jeudi 18 février 2016

Tome 2 : CHAP. N°1- ALGER 1954 LE DÉBUT DE LA FIN



ALGÉRIE, TERRE D´ÉCUEIL








L’odyssée d’un “petit suisse“ parti à la mauvaise date (1er novembre 1954) et à la mauvaise époque, pour une lune de miel, qui sera pris malgré lui dans la tourmente tragique des années rouge sang de la révolution algérienne.
Il lui faudra choisir entre son petit confort et ses convictions sociales héritées de son pays d’origine et la révolte de sa conscience devant l’exploitation abusive d’indigènes frustrés de leurs terres ancestrales par les dérives d’une colonisation qui ne dit pas son nom.
Engagé par un des plus riches propriétaires  d’Algérie, il sera confronté à la dure réalité du terrain, à l’injustice, à l’impitoyable tyrannie, à la brutalité allant jusqu’à la mort, dans l’indifférence aveugle et cupide des maîtres du jeu.
Il ralliera la cause de l’indépendance, aidant les rebelles ou combattants de la liberté, c’est selon… – suivant de quel côté on se trouve !
Lorsque l’heure de régler définitivement les comptes viendra, la main de Dieu ou d’Allah, c’est selon ! étendra sa protection le préservant d’une mort certaine.

De retour dans la pacifique Helvétie, il mettra à profit ce gain de vie, pour s’engager après bien des errances… dans les partis humanistes et mondialistes de la paix et de la santé pour tous.






       

Je précise que tous les faits rapportés dans cet ouvrage sont exacts, bien que romancés par nécessité littéraire, je me suis efforcé de rester le plus impartial possible.
Afin ne pas porter préjudice à qui que ce soit, les lieux décrits et les noms évoqués ont été modifiés et toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne pourrait qu'être fortuite. 
Quand je vois - après 60 ans - les vives polémiques sur ce sujet…
Les commentaires des extrémistes de tout bord sur internet…
Ne sachant si Assad dit l’Agronome... vit encore….

je ne dévoilerai pas son nom. Vous vous doutez bien qu’il s’agissait d’un haut responsable du FLN.-




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PROCLAMATIONS 

Du 1er NOVEMBRE 1954





Les grandes villes algériennes à l’image d’Alger, Oran, Constantine, Bougie, Bône (Annaba), Philippeville (Skikda), Tlemcen et bien d’autres ont vu se créer au cours des années, une colonie de peuplement d’un million de colond pieds-noirs


      

Les campagnes restantes presque exclusivement peuplées d’autochtones, au nombre de huit millions, étaient dépourvues des services publics de base, alors qu’à Alger on vit comme à Marseille. Ailleurs, dans l’Algérie des campagnes, un jour sec et froid se lève sur Ighil Imoula, un village de la Kabylie, accroché aux contreforts du Djurdjura ; le 27 octobre 1954, le garde champêtre, un des rares habitants du village à être « du côté des Français », n’entend pas la ronéo qui tourne à plein régime chez l’épicier, Idir Rabah.
C’est là qu’est tiré, à plusieurs centaines d’exemplaires, le texte de la proclamation du 1er novembre, appelant à l’insurrection armée contre le France qui occupe le pays. Le stencil a été apporté d’Alger et pris en charge à partir de Tizi Ouzou par des militants. Le dimanche suivant, 31 octobre 1954, il fait un temps gris sur la montagne kabyle, et Krim Belkacem pense à l’hiver qui s’annonce et à ce que les maquisards, ses hommes, vont devenir. À de rares exceptions près, aucun d’entre eux n’a jusqu’ici réellement vécu en clandestin.
Vers 10 heures du matin, un messager emporte six petites lettres griffonnées de son écriture fine. Le même message, pour les six chefs de région. « Ordre de passer à l’exécution des plans arrêtés ensemble. Début des opérations, cette nuit, à partir de minuit. Respecter strictement les consignes : ne tirer sur aucun civil européen ou musulman. Tout dépassement sera sévèrement réprimé. Bonne chance et que Dieu vous aide. Fraternellement, Si Rabah, de Krim Belkacem, qui tient le maquis en Kabylie depuis de nombreuses années déjà. Au crépuscule de ce 1er novembre 1954, on n’imagine pas alors, pas plus à Alger qu’à Paris, que vient d’éclater une guerre, une véritable guerre avec son cortège d’atrocités. La guerre d’Algérie selon les historiens aura aussi raison de la IVème République, permettant le retour du général de Gaulle au pouvoir.
« Nos parents nous avaient élevés dans l’idée de l’égalité, ils pensaient que l’émancipation viendrait par l’éducation. Mais les gens de ma génération ne croyaient plus aux petits pas. Nous voulions l’indépendance du pays. Les quelque 600 000 Algériens instruits se heurtent en effet depuis des lustres au refus buté des autorités coloniales de leur faire une place dans les institutions, tandis que la grande masse paysanne est carrément exclue du développement économique et de l’éducation (5 % des enfants seulement sont scolarisés).
Les deux communautés se côtoient dans les villes, elles ne se mélangent guère. La fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a vu de nombreux Maghrébins se battre pour la libération de la France aux côtés du général Leclerc, apparaît comme la grande occasion manquée et comme le point de départ d’un nationalisme qui n’aura bientôt plus d’autre choix que celui des armes. Le 8 mai 1945, alors que l’on fête la défaite du nazisme, la région de l’Est algérien se soulève en faveur de l’indépendance. La répression sera terrible et fera plusieurs milliers de morts à Sétif, Kherrata et Guelma. Deuxième occasion manquée, trois ans plus tard, l’élection d’une Assemblée algérienne : le scrutin sera truqué, les colons avec la complicité de l’État, refusant obstinément de faire une place même réduite aux « indigènes ».
La guerre menée en Algérie par la France a fait un million et demi de chouhada (martyrs). Un demi-siècle nous sépare de ce 1er novembre 54, les cicatrices sont mal refermées, l’Algérie n’a pas fait table rase du passé. Elle demande à la France officielle de reconnaître ses crimes commis durant 132 années de colonisation.
B. Chellali — Le Maghreb


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Proclamation du F.L.N.
Appel de l’A.L.N. du 1er novembre 1954
FRONT DE LIBÉRATION NATIONAL
PROCLAMATION
Au Peuple Algérien
Aux Militants de La Cause Nationale

A vous qui êtes appelés à nous juger, le premier d’une façon générale, les seconds tout particulièrement, notre souci, en diffusant la présente proclamation, est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir, en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’INDÉPENDANCE NATIONALE dans le cadre Nord-Africain. Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents : administratifs et autres politicailleurs véreux.
Nous considérons avant tout qu’après des décades de lutte, le Mouvement National a atteint sa phase finale de réalisation. En effet, le but du mouvement révolutionnaire étant de créer toutes les conditions favorables pour le déclenchement d’une action libératrice, nous estimons que : sur le plan interne, le peuple est uni derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action, et sur le plan externe, le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs dont le nôtre avec surtout l’appui diplomatique de nos frères Arabes et Musulmans. Les événements du Maroc et de Tunisie sont à ce sujet significatifs et marquent profondément le processus de lutte de libération de l’Afrique du Nord. A noter dans ce domaine que nous avions depuis fort longtemps été les précurseurs de l’unité dans l’action. Malheureusement jamais réalisée entre les trois pays.
Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l’arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C’est ainsi que notre Mouvement National terrassé par des années d’immobilisme et de routine, mal orienté, privé du soutien indispensable de l’opinion populaire, dépassé par les événements se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l’avant-garde algérienne. L’heure est grave.
Devant cette situation qui risque de devenir irréparable, une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d’elle la majorité des éléments sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le Mouvement National de l’impasse où l’ont acculé les luttes de personnes et d’influence pour le lancer aux côtés des frères Marocains et Tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire.
Nous tenons à préciser, à cet effet, que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l’intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et de prestiges, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi obstiné et aveugle, qui s’est toujours refusé d’accorder la moindre liberté par des moyens pacifiques.
Ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de rénovation se présente sous le nom de : FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération.
Pour nous préciser, nous retraçons ci-après les grandes lignes de notre programme politique.
BUT : INDÉPENDANCE NATIONALE par :
1°) La restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ;
2°) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de confession.
OBJECTIFS INTÉRIEURS :
1°) ASSAINISSEMENT POLITIQUE par la remise de Mouvement National Révolutionnaire dans sa véritable voie et par là l’anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme causes de notre régression actuelle.
2°) RASSEMBLEMENT ET ORGANISATION de toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial.
OBJECTIFS EXTÉRIEURS :
1°) Internationalisation du problème algérien.
2°) Réalisation de l’unité Nord-Africaine dans son cadre naturel arabo-islamique.
3°) Dans le cadre de la Charte des Nations Unies, affirmation de notre sympathie agissante à l’égard de toutes les Nations qui appuieraient notre action libératrice.
MOYENS DE LUTTE : Conformément aux principes révolutionnaires et compte tenu des situations intérieures et extérieures, la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu’à la réalisation de notre but.
Pour atteindre ces objectifs, le Front de libération nationale aura deux tâches essentielles à mener de front et simultanément : une action intérieure tant sur le plan politique et de l’action propre, et une action extérieure en vue de faire du problème algérien une réalité pour le monde entier. C’est là une tâche écrasante qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies et de toutes les ressources nationales. Il est vrai, la lutte sera longue, mais l’issue est certaine.
En dernier lieu, afin d’éviter les fausses interprétations et les faux-fuyants, pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes :
1°) L’ouverture de négociation avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne une et indivisible.
2°) La création d’un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d’exception et l’arrêt de toutes les poursuites contre les forces combattantes.
3°) La reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration officielle abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l’Algérie une « terre française » en déni de l’Histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des mœurs du peuple algérien ;
En contrepartie :
1°) Les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que les personnes et les familles.
2°) Tous les Français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité d’origine et seront de ce fait considérés comme des étrangers vis-à-vis des lois en vigueur ou opteront pour la nationalité algérienne et dans ce cas seront considérés comme tels en droit et en devoirs.
3°) Les liens entre la France et l’Algérie seront définis et feront l’objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l’égalité et du respect de chacun.
Algérien ! Nous t’invitons à méditer notre Charte ci-dessus. Ton devoir est de t’y associer pour sauver notre pays et lui rendre sa liberté. Le Front de Libération Nationale est ton front. Sa victoire est la tienne. Quant à nous, résolus à poursuivre la lutte, sûrs de tes sentiments anti-impérialistes, forts de ton soutien, nous donnons le meilleur de nous-mêmes à la Patrie.              
 LE SECRÉTARIAT.

A.L.N. – APPEL au Peuple Algérien,
A l’exemple des peuples qui ont brisé les chaînes de l’esclavage et de l’oppression,
En accord avec tes frères Marocains et Tunisiens auxquels tu es lié par des siècles d’histoire, de civilisation et de souffrance, tu ne dois pas oublier un seul instant que notre avenir à tous est commun.
Par conséquent, il n’y a pas de raison pour ne pas unifier, confondre et intensifier notre lutte. Notre salut est un et notre délivrance est une, dissocier le problème maghrébin c’est aller contre une réalité historique qui, à dater de 1830, fait notre malheur à tous.
En outre, pense un peu à ta situation humiliante de colonisé, réduit sur son propre sol à la condition honteuse de serviteur et de misérable surexploité par une poignée de privilégiés, classe dominante et égoïste qui ne cherche que son profit sous le couvert fallacieux et trompeur de civilisation et d’émancipation.
À propos de civilisation, nous te rappelons quelques dates illustres : 1830 avec ses rapines et ses crimes au nom du droit du plus fort : 
1870 suivie de massacres et d’expropriations qui ont frappé des milliers d’Algériens ; 1945 avec ses 40 000 victimes ; 1948 et ses élections à la Naegelen ; 1950 avec son fameux complot. Comme tu le constates, avec le colonialisme, la Justice, la Démocratie, l’Égalité ne sont que leurre et duperie destinés à te tromper et à te plonger de jour en jour dans la misère que tu ne connais que trop.
Si à tous ces malheurs il faut ajouter la faillite de tous les partis politiques qui prétendaient te défendre, tu dois te convaincre de la nécessité de l’emploi d’autres moyens de lutte.
C’est pourquoi, conscients de la gravité de l’heure, au coude à coude, avec nos frères de l’Est et de l’Ouest qui meurent pour que vive leur patrie respective, nous t’appelons à secouer ta résignation et à relever la tête pour reconquérir ta liberté au prix de ton sang.
Dans ce domaine, nous savons ce dont tu es capable, mais au départ nous voudrions attirer ton attention sur la manière de servir les forces de libération qui, pour ton bonheur, ont fait le serment sacré de tout sacrifier pour toi.
1°) Reste calme et discipliné. Ne te laisse pas aller au désordre qui ne peut servir que l’ennemi.
2°) Ton devoir impérieux est de soutenir tes frères combattants par tous les moyens.
3°) Sois vigilant. L’ennemi te guette et surveille tes moindres gestes pour gêner ton action.
Prends garde aux faux communiqués, aux mensonges, à la corruption, aux promesses dont le but est de te détourner de la voie que nous ont dictée notre religion et notre devoir national.
Pour finir : – Toute inattention peut coûter la vie à des hommes.
– Toute indiscrétion peut engendrer des conséquences graves.
Donc, sans perdre une minute, organise ton action aux côtés des forces de Libération à qui tu dois porter aide, secours et protection en tous lieux et en tous moments.
Se désintéresser de la lutte est un crime.
Contrecarrer l’action est une trahison.
DIEU est avec les combattants des justes causes et nulle force ne peut les arrêter désormais hormis la mort glorieuse ou la Libération Nationale.

VIVE L’ARMÉE DE LIBÉRATION
VIVE L’ALGÉRIE INDÉPENDANTE


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Les 6 chefs historiques du F.L.N. Photos prise juste avant le déclenchement de la révolution de 1er novembre 1954. (de gauche à droite)




Rabah Bitat*, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad,   Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’Hidi.



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Départ pour Alger


 
Un embarquement inquiétant ! 


Samedi 31 octobre 1954.
Quai d’embarquement de la Cie Gle Transatlantique.


       

Dans l’immense halle de départ, sur les quais et la rampe d’accès, une foule bigarrée se presse, des milliers de personnes, uniquement des hommes, des Arabes apparemment, s’interpellent dans un brouhaha étourdissant.
Ça… ce n’était pas prévu. Qu’est-ce qui se passe ?
Je me fraie difficilement un passage jusqu’à un des guichets de la Cie, je ressens une certaine agressivité autour de moi.
Dans les bureaux, c’est l’affolement, des employés courent dans tous les sens, téléphonent, examinent de longues listes de noms.
Je réussis à attirer l’attention de l’un d’entre eux en brandissant mon billet de 1ère classe. 
– Oui, que voulez-vous .
– Qu’est-ce qui se passe ici ? faut-il monter maintenant sur le bateau ?
– Non… non, pas possible, nous sommes débordés, des milliers d’Algériens rentrent aujourd’hui dans leurs pays, je ne sais pas pourquoi !
– Écoutez… j’attends quelqu’un… enfin… peut-être. C’est mon amie, elle ne va jamais me retrouver dans ce bazar, pourriez-vous faire une annonce au haut-parleur.
Devant son air excédé, je comprends que le temps du bakchich a commencé. Je lui glisse un billet de 1000 AF, puis un second…
– D’accord, écrivez-moi l’annonce, me dit-il en me tendant un morceau de papier – faites court sinon ça ne passera pas.
J’écris rapidement en grosse majuscule :
« BLAISE  ATTEND MARIE  AU  GUICHET DE LA C.G.T»
Il se saisit du texte, et disparaît dans un local au fond des bureaux — 10 bonnes minutes se passent et rien !! – Je commence à craindre de m’être fait avoir – brusquement au milieu des grésillements une voix tonitruante se fait entendre.
– ici les bureaux de la Compagnie Générale Transatlantique – silence non de dieu – « Blaise attend Marie au guichet première classe ».
– Je répète : « Blaise Le Wenk attend Marie au guichet première classe »
Ouh… Ouhhhh… une vague de sifflets accueillent l’annonce. 
Je me fais tout petit, tassé sur mon sac, lorsque la manifestation s’est calmée, j’attends 5 minutes, et me redresse lentement conscient que personne ne peut m’apercevoir ainsi.
Heureusement, je mesure 188 cm et je domine suffisamment la scène pour observer tout déplacement insolite dans cette fourmilière humaine.
Les minutes passent et toujours rien, il est 14 h dans 1 h il faudra embarquer.
Tout à coup, je distingue une forme claire, glissant furtivement le long du mur en béton gris du halle d’embarquement, je la reconnais immédiatement, c’est Marie – elle est encore à 50 mètres au moins et sa progression parait difficile. Je ne peux rien faire tant la foule est compacte, je crie.
– Marie… Marie… mais elle ne peut pas m’entendre, je monte sur mon sac en m’appuyant au montant du guichet, et j’agite frénétiquement les bras. 
– Par ici… par ici. 
Elle m’aperçoit, elle parait terrorisée, des bras se tendent vers elle, la bouscule, la situation devient dramatique, mon sang ne fait qu’un tour, je plonge dans la mêlée, fend la foule en jouant des épaules et des poings, en un instant je suis près d’elle, je la saisis à bras le corps, tente de la soulever, mais elle se cramponne à sa valise qui parait bien lourde, des dizaines d’hommes nous entourent, nous pressent en criant des mots en Arabe, ont ne progresse plus, je suis hors de moi, je hurle… 
Tout à coup… silence, le calme se fait. Un homme de belle prestance en costume cravate est devant moi, il harangue les hommes qui nous harcèlent, en arabe, se saisit de la valise et nous ouvre le chemin en direction du guichet.
Mon sac est toujours là, je tiens Marie par la main, hébétés nous sommes incapables de parler et ne savons pas ce qui arrive.
L’homme nous tend la main.
– Bonjour…je m’excuse pour ce qui vous arrive, je me présente "Assad".
Je lui saisis la main avec ferveur.
– Merci… merci, je m’appelle Blaise et voici Marie, nous arrivons de Genève et nous nous rendons à Alger. Vous nous avez sauvé la vie, nous vous en sommes reconnaissants.
– Je vous expliquerai plus tard, pour l’instant restez près de moi, ne me quittez sous aucun prétexte, votre vie en dépend.
Avec Marie, nous n’avons pas encore pu nous adresser une seule parole. Je la serre contre moi, je la sens trembler, son visage est blafard, moi-même ne suis pas trop rassuré. Le pire c’est que nous n’avons aucune idée de ce qui se trame. Je me retourne vers le guichet de la Cie où l’employé, bien à l’abri dans son bureau, conserve une sérénité qui me tranquillise. 
Son calme me ramène immédiatement à la réalité, bien que j’aie de la peine à réfléchir — va-t-on vraiment pouvoir embarquer ? Ah… oui, je pose la question au préposé, oui, oui, si vous avez vos billets pas de problème, un agent de la Cie va vous accompagner à votre cabine. Aïe.… Les billets.
– Marie t’as ton billet ?
– Non…
– Quoi, t’as pas pris un billet à Genève ?
– Non… je… je pensais l’acheter ici.
– Bon… Monsieur, donnez-moi un second billet 1ère classe.
– Ça, ce n’est pas possible, vous devez passer par une agence de voyages, ici nous ne délivrons que des billets pour les 3ème et 4ème classe.
Là… je me prends la tête à deux mains, dans quel imbroglio sommes-nous…
Mon cerveau mouline, mais rien n’en sort, pas d’agence ici, plus le temps et nous ne sommes pas en sécurité – que faire – il faut impérativement prendre une décision rapidement.
– Bon… Monsieur s.v.p. donnez moi  2 billets de 3ème ou 4ème classe. Pouvez-vous me reprendre mon billet de 1ère classe ? 
– Pour le billet de 1ère Cl. c’est impossible, vous devez vous le faire rembourser chez Danzas, ils ont une agence à Alger. Pour les billets de 4ème, je veux bien, mais je vous le déconseille vivement, toutes les personnes que vous voyez là vont en 4ème dans les cales, sans accès au pont supérieur.
Je me retourne vers notre sauveur, toujours présent.
– Je suis obligé de prendre deux 4ème classe — qu’en pensez-vous, est ce bien prudent, dans ces circonstances, avec tout ce monde.
– Ne vous inquiétez pas, j’assurai votre protection jusqu’à Alger, mais je vous préviens que les conditions risquent d’être assez pénibles.
– OK — Deux 4ème classe svp.
Je paye, une somme ridicule, prend les billets, les fourre dans ma poche.
Les dés sont jetés — inch' Allah !
Entre temps, l’immense salle s’est partiellement vidée, je saisis mon sac et la valise de Marie.
– Allons-y, embarquons.
Nous prenons place, accompagné d’Assad notre fidèle garde du corps, dans l’interminable file d’attente qui avance au pas et qui, arrivée en haut de la passerelle disparaît dans les entrailles du navire.
La progression est difficile, ça bouscule, ça monte et faut traîner nos lourds bagages. Impossible de se parler, je regarde Marie en lui souriant, histoire de la réconforter, j’éprouve de la peine pour elle de l’avoir embarquée dans cette galère.
Et ce n’est pas fini, ça ne fait que commencer !
Après 1/2 heure, nous atteignons le niveau moins 3 au-dessous… j’en ai le souffle coupé, la cale immense, occupe l’entière largeur du bateau, haute comme une cathédrale, sombre – seule une lumière blafarde diffusée de chaque côté par une rangée de hublots éclaire la scène. Partout des individus s’installent à même le sol ou sur des chaises longues en toile.
Marie et moi restons pétrifiés, immobiles, refusant d’avancer plus loin. Assad examine la scène d’un regard énergique et d’un geste péremptoire, nous fait signe d’avancer, comme tout à l’heure il nous fraie un chemin en direction d’un grand escalier, fermé par une grille, au centre de la cale. Après un court conciliabule, les hommes qui s’y trouvent se déplacent, obéissant avec déférence.
De plus en plus étrange – mais qui est Assad ?
Un peu rassurés, nous posons nos bagages et nous nous installons entre deux grandes piles de chaises longues attachées avec des sangles. 
Nous ouvrons deux de ces chaises branlantes, en toile avec une armature de bois. Nous nous y affalons épuisé, Assad s’asseye devant nous à même le sol, ouvre sa valise et en sors un thermos.
– Thé menthe sucré — 
Il nous tend un gobelet, nous buvons chacun à notre tour le breuvage revigorant. J’en profite pour dire toute notre reconnaissance à Assad et par la même occasion, je lui demande qui il est.
– Je suis agronome et je travaille à Grenoble, mon nom est Assad.
– Il est plus prudent pour vous et pour moi que vous n’en sachiez pas plus.
Devant son air catégorique, je n’insiste pas.
– Ici vous êtes en sécurité, restez discrets et distants, faites preuve de retenue, ne vous embrassez pas, pas de geste indécent, vous avez bien compris. Sinon je ne réponds plus de rien.
J’acquiesce d’un mouvement de tête.
Devant mon étonnement — quelle coïncidence – je lui dis que je suis également agronome et que je vais en Algérie pour trouver du travail, que mon amie qui se nomme Marie, m’accompagne. Sur ces entrefaites, Assad nous tourne le dos et entame une conversation à voix basse avec quelques hommes qui lui font face.
Allongés, côte à côte sur nos chaises longues. Marie et moi restons silencieux un bon moment, sonnés par le déroulement des derniers événements.
Soudainement un bruit sourd envahi l’espace, le plancher vibre de toute part, surpris nous nous redressons et regardons autour de nous inquiets – le «VILLE D’ALGER» quitte le quai – C’est le départ, le moment est historique à plus d’un titre. Une folle envie me prend de serrer Marie dans mes bras, mais les conseils de prudence d’Assad me reviennent à l’esprit et je me fige sur place, me contentant de la regarder et de mettre un doigt sur ma bouche.
Nous nous réinstallons dans nos chaises, et sombrons dans un sommeil agité.
Lorsque je me réveille, des ampoules brillent aux plafonds, derrière les hublots il fait nuit noire, je regarde ma montre, il est 22 heures. À côté de moi Marie dort calmement, on peut entendre les puissants moteurs diesel tourner à plein rendement. Assad s’est assoupi, le dos appuyé contre la pile de chaises longues. À part quelques murmures, c’est presque le silence, ce ne serait les étranges événements de la journée, tout parait normal.
Je n’arrive pas à me rendormir, mille pensées tournoient dans ma tête. 
– Faut-il continuer ou retourner en Suisse.
– Quelle est la véritable raison de l’exode de ces hommes vers l’Algérie .
– Marie ! je me sens responsable de sa sécurité.
– Ma relation avec elle n’est pas très claire, est-ce que nous nous aimons   suffisamment pour affronter les difficultés qui nous attendent ?
– Assad ! qui est-il véritablement. Il a une autorité incontestable sur tous ces hommes. Personne ne discute ses ordres !
– Pourquoi nous protège-t-il ?
Sur ces entrefaites, Marie se réveille, regarde autour d’elle, ne semble pas réaliser immédiatement où elle se trouve. Elle me regarde l’air effrayé et me fait signe qu’elle a faim. Je réalise que nous n’avons rien mangé durant les 12 dernières heures, je n’ai prévu aucune provision, pourquoi d’ailleurs ? Je pensais pouvoir nous restaurer à bord. J’allume discrètement une cigarette et la tends à Marie 
– Tiens comme coupe-faim. 
Nous n’osons pas parler, et pourtant nous avons tant de choses à nous dire.
Je me lève et sautille sur place pour me dégourdir les jambes. Assad m’aperçoit et se dirige vers moi.
– Prenez vos bagages et suivez-moi, faites doucement et regardez où vous mettez les pieds.
J’ai renoncé à discuter et à comprendre, nous sommes tous les deux à sa merci bienveillante.
Je me saisis des bagages, fait passer Marie entre moi et Assad. Nous nous faufilons discrètement entre les dormeurs étendus sur le sol. Nous arrivons rapidement devant la grille qui ferme le grand escalier. Un matelot en uniforme de la Cie est là, derrière la grille, il l’entrouvre… nous fait passer, et la referme rapidement.
– Chuut… montez.
Il fait nuit noire, j’essaie de sentir le bord des marches du bout du pied.
Notre petite troupe arrive enfin sur le pont supérieur. La coursive débouche sur l’extérieur, d’où l’on peut voir l’écume blanche des vagues. Je comprends que nos tribulations ont pris fin.
Assad prend la parole :
– Ici vous êtes en sûreté, je me suis arrangé avec le personnel, installez-vous, dans quelques heures vous pourrez aller prendre le petit déjeuner au restaurant de bord.
– Ah… encore une chose, le débarquement à Alger est prévu à 8 heures, attendez-moi ici, je viendrai vous chercher.
Mais qui est cet Assad qui commande même le personnel de ce bateau. Cette question me préoccupe de plus en plus. Hélas… Je connaîtrais la réponse à cette énigme, seulement 8 ans plus tard, à Genève en mars 1962.
Pour l’heure profitons du moment, nous pouvons parler à haute voix, nous promener sur le pont, et même nous embrasser. Il n’y a que quelques personnes accoudées à la rambarde qui regardent la mer scintiller sous le clair de lune.
Après ces heures d’angoisse, la transition est brutale, nous sommes comme libérés, mais il nous faut un peu de temps pour s’en remettre.
La nuit s’éclaircit, l’aube peu à peu envahit l’horizon, nous restons un long moment serrés l’un contre l’autre sans rien dire, chacun plongé dans ses pensées.
Le tintement d’une clochette agitée par un steward galonné nous tire de nos rêveries.
– Petit déjeuner — premier service… dind.ding.ding — petit-déjeuner… premier service… petiiiit…
Affamés, nous nous précipitons dans la salle et nous installons confortablement à une table.
– Madame… Monsieur… bonjour. Thé… ? Café… ?
– Café, café.
Le garçon dépose devant nous une cafetière d’argent, un panier de croissants, du beurre et un pot de miel.
– Puis-je avoir votre Nº de cabine svp.
Euh… surpris, je sors, discrètement mon billet de première classe inutilisé et regarde le numéro de ma cabine, inutilisée elle aussi.
– Excusez-moi, j’ai oublié, voilà… la 27.
– Merci… bon appétit.
Ouf… j’ai craint un instant qu’on nous ramène presto au pont inférieur.
Jamais un repas n’a été accueilli avec tant de ferveur, presque 24 heures que nous n’avons rien mangé. Les croissants-beurre-miel sont rapidement dévorés avec 2 ou 3 tasses de café noir brûlant bien sucré. C’est le Paradis, le jardin des délices !!
Nous commandons une seconde ration, profitons, on ne sait jamais ce qui nous attend. 
Enfin rassasiés, nous commentons les événements des dernières 24 heures. 
Je pense aux milliers de personnes entassées dans les ponts inférieurs, qui n’ont pas de petit-déjeuner.
Je pense à ce que l’avenir nous réserve sur cette terre d’Afrique.
Au mystérieux Assad. À mon futur travail, A Marie, à… à…
Le jour, maintenant est complètement levé, le soleil encore rouge, brille à l’horizon, éclairant de ses rayons la salle, allumant de milles feux les cafetières argentées posées sur chaque table.
Une certaine agitation signale une proche arrivée, nous nous levons et dirigeons nos pas sur le pont extérieur en direction de la proue. 
Nous ne voulons pas rater le spectacle de l’apparition de la terre au loin.
Nous ne sommes pas déçus, peu à peu, la ville d’Alger surnommée Alger la Blanche sort de la légère brume qui s’étend à la surface de l’eau. C’est presque féerique, unique, pour nous et les nombreux passagers qui se pressent à la proue du navire. Les maisons serrées les unes contre les autres font une tache éclatante sur le versant de la colline qui domine le port.
Nos regards ne peuvent se détacher de ce merveilleux tableau, c’est ici que nous allons débuter une nouvelle vie, sentimentale et professionnelle, maintenant tout parait facile.
Une voix derrière notre dos nous surprend. Assad…
– Elle est magnifique ma ville, n’est-ce pas !!
Une lueur de fierté brille dans ses yeux.
– Bonjour, vous allez mieux, maintenant ? Accompagnez-moi, nous allons nous diriger vers la passerelle de débarquement.
Le bateau est immense, il nous faut bien 20 minutes, de coursives en escaliers pour arriver à proximité d’une sortie où se pressent déjà bon nombre de passagers.
Un choc, des grincements, le bruit des machines qui s’amenuisent.


Le –"VILLE D’ALGER". –   s’immobilise. Nous sommes à quai. 
Le débarquement est plus rapide que l’embarquement chaotique de la veille, nous nous retrouvons rapidement sur le quai où une nuée de taxis, de porteurs, de petits vendeurs accueille à grands cris les voyageurs.
Tout va très vite. Assad fait signe à un taxi, lui parle à l’oreille et lui glisse un billet dans la main.
– Allez, montez. J’ai donné l’adresse d’une pension pas trop chère, vous y serez bien reçus. Nous ne nous reverrons plus. Faites attention à vous, ne vous mêlez pas de politique.
Je lui tends la main, le regarde droit dans les yeux.
– Merci Assad… je ne vous oublierai jamais. (lui non plus d’ailleurs)

Marie dans un élan de gratitude l’embrasse sur les deux joues. Puis nous nous engouffrons à l’arrière de la Peugeot 203, je regarde par la lunette arrière, Assad a déjà disparu !!
Le taxi nous emporte vers une adresse inconnue, vers l’imprévu, vers notre destin. C’est Assad qui en a jeté les dés.


Place du Gouvernement




     
Vue aérienne d'Alger et de la Casbah






15 minutes plus tard, le chauffeur arrête son taxi, nous sommes dans une grande artère commerçante.
– Voilà c’est ici que vous descendez. Cette rue s’appelle rue D’Isly, et là cette ruelle qui descend c’est l’impasse Blanchard, juste là sur la droite vous trouverez votre hôtel. Il me tend le feuillet que lui a remis Assad, dessus est indiqué " Hôtel-Pension Marta — Impasse Blanchard ". 
Nous récupérons nos bagages, payons le chauffeur et restons un moment sur le trottoir à regarder l’agitation de la rue. On se croirait dans n’importe quelle rue d’une ville européenne – magasin de luxe des grandes marques – bijouteries — bar/tabac – etc. En ce début novembre, il fait un temps magnifique, une température douce très agréable. Nous nous engageons dans l’étroite ruelle fortement en pente, 100 mètres, là sur la droite, une façade grise, une porte d’entrée ouverte, sur le coté une plaque de laiton astiquée brille « Hôtel-Pension Marta ». 
Nous y voilà, nous restons sur le palier – derrière le comptoir trône une femme d’une cinquantaine d’années, deux bras potelés, croisés devant elle soutiennent une imposante poitrine. Elle crie dans notre direction :
– Oui… vous désirez ?
Lorsqu’elle parle, on a qu’une envie, rentrer sous terre ou prendre la fuite.
– Bonjour Madame, votre établissement nous a été recommandé par un certain M. Assad. Elle se radoucit immédiatement.
– Ah oui, je vois, entrez.
– Nous voudrions une chambre pour une quinzaine de jours.
Elle nous toise de la tête aux pieds, d’un air soupçonneux.
– Vous êtes d’où ?
– Mariés ?
– Touristes ?
– C’est ça vos bagages ?
Je réponds… intimidé.
– Suisse… Genève… non, eh… oui, oui.
– Ah, je vois ! voyage de noces !
– Reste une chambre, tranquille, sur la cour, 1er étage.
– C’est 1500 F (anciens) par jour.
Allons-y… dit-elle en saisissant nos bagages sous ses énormes bras, comme deux polochons.
Étroit escalier en colimaçon, palier, un coup de pied dans une porte…
– Voilà votre chambre, installez-vous. Mon nom est Marta.
Il est 10 heures du matin ce dimanche 31 octobre. L’orage se prépare, mais nous n’en savons encore rien.
La chambre est propre, petite, meublée du strict minimum.
Un lit une place et demie — une armoire — une table — un lavabo.
J’ouvre le lit, et vérifie la propreté des draps, ouvre l’armoire et passe la main sur les rayons — ben oui, que voulez-vous, je suis Suisse —. Rien à dire c’est impeccable.
Par la fenêtre une cour avec un petit patio fleuri et deux palmiers maigrichons à moitié secs – faudra que je pense à aller les arroser.
L’examen des lieux terminé, je me tourne vers Marie, elle est assise sur le lit, l’air fatigué et pensif.
– Que fait-ont ?
– On se repose jusqu’à midi, je suis exténuée.
– D’accord, moi aussi.
Nous nous couchons tout habillés, directement sur le couvre-lit brodé, et nous endormons immédiatement.
Lorsque nous nous réveillons, il est 16 heures, mais ça va mieux.
Il faudrait déballer les bagages, bof… y a rien qui presse.
– Sortons, j’ai hâte d’aller visiter les alentours.
Nous dévalons les escaliers, en riant – bonjour Mme. Marta – elle est là derrière son comptoir. Elle nous regarde d’un air entendu !
– On va prendre l’air et manger un petit quelque chose.



Nous remontons l’impasse jusqu’à la Rue D’Isly, que nous parcourons sur toute sa longueur, arrivés devant la Grande Poste, j’en profite pour téléphoner à mes parents et les rassurer sur mon voyage. – Oui, je suis bien arrivé, Alger est magnifique, je vais bien… bla…bla… Je ne leur parle pas de Marie, je verrai plus tard suivant l’évolution de nos sentiments.
En sortant de la poste, nous retournons sur nos pas le long de la Rue D’Isly, ne connaissant pas encore la ville, mieux vaut ne pas s’aventurer sur un itinéraire ou nous risquons ne nous perdre.



Passant devant un bistrot a l’air accueillant, nous y rentrons, à l’intérieur un comptoir de zinc et quelques tables inoccupées. Le long du zinc une vingtaine d’hommes debout discutent avec animation, fument, tout en grignotant des amuses-bouches dressés dans de nombreux raviers disposés le long du comptoir. Les familiers des pays d’Afrique du Nord connaissent cette tradition :
« La Kémia » genre de tapas espagnoles servies à l’apéro pour donner soif !

Nous nous glissons dans un espace libre. Disposés devant nous, des plats multicolores remplis de préparations inconnues plus appétissantes les unes que les autres. 
(Pommes de terre au cumin et à l’harissa, branches de fenouil, pois chiches grillés, pistaches, moules à l’escabèche, olives piquantes, tramousse, poivrons grillés, morceaux de poulet, merguez, sardines grillées, etc.)
Profane dans la pratique, j’appelle le patron pour passer commande. Commerçant volubile et chaleureux, il se précipite.
– Msieu… dame, je vous souhaite la bienvenue dans mon modeste établissement, "quesque"… je vous sers ?
D’un regard j’examine les verres des autres consommateurs, j’ignore quelle est la boisson d’un blanc laiteux qu’ils sirotent à petite lampée, cela me rappelle une boisson interdite dans mon pays " l’absinthe".
– La même chose.
– 2 anisettes, c’est parti.
Je regarde la bouteille que le patron saisi avec dextérité –  Anisette GRAS 45 C ° – Une giclée — 3 vol. d’eau — 1 glaçon. 
– À votre santé. 
– Patron svp. combien ça coûte pour manger dans ces plats ?
– Aaah… Aaah… touriste hein ? C’est offert gratis, servez-vous.
Nous goûtons dans tous les plats — donne soif, c’est le but — commandons deux autres anisettes, regoûtons… sympa cette coutume et économique, plus besoin de manger pour ce soir, nous sommes rassasiés.
Nous déambulons encore le long des rues, et rentrons à l’hôtel.
En poste derrière le comptoir, plus de Marta, mais un homme chétif aux cheveux frisés noir jais, flottant dans ses vêtements, il inspirerait presque pitié avec son regard de chien battu.
– BjourMsieudam…
D’une pièce située derrière le comptoir cachée par une tenture multicolore, parvient un aboiement.
Je reconnais le timbre de voix de Marta.
– Mariii… c’est qui ?
– C’eeeeest… he…
– Qui ?
Surgit Marta.
– Ah c’est vous…
– Chambre 22, donne la clé Mariii.
Mariii nous tend la clé et retire rapidement sa main, de peur qu’on la lui prenne avec.
– Merci, bonsoir Marta, bonsoir Mariii.
Les propriétaires de cet hôtel s’appellent donc Marta et Mariii. Je n’ai jamais su si Mariii était son petit nom ou le mari de Marta.
Arrivés dans la chambre, nous commençons immédiatement le rangement de nos effets dans l’armoire. C’est vite fait, y a pas grande chose.
Je commence à me déshabiller pour me changer, l’air est moite, ma chemise colle à la peau.
Marie a retiré sa blouse, et attend en soutien-gorge, intimidée.
Je pense — nous y voilà, est-elle vraiment vierge ?
Bon je voudrais bien prendre une douche, zut, j’ai pas demandé à Marta s’il y en a une. Je redescends à torse nu, à mi-escalier, je crie à Mariii… assis derrière le comptoir.
– Y a une douche ?
– Oui, à droite au fond du couloir, froide, bouilleur en panne… pas venu… ré.. !
– Bien, merci ça ira.
Je m’y rends directement, enlève mon pantalon et mon slip que je pose devant la porte, il n’y a pas de rideaux de douche, juste une chaise mouillée en Formica rouge. Je tourne le robinet, l’eau froide est tiède, pas de savon, j’y reste 5 minutes, me frottent énergiquement — pas de linge — je m’ébroue à la mode chien, attend quelques instants, saisis mon slip devant la porte, l’enfile rapidement et cours à la chambre, le pantalon sous le bras. 
J’entre… clac la porte… tourne la clé.
Marie est là, étendue sur le lit… nue.
Surpris, je reste immobile au milieu de la pièce, laisse choir mon pantalon à terre, regarde Marie, sans prononcer un mot.
Le temps parait suspendu, “non de dieu" qu’elle est belle ainsi, puis le mâle reprend le dessus, je m’approche du lit, m’étend à ces côtés.
– T’es vraiment vierge, à 26 ans ?
– Oui, mais plus pour longtemps, dit-elle en riant.
Je la prends dans mes bras, lui caresse les seins, embrasse son ventre plat.
C’est ma première vierge, je sais pas trop faire, peur de faire mal.
Elle ne bouge pas, et fixe le plafond.
Je lui écarte les jambes et la pénètre doucement, je sens de la résistance, elle se crispe, je me retire, lui prend la bouche à pleine lèvre et han… rentre d’un coup en elle, elle pousse un petit cri, que j’étouffe par des baisers, je continue dans un va et viens lent, lent, lent… Marie gémit doucement — j’accélère brusquement et dans un dernier coup de reins, je jouis dans une explosion de plaisir en me laissant tomber sur son corps, je la serre à l’étouffer. Nous restons longtemps ainsi, sans parler, sans bouger. 
C’est fini, l’acte sacré est terminé, je me retire et vais me laver aux lavabos de la chambre, l’eau est rouge, Marie met un linge autour de la taille, ouvre la porte, regarde de droite à gauche si la voie est libre et court à la douche.
J’en profite pour retirer le drap taché de sang, je ne l’étends pas à la fenêtre selon la coutume d’ici, mais le roule en boule et le fourre sous le lit. Plus tard je le porterai en douce, dans une laverie, je ne tiens pas à subir les réprimandes de Marta.
Lorsque Marie revient, nue, propre et mouillée, son visage exprime l’AMOUR, elle se colle à moi, je la serre fort, fort.
– Je t’aime
– Je t’aime.
Ça y est, Cupidon a atteint son but, je suis touché. Nous ferons encore l’amour je ne sais combien de fois, jusqu’au petit matin, pour finir épuisés, par nous endormir enlacés.

******************

Baooum…baooum ; abasourdi, étourdi, je me dresse sur le lit. Les carreaux de la fenêtre viennent d’éclater, ils sont répandus en mille morceaux qui brillent sur le plancher. — verres cassés, mauvais présage — je tente d’atteindre mes chaussures sans marcher sur les débris de verre.
– Ne bouge pas, je reviens, je vais voir ce qui se passe.
 J’enfile mon pantalon et descends en courant les escaliers. 
Tout le monde est dehors, les gens s’interrogent inquiets, personne ne semble connaître la cause de l’explosion. Dans la rue D’Isly de nombreuses vitrines ont explosé, deux véhicules du feu passent toutes sirènes hurlantes et semblent se diriger vers la Grande Poste. 
En passant ils soulèvent un nuage de tracts qui virevoltes dans tout les sens. Je me baisse et en ramasse un qui traîne sur le sol, j’en lis les premières lignes, fronce les sourcils et immédiatement réalise que c’est du sérieux. Ce n’est ni plus, ni moins qu’une déclaration de guerre à la France :

FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE
PROCLAMATION,
Au Peuple Algérien – Aux Militants de La Cause Nationale
À vous qui êtes appelés à nous juger, le premier d’une façon générale, les seconds tout particulièrement, notre souci, en diffusant la présente proclamation, est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir, en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’INDÉPENDANCE NATIONALE dans le cadre nord-africain. Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents : administratifs et autres politicailleux véreux… – etc. etc.


Je la plie soigneusement, et la mets dans ma poche. Je commence à croire que c’est beaucoup plus grave que je ne le pensais.
Les paroles et le comportement énigmatiques d’Assad me reviennent à l’esprit, inquiet, je rentre en courant retrouver Marie. Je la trouve assise dans le lit, le drap remonté jusqu’au cou.
Pour ne pas l’affoler, je décide ne ne pas lui parler du tract.
– Tout va bien, rien de grave, une explosion de gaz du côté de la Grande Poste.
– Ne bouge pas, il faut ramasser ces morceaux de verre.
Je descends, appelle Mariii que j’aperçois sur le pas-de-porte de l’hôtel.
– Il y a plein de morceaux de verre dans ma chambre, faites quelque chose, ou prêtez-moi un aspirateur.
Sur ces entrefaites Marta, qui commente les événements dans la ruelle, se retourne, et hurle…
– Mariii, qu’est-ce qu’il veut le Suisse ?
– Un aspirateur pour ramasser le verre cassé dans leurs chambres.
– Quoi ? du verre… dans la chambre
– Un aspirateur… ! non pi quoi encore ! prend une ramassoire et la balayette, et remue-toi, fais attention qu’il n’en reste pas un seul morceau.
Marta reprend sa discussion interrompue.
Mariii s’empresse d’exécuter l’ordre de la mégère, monte à l’étage avec pelle et balai, nettoie pendant un bon quart d’heure le moindre éclat de verre.
Lorsque Mariii, son labeur terminé, quitte la chambre, nous nous remettons au lit, nous ne sortirons pas ce matin, il y a d’autres moyens de passer le temps agréablement. !!!
Mais l’amour ça creuse. À midi, nous sortons pour chercher un restaurant et prendre un vrai repas à la française — steak-frites-salade-fromage —. À toutes les tables, les convives lisent et commentent les journaux ou on peut lire en gros titre :

« LE FLN DÉCLARE LA GUERRE À LA FRANCE »



Donc l’explosion de ce matin n’était pas un simple accident, mais un attentat contre la Grande Poste. Par miracle il n’y a pas eu de morts, ni de blessé. 
Malgré ces événements tragiques, nous décidons de poursuivre notre installation en Algérie et de chercher du travail. Après tout, l’Algérie est un département français, leur gouvernement ne va certainement pas laisser l’anarchie s’installer.





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Suite prochain article : 




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