison.
Tiens, c’est quoi, cette agitation ? Une voiture de police… j’aperçois le père Louis faisant de grands gestes, en grande discussion avec un gendarme. 
– Restez dans la voiture, je vais voir ce qui se passe.
À peine Louis m’a-t-il vu, qu’il se précipite à ma rencontre.
– Ah… monsieur Le Wenk, c’est terrible, c’est terrible, mais pourquoi, pourquoi ?
Incapable de parler d’une manière intelligible, je le secoue un peu, Louis… calme-toi, qui a-t-il ?
À ce moment un gendarme arrive à la rescousse, 
– Vous êtes le locataire des lieux ? Monsieur Blaise Le Wenk, je suppose ?
 Oui, c’est bien moi. Que se passe-t-il ?
– Bonjour, je suis le capitaine Régiani de la gendarmerie de Gex. Vous avez été cambriolé, et vos chiens sont morts, ils ont été empoisonnés. C’est un certain Louis qui nous a avertis ce matin,
– Bordel de merde... de non de d..... je peux rentrer ?
– Oui, allez-y. Je vous accompagne, vous allez avoir un choc, je vous préviens. La scientifique procède au relevé des empreintes.
La porte d’entrée pourtant en chêne massif n’a pas résisté, serrures, verrous de sûreté et gonds sont arrachés. (expertise d’un pro de l’effraction).
Dans la cuisine, les placards sont ouverts et vides. Sur le sol, des paquets déchirés et des bocaux cassés. Des aliments en vrac sont répandus sur la table et dans l’évier.
Je passe au salon, plus de télé, ni de chaîne hifi. Au milieu de la pièce, reste un tas d’habits, des livres et des papiers personnels. Les meubles anciens, les tableaux et les tapis ont disparu également.
La chambre des filles est intacte, rien ne manque. Dans la nôtre, par contre, les armoires sont vides, matelas retournés et éventrés.
– Où sont les chiens ?
– Dans la grange, morts tous les deux.
– Il ne faut pas que mes enfants voient ça. Un instant je reviens.
Je me précipite vers la voiture, Marie en sort et court à ma rencontre,
– Que se passe-t-il ?
– Rien de grave, nous avons été cambriolés. Ils ont tout pris, il ne reste rien. Les chiens sont morts. Les filles ne doivent pas voir ça. Reste dans la voiture avec elles, je règle ce problème avec la police et je reviens.
– Monsieur Le Wenk, pour nous, c’est terminé, nous vous attendons demain au poste pour signer le constat. Ah… oui, j’oubliais, veuillez nous fournir une liste détaillée des objets volés. Nous pensons, nous en sommes même certains, que c’est l’œuvre d’une bande de gitans qui sévit dans la région. Ils viennent avec un fourgon à plusieurs, de nuit, s’éclairent à la bougie, vous avez remarqué qu’il y en avait partout, ne touchent jamais à la chambre des enfants, qui sont sacrés pour eux. C’est signé, Gitanos comme le nez au milieu de la figure.
Vous ne reverrez jamais plus rien de vos objets, ils sont déjà en Espagne ou je ne sais où, mais loin d’ici.
Je suis désolé, au revoir, Monsieur, à demain.
– Attendez, et les chiens ?
– N’y touchez surtout pas, empoisonnés à la strychnine. La fourrière va venir enlever les cadavres pour les incinérer.
Toute l’équipe s’engouffre dans leur Estafette Renaud et disparaît au bout du chemin. Un silence pesant s’abat brutalement, le père Louis est là, planté au milieu de la cour, torturant sa casquette entre ses mains calleuses.
– Louis, tu n’y es pour rien, c’est moi le responsable, je n’aurais pas dû laisser la maison seule si longtemps. Rentre chez toi, je vais revenir plus tard pour l’inventaire. Merci pour tout.
Je rejoins Marie à la voiture.
– Il faut partir, allons à Commugny chez mon père, voir s’il peut nous loger quelques jours, le temps de nous retourner. 
– Les filles on va chez pépé, la porte de la maison est cassée, et on ne peut plus la fermer, des vilains messieurs sont rentrés pour voler la télévision. Oui… bien sûr j’en rachèterai une autre.
Avec Tobias, les affaires se règlent rapidement. Après lui avoir expliqué le drame qui nous arrive, mon père me tend les clés de l’appartement de la rue Gauthier.
– Tiens, il est inoccupé pour le moment, installez-vous le temps que vous voulez. Pour ce soir, vous restez ici, il y a assez de place pour tout le monde.
C’est chouette, un père comme ça.
La nuit est un peu agitée, très mal dormi. Pensées confuses.
Dès 8 heures tout le monde est sur le pont. Galya nous a préparé un monstrueux brunch, café et chocolat chaud, œufs à la coque, toasts grillés, caviar, fromage, jambon, beurre salé, concombres au vinaigre, etc. Ils sont comme ça ces Russes, cette fois il n’y a pas de violon pleureur, pourtant cela serait de circonstance.
– Galya, tu peux garder Saba et Lilas aujourd’hui, nous devons retourner à Thoiry et passer au poste de police pour le constat. Je reviens ce soir.
– Allons-y maintenant, la journée va être longue. Papa, Galya, merci pour tout. Bisous les filles.
Retour à la ferme. La porte est entrebâillée.
– Tu viens Marie, accroche-toi, ce n’est pas beau à voir. Jette juste un coup d’œil et dis-moi ce que tu en penses ? 
Marie ressort précipitamment dans la cour, son visage est tout pâle, je crois qu’elle va avoir un malaise. 
– Viens, va t’asseoir dans la voiture, tiens bois un coup, c’est de la vodka. (oui, j’ai toujours mon petit flacon de poche).
Alors t’as vu le chantier. Qu’est ce qu’on fait maintenant.
– Une seule chose, je ne remettrai plus jamais les pieds dans cette baraque. Liquide ce qui reste, fous le feu à nos effets personnels, sauf à la chambre des enfants. Il faut trouver rapidement un logement en Suisse.
– Tu as raison, d’autan que dans 15 jours, je débute mon nouveau boulot. Attends-moi là un moment, je vais juste établir la liste des objets volés pour la police et pour l’assurance.
Voilà, c’est fait, j’ai récupéré nos papiers officiels, les classeurs de correspondance et les albums de photos. Au fait je n’ai pas retrouvé tes bijoux ! Envolés. Pleure pas je t’en rachèterai. 
Après un passage à la gendarmerie de Gex, qui à l’air de s’en foutre totalement, nous nous rendons au 5 Rue Gauthier (vous vous souvenez, c’est là que j’habitais avant de partir pour l’Algérie, et c’est là que j’ai connu Marie).
Nous y revenons pour la première fois depuis notre retour. Ascenseur… 6ème étage, au 4ème, c’est là que travaillait Marie, apparemment ses anciens patrons sont toujours là.
Tu te rappelles, il y a 10 ans, que de souvenirs.
Bon sang, où ai-je mis la clé ! c’est toi qui l’as ? Non. Ah... la voilà.
Entrons, tout est en place, rien n’a bougé, c’est propre, bien rangé. Il y a même de la literie propre dans l’armoire. Le frigo est vide je le rallume. C’est pas tout, nous n’avons plus rien, fais une liste de l’indispensable dans l’immédiat. Il nous faut à manger pour ce soir, tu te charges de faire les courses dans le quartier. Le plus urgent, la chambre des enfants, je m’en occupe cet après-midi, je vais louer un fourgon, et aller la chercher à Thoiry.
Téléphone à Galya, tu lui fais un topo, et tu lui dis que nous passerons ce soir chercher les filles.
De retour à Thoiry, je passe chez le père Louis pour voir comment il se porte.
– Salut, Louis, comment tu vas ?
– Pas trop, je ne m’en suis pas encore remis, pourtant, comme tu le sais, j’en ai vu des drames et des morts.
– Tu te sens, de venir me donner un coup de main pour déménager la chambre des enfants, j’en ai besoin pour ce soir, mon père m’a prêté un appartement, mais il n’y a rien pour coucher les enfants.
– Oui, pas de problème, ça me changera les idées. Je suis allé là-bas ce matin, la fourrière est passée, les chiens ne sont plus là. Tiens bois un coup de gnôle avant, ça nous remontera le moral. 
En une heure la chambre est vidée. Lits, literie, commode et jouets, habits, tout est bien rangé dans le fourgon. 
– Merci, Louis. Je vais faire venir Emmaüs pour vider ce qui reste dans la maison, si tu as besoin de quelque chose tu te sers. A bientôt, je passerai te trouver un de ces jours.
Pour retourner à Genève, je prends le chemin des bois par le moulin de Farny, j’ai pas envie d’être emmerdé par les douanes aujourd’hui.
Mon père et un de ses employés, viennent me donner un coup de main pour décharger le fourgon et emménager la chambre dans l’appartement de la rue Gauthier.
Le soir venu, c’est terminé, nous sommes installés, l’appartement est habitable.
Ouf… la situation est provisoirement rétablie.
Marie a fait les courses, le frigo est plein.
Pour ce soir, spaghettis bolognaises, salade et une bouteille de Valpolicella.
Demain est un autre jour.
Dans ces années-là, trouver du boulot, un logement et du fric, c’est encore assez facile. Nous sommes encore en plein dans les 30 glorieuses. (Oui, je sais, les jeunes, vous n’avez pas connu ces années bonheur sans souci avec en prime la libération sexuelle).
La quatrième régie immobilière que je démarche me propose un appartement qui me convient. Au 25ème étage de la toute nouvelle tour du Lignon. Visite de l’appartement-témoin, chaque matin à 10 heures.    
Le lendemain matin, toute la famille est là, à pied d’œuvre, devant l’entrée de la fameuse tour de verre de 30 étages. Pourvu que l’ascenseur fonctionne. C’est le cas, nous voilà propulsés sur le toit où se trouve une piscine, qui, le cas échéant, pourra servir de réservoir d’eau en cas d’incendie dans les étages supérieurs.
Ah non, pas ça…
Sapristi, c’est impressionnant. La vue s’étend carrément sur tout le canton de Genève, je vois même le jet d’eau dépasser les immeubles des quais. Allez encore quelques mètres, et on pourra voir la ville de Lyon !
Venez, allons visiter notre appartement au 25ème étage,
5 pièces et un patio vitré, vue imprenable sur les méandres du Rhône jusqu’à Verbois. Alors qu’en pensez-vous ? Marie est enthousiaste et les filles, vous dites quoi ? Oui... oui. Papa, la piscine, c’est génial.
Adjugé, je vais aller signer le bail. Nous pourrons emménager dans 3 semaines.
En attendant, pour se changer les idées, je vous ai préparé une surprise. Nous partons en vacances une semaine.
– Ouiii, ouiii. Où on va papa ? Quand ?
– Au bord de la mer. Où exactement, je ne sais pas encore, on en discute avec maman. Quand ? demain soir, si les bagages sont prêts.
Je me suis peut-être un peu trop avancé, car je n’ai encore aucune idée. 
Première opération, achetez un guide Michelin, la bible du voyageur. Avec Marie nous le consultons toute la soirée pour fixer notre choix sur le Lavandou à l’Hôtel les Flots Bleus, en bordure de plage. Un coup de téléphone pour la réservation, 
– Bonjour, oui, c’est ça... une chambre double avec vue sur la mer. Pardon ? Pour 7 jours, 2 adultes et deux enfants. Merci. Bonsoir.
Nous passons la journée à préparer les bagages et en divers achats indispensables. Le départ est fixé la nuit prochaine à 5 heures du matin.
Itinéraire : La route Napoléon par Grenoble – Sisteron – Manosque – Aix – Le Lavandou. Environ 600 kilomètres.
Il est 14 heures, quand je me gare devant l’entrée de l’hôtel. Personne pour nous accueillir, je dépose les bagages sur les escaliers et vais garer la voiture sur un parking juste a côté.
Bonjour, Monsieur Le Wenk, bienvenue aux Flots Bleus. – Ah, enfin – vos bagages sont dans votre chambre, si vous voulez bien me suivre.
Attendez… – Marie, je monte à la chambre, occupe-toi des filles.
Saba et Lilas dorment encore sur la banquette arrière. 
– Allons... allons, réveillez-vous, ont est arrivés. La mer est là à 20 mètres, regardez.
– Oh oui, maman... maman, nous pouvons allez dans l’eau. Non pas maintenant. Maman... maman... seulement les pieds ! bon d’accord, enlevez vos chaussures. Venez, je vous accompagne.
La mer et le ciel sont bleus, le soleil brille, il fait chaud, nous sommes en vacances.
L’après-midi se passe à se prélasser sur la plage privée de l’hôtel. Parasol et chaise longue confortable. Drink et crème solaire.
Nous prenons le repas du soir sur la terrasse, la température est idéale. Poissons – frites avec un petit blanc sec... le pied quoi !
Le rituel du jour durant toute la semaine : baignade – douche – petit-déjeuner – lecture sous parasol – trempettes rafraichissantes – apéros – dîner – sieste – baignade – apéros – repas du soir à deux – et la nuit nous poursuivons l’expérience de l’amour sans restriction. T’as pas oublié de prendre la pilule ? Non, non c’est bon. Ah oui, c’est bon. Allez encore une fois. 
Une exception, un jour nous allons prendre le bateau à Hyères pour une escapade dans le magnifique parc naturel de Port-Cros.
Dommage, qu’il faille rentrer maintenant. Je serais bien resté plus longtemps, mais je dois débuter dans mon nouveau job chez Gévaudan.
Pour le retour, route directe que je connais par cœur, l’ayant parcourue de nombreuses fois avec mon camion, la nationale 7 jusqu’à Lyon, ensuite direction Pont d‘Ain, col du Cerdon, nous nous arrêtons au restaurant du Lac à Nantua pour déguster la spécialité régionale, les quenelles de brochet sauce Nantua.
Au cours du repas, Marie a un malaise, je l’accompagne aux toilettes où elle vomit. Tu n’es pas enceinte ? Mais non… mais j’ai souvent des nausées depuis quelques temps.
Tu ne m’as rien dit, pourquoi ? Ce n’est pas grave, je pensais que ça allait passer. Je vais prendre un r. d. v. chez mon médecin la semaine prochaine, promis.
Bien, rentrons, demain c’est dimanche, je m’occupe de tout, tu pourras te reposer.

Mémento :

  • Lundi commencer mon nouveau travail chez Gevaudan
  • M’occuper de meubler le nouvel appartement.
  • Voir Marcel, mon beau père, pour la décoration.
  • Inscrire Saba et Lilas à l’école Steiner de Confignon, qui n’est pas trop loin de notre futur logement.
  • Consultation médicale pour Marie.



Marie - Saba et Lilas en 1968 avec Flicka un dogue danois


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