Qui vole un œuf, vole eu bœuf.
Qui vole un fil, vole une bobine
Qui vole un riche, devient riche !
Il est moche, gris, mais il y en a tellement en circulation qu’il passe inaperçu. C’est juste ce qu’il me faut.
Je le paye comptant 15.000 fr. en cash et je fais installer en plus le premier raccordement radio-téléphone dans un véhicule qui existe sur Genève.
J’ai loué sans bail, un ancien dépôt avec une cour intérieure, dans un bâtiment appelé à être démoli à la rue du Môle.
Tobias n’est pas au courant, il a assez à faire avec son propre business.
Gary, lui il n’est plus dans la course, c’est un pépère derrière son bar. J’y vais quand même de temps en temps le soir boire un coup. Faut dire qu’une clientèle assez inquiétante composée d’anciens légionnaires, de fachos aux bras tatoués et d’ex-tôlards y prend des cuites monumentales.
Dans ces moments hors du temps, certains jours on peut assister entre deux protagonistes à la terrible loterie de – tu vis ou tu meurs – de la roulette russe. Un de mes bons copains brocanteur, un colosse originaire d’un trou perdu du canton de Fribourg, s’est fait sauter le caisson à ce jeu un soir de déprime alcoolique. Je vous jure que de la cervelle répandue sur la table est collée au mur, ce n’est pas beau à voir.
Je vous laisse imaginez l’ambiance inquiétante du « Bar-a-tin » le troquet de Gary.
Avec mon fourgon, je débute par de petits coups sans risque, pour le moment, je ne suis qu’un amateur, je n’ai pas encore fait de prison. Mais ça a un avantage, je ne suis pas fiché, donc inconnu de la police.
Je travaille seul, discrètement, parfois juste pour une montée d’adrénaline, le fun quoi… ! J’attends qu’une occasion se présente.
Mon beau sapin :
C’est l’hiver, j’ai un pote qui vend les sapins de Noël sur la plaine de Plainpalais. C’est quand même un boulot ingrat, faut battre de la semelle par un froid de canard pour gagner quelques centaines de francs.
– Eh Marcel… viens te réchauffer un moment au bistrot en face, je t’offre un vin chaud.
– Dis… combien tu les payes tes sapins ?
– 5 fr. les rouges et 8 fr. les argentés. Je double, je me fais 2 à 3000 – fr. si je peux en vendre 500 pièces, mais faut encore fabriquer et clouer les croix en bois pour le pied.
– Je te propose un marché, je connais un endroit dans le Jura, où ils ont déjà coupé des milliers de sapins. Tu vois le topo, on y va les deux et on les charge dans mon fourgon, ni vu ni connu, qu’est ce que t’en penses.
– T’es certain qu’il n’y a pas de risques ?
– Ben non… on y va de nuit, il y a une route, si t’es OK on fait fifty-fifty.
– Ça marche.
– Rendez-vous ici, je te prends à 20 heures. Prends des gants, ça va cailler.
Vers 21 heures nous sommes à pied d’œuvre, dans une forêt au-dessus de Begnins. Fait froid et il y a 50 cm de neige, heureusement le chemin a été déneigé.
De chaque côté des sapins coupés et rangés en tas prêt à être enlevé. Nous les chargeons et les entassons jusqu’au toit du Tube Citron, pour les décharger dans mon dépôt et faire un second voyage, je pense qu’il a environ 1000 sapins.
Il est passé minuit, lorsque nous avons terminé.
– Je me méfie, on n’est jamais assez prudent, je te les livre au fur et à mesure de tes besoins, faut pas attirer l’attention.
Bien m’en prend, le lendemain matin, sur le coup des 11 heures des inspecteurs forestiers, viennent examiner les sapins sur les stands des vendeurs.
– Il y a eu des vols, nous cherchons si des arbres provenant de nos forêts auraient atterri par hasard ici.
Ils ne trouveront rien, j’ai eu chaud.
Marcel et moi, on s’est quand même mis 4000 fr. dans la fouille chacun sur ce coup-là. Oui, je sais, j’ai fait une dérogation à mes principes, j’ai mis une autre personne dans le coup. Je n’allais quand même pas aller vendre les sapins moi-même, par un froid pareil… non, mais !
Quelques semaines plus tard, je me promène sur le marché aux puces de Plainpalais, quand je rencontre Marcel le broco vendeur de sapin qui occupe une place sur le marché.
– Eh Blaise… viens, on va boire un verre en face.
Une fois installés devant 3 dl de blanc.
– J’ai un service à te demander, tu pourrais venir avec ton camion la nuit prochaine, dans la région de Nyon. C’est pour chouraver une bobine de câble en cuivre. Tu fais uniquement le transport, 1000 fr. pour le déplacement jusqu’à la décharge de Bernex. Aucun risque, je brûle le câble et le découpe en petit morceau avant de le vendre chez le grossiste-ferrailleur de Carouge.
– Elle pèse combien ta bobine ?
– 1 tonne environ. J’ai besoin de ton fourgon, avec son pont à 35 cm du sol, c’est plus facile pour rouler la bobine.
– C’est OK, parce que c’est toi, mais je ne pense pas que c’est possible seulement à deux.
– Je vais demander à mon frère de nous donner un coup de main.
Je ne le sens pas ce coup-là, mais pas du tout !! Attention danger, 3 mecs sur l’affaire, merde, j’aurais dû refuser. Tant pis, c’est trop tard pour faire marche arrière. Nous voilà donc à 2 heures du mat, sur le chantier d’une ligne à haute tension, près d’un transformateur. À l’extérieur du grillage de protection, à ciel ouvert des bobines de câble, il y en a au moins 50.
– T’es sûr que c’est encore hors service, moi je ne m’approche pas du transfo, je n’ai pas envie de me faire griller.
– S’il y avait du courant, on entendrait le sifflement de l’électricité, non… non, rien n’est encore branché. D’ailleurs ce n’est pas la première fois que je viens…
En 15 minutes c’est chargé, attaché, calé, faudrait pas la perdre sur la route. C’est fait, on se tire, retour par les petites routes, puis – Pont Butin – Confignon – Bernex, décharger dans les buissons à l’abri des regards en bordure de la décharge, Marcel connait bien le coin apparemment.
– Tiens tes mille balles comme convenu.
– Salut, les potes, je me tire. Faites gaffe quand même, pas d’embrouille.
Je ne peux pas m’empêcher, pour la première fois, d’avoir un nœud sur l’estomac. J’ai commis trop d’erreurs par amitié, ça c’est pas bon… pas bon du tout.
********************
Rien à se mettre sous la pince !! (main) en ce moment, j’ai beau y réfléchir, étudier d’éventuels projets d’action de soustraction… rien de rien, je dois être trop prudent.
Ce soir je vais me distraire en regardant jouer le Genève Servette Hockey Club (GSHC) qui rencontre le HC Fribourg-Gottéron. Ce sont souvent des matches mémorables.
Je me rends à la patinoire des Vernets, 4 guérites en béton, à l’extérieur sur le parking, font office de caisse, une queue de 50 personnes s’allonge devant chacune d’elle.
À l’intérieur 10.000 spectateurs font chauffer l’ambiance. Ça hurle, ça agite des banderoles, ça s’invective entre supporters, d’une tribune à l’autre.
Au tiers-temps, je descends les escaliers en direction des bars, ça se bouscule, enfin je tiens une bouteille de bière, juste le temps de remonter prendre ma place.
Zut… Servette H.C. a perdu 4-6.
C’est sur le chemin du retour que l’idée jaillit. Yes… mais bien sûr, attends… attends… doucement, réfléchissons calmement. Du fric en cash et en petites coupures.
Voyons 10.000 X 15 fr. en moyenne = 150.000 fr.
C’est dans mes tarifs pour la prise de risque. Pour la faisabilité, va falloir étudier la question sur place à l’occasion des prochains matchs.
Vous avez compris l’idée générale, je vais me faire la recette d’un match de hockey.
Enfin, je le tiens mon gros coup. Je sens déjà la montée d’adrénaline. Je tiens aussi ma revanche, vous vous rappelez, l’histoire de la patinoire Krieg… je vous l’avais dit.
Attention, quand même, faudrait pas se faire choper et finir en taule.
Chaque samedi je me rends à la patinoire… prends un billet pour le match du soir, et pendant que les supporters hurlent dans les gradins, je me promène dans les couloirs déserts. Je mets en place mon plan d’action. Je note dans un carnet le résultat de mes observations.
Ouverture des caisses, sans importance pour mon plan.
Fermeture des caisses extérieures et fermeture des portes de la patinoire à la fin du 1er tiers-temps.
Une seule porte reste ouverte, contrôlée par un garde sécuritas.
À la fin du 1er tiers-temps, les 4 caissiers sortent de leurs cabines en même temps, chacun tient à la main une mallette en cuir noir avec la recette du soir.
Ils passent devant le sécuritas qui garde la porte, lui font un petit signe de la main, pénètrent dans la patinoire et prennent à gauche jusqu’à l’escalier qui se trouve au bout du long couloir qui mène aux bureaux de la direction.
Pour allez plus loin, j’use d’un stratagème, je bois quelques verres de blanc à un des bars qui se trouvent dans l’allée principale.
Le moment venu, je suis les caissiers dans l’escalier, ils m’aperçoivent juste au moment de pénétrer dans le bureau marqué « comptabilité ».
– Eh mec… qu’est-ce que tu fous là ?
– Hein… quoi ! Je… je cherche ma place.
– Fous le camp, tu t’es trompé d’escalier.
– Non msieur… regardez mon ticket, escalier C place 124.
– Ici c’est un lieu privé, t’es aveugle ou quoi ?
– Laisse Émile, tu vois bien qu’il est bourré.
– Allez dégage, maintenant.
J’ai eu le temps de voir un des employés ouvrir la porte, fermée par 1 seule serrure.
Je redescends avec peine l’escalier, je m’assieds sur la dernière marche, l’air très fatigué, mais je minute le temps, qu’ils mettent pour ressortir du bureau;
3 minutes 45 secondes, lorsqu’ils passent tous les quatre devant moi en ricanant.
– Allez, viens, ne reste pas là, on va t’accompagner à ton escalier C.
– Merci, les potes, vous êtes super...
– Oui… allez, grouille-toi, nous aussi on veut voir la fin du match.
Il est 21 h 30, dehors la nuit est tombée.
Réflexion : en 3 minutes, selon mes calculs, ils ont juste eu le temps de ranger les mallettes dans une armoire.
Mais ça… je ne pourrai jamais le savoir, avant d’être moi-même dans la place, le moment venu. C’est le piment, la part d’incertitude.
Reste une dernière chose à vérifier, vont-ils revenir à la fin du match pour compter la recette et la mettre dans un coffre fort. Pas ce soir, le coup du type bourré, pourrait subitement activer leurs neurones.
Je contrôlerai cet aspect de leur emploi du temps une autre fois, avec un autre accoutrement.
Bonsoir, je vais me coucher.
Finalement je n’ai pas réussi à élucider ce point, parfois ils reviennent et d’autre fois non. Cela n’a pas d’importance, je ferai le coup pendant les 20 minutes de la deuxième période du match.
Je suis prêt à passer à la réalisation, tout le déroulement de l’action est en place dans ma tête, j’ai brûlé le carnet de notes.
J’attends juste un soir de grand match qui remplit l’arène de 10.000 fans des deux camps, chauffés à blanc et à moitié bourrés.
J’y suis… une finale de championnat entre le Servette HC et Kloten (les aviateurs) de Zurich. Pour chauffer, ça va chauffer.
Je patiente jusqu’à la dernière minute, qu’il fasse suffisamment nuit pour acheter mon billet, je prends une place au populaire histoire de ne pas me faire remarquer dans la liesse du 2éme tiers-temps.
En début de la seconde période, j’attends 5 minutes, qu’il n’y ait plus personne dans l’allée principale, et d’un pas nonchalant, je me dirige vers l’escalier des bureaux, un sac de sport sur l’épaule pour y mettre ma récolte ! Arrivé devant la porte au trésor, les pulsations montent…
Je sors le pied de biche et l’introduis dans l’angle supérieur du battant. Il s’entrouvre de 2 cm, juste la place pour placer le coin en bois dur qui remplace les bouchons du début (vous vous rappelez), ensuite c’est la même technique, tirer sur la barre d’acier et faire descendre le coin.
Encore un peu, 20… 30 cm et bang… heureusement les hurlements dans la patinoire couvre le coup de fusil de la serrure qui saute. La porte est ouverte.
J’entre et la repousse le plus possible. Je suis dans la place.
Où sont mes chères mallettes noires ?
Pas sur les bureaux, je ne vois rien au premier abord.
Ah… là contre le mur du fond une grande armoire métallique à deux portes, j’essaie de l’ouvrir, mais elle est fermée a clé. L’interstice et trop petit pour introduire la pince… ??
Un grand coup de pied au milieu du battant, et une petite fente s’ouvre, suffisante pour le pied de biche.
Cracc… l’armoire est ouverte.
Ouiiii… sur le rayon du milieu, les quatre mallettes sont là, bien rangées verticalement l’une contre l’autre.
10 minutes déjà, il me reste encore 5 minutes avant la fin de la deuxième période. Faut faire fissa maintenant.
Par chance, même pas de combinaison sur les mallettes, clic… la première s’ouvre pleine de billets multicolores bien empilés par valeur : 10 - 20 - 50 - 100 pas de 1000 fr. - c’est normal, la deuxième et la troisième idem, je les vide dans le sac de sport. La troisième est particulièrement lourde, je l’ouvre, merde ! elle est pleine de monnaie, trop lourde à emporter, je la laisse sur le bureau.
Je ferme mon sac, l’accroche sur mon épaule, sors de la pièce, repousse la porte fracturée et descends l’escalier au moment où les spectateurs déboulent par centaines en direction des bars.
J’enroule rapidement autour de mon cou, l’écharpe violette aux couleurs du Servette HC. Je sors une bière de ma poche, préparée à l’avance, vu que s’approcher des bars dans cette cohue est mission impossible.
Toutes les portes sont ouvertes et de nombreuses personnes sortent prendre l’air sur le parvis de la patinoire. Je suis le mouvement et m’éloigne tranquillement en direction de la passerelle des Vernets qui traverse l’Arve.
J’ai garé ma voiture juste de l’autre côté, dans les parkings qui longent le quai de l’École de Médecine.
Il est 23 h lorsque je rejoins mon appartement, je glisse le sac de biffetons sous mon lit, me sert un double whisky, je peux enfin décompresser.
J’ai pleinement réussi mon coup. Je m’endors tout habillé.
8 heures. Je me réveille brusquement, j’ai de la peine à réaliser, ai-je rêvé, je me penche et regarde sous le lit, le sac est bien là. Je le tire et l’ouvre, je n’en reviens pas, il est plein à raz bord de billets de banque.
Faudrait les compter, bon j’ai le temps, et puis les journaux vont certainement me renseigner.
Je descends acheter ; «La Tribune de Genève».
Je descends acheter ; «La Tribune de Genève».
Pour être renseigné, je le suis. En première page une photo de la patinoire et un gros titre :
«Cambriolage audacieux aux Vernets»
Un montant de 160.000 fr. a été dérobé dans le coffre des bureaux de la direction. Une enquête de police a été ouverte. Aucune piste sérieuse pour le moment.
Un fait m’intrigue, comment la somme de 160.000 fr. a-t-elle pu être annoncée, puisque je sais moi, mieux que personne, que les caissiers n’avaient pas encore compté la recette de la soirée. Et le coffre… quel coffre, je n’ai vu qu’une armoire. Encore une histoire d’assurance.
Bien… je suis quand même soulagé, personne ne sera lésé, l’assurance payera.
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