Icare se laissa griser par l’ivresse de la richesse. Aller toujours plus haut, plus loin. À force, il frôla le soleil, la chaleur lui brûla ses ailes.
Privé de moyens de locomotion, Icare tomba, tomba, tomba… Heureusement, il fut arrêté par la police et jeté en prison !
Moi qui ai lu la mythologie grecque, je connaissais très bien la légende de Dédale et de son fils Icare, mais comme lui, je n’en avais rien à foutre des avertissements de mes aînés.
Un homme jeune n’a aucune conscience de dépasser ses limites. Le danger c’est pour les trouillards, la mort une histoire de vieux. Si ce n’était pas le cas, la jeunesse n’accepterait jamais de partir pour la guerre en chantant, la fleur au fusil, pour aller se faire tuer par centaines de milliers sur les champs de batailles des grandes guerres.
Nul ne l’ignore, la jeunesse écoute rarement. L’avertissement du paternel à son oisillon: “de ne pas s’approcher du soleil" Icare se laissa griser par l’ivresse pour aller plus haut, toujours plus haut À force de monter, il frôla le soleil, la chaleur lui brûla ses ailes. Privé de moyens de locomotion, Icare tomba, tomba, tomba et s’abîma en haute mer.
Tous, ont la certitude de passer miraculeusement entre la mitraille pour revenir rapidement dans leurs familles sans trop de dommage.
C’est pareil pour ceux qui commettent des hold-up et des braquages à main armée. Ce n’est qu’un jeu sans danger, faut juste avoir les couilles et un peu de chance.
Si tu gagnes, tu recommences, c’était trop facile, mais un jour, tu vas trop loin, et tu te brûles les ailes à jamais. Si tu as perdu et que tu es encore en vie, c’est là que la galère débute. Adieu liberté chérie. Va falloir payer tes forfaits. La société veille à ne pas se faire dépouiller de ses biens mal acquis.
Une armée en uniformes et galons, en capes noires et rouges au col d’hermine, sont payés pour statuer sur ton sort pour les prochaines années.
Soyez indulgent, je ne suis encore que de la graine de potence.
Merci, monsieur le juge, j’espère ne pas me faire attraper la prochaine fois.
Ça sent le roussi :
Deux mois se sont écoulés depuis l’affaire Arsène Lupin.
Je bosse avec mon père, la chine aux antiquailles, vente aux enchères, voyage sur Fribourg et Valais pour ramener des meubles authentiques. Bricolage et bidouillage à l’atelier de restauration des meubles et à la carrosserie.
Je me tiens tranquille, sort un peu le soir dans les bars de la vieille ville où j’ai mes habitudes.
Comme je vous l’ai décrit, j’ai déposé mon argent sur un compte numéroté dans une banque privée de Genève « Planque & Trésor ». Il y en a déjà pour plus de 300.000 fr. – Non je vous donne pas le numéro –
J’habite toujours au 6ème étage de la rue Gauthier. De temps en temps je croise dans l’ascenseur un joli brin de fille à qui je fais du gringue.
– Bonjour, mademoiselle, vous habitez ici… là au 4ème ?
Rien à faire, elle baisse la tête et rougit....
Il faudra un événement exceptionnel pour débloquer la situation.
Midi, je rentre chez moi avec ma grosse Américaine, j’arrive au carrefour avec la rue des Pâquis, quand un taxi déboule à pleine vitesse sur ma gauche, je suis déjà très engagé, la collision est inévitable et le choc violent, le taxi par en vrille et fait plusieurs tonneaux pour se stabiliser les 4 roues en l’air. La solide carrosserie de ma Studebaker m’a préservé de dommages corporels graves, mais je suis quand même sonné, et je n’arrive pas à ouvrir les portières enfoncées et déformées. Le bruit de l’accident a résonné dans tout le quartier, Tobias mon père arrive en premier sur les lieux, gesticulant et hurlant auprès du pauvre chauffeur éjecté de son taxi qui git sur la chaussée, le visage en sang. 5 minutes plus tard, la police arrive suivie d’une ambulance qui s’occupe immédiatement du chauffeur. Deux policiers unissent leurs efforts pour ouvrir ma portière et me sortir de l’habitacle, je m’assois sur le trottoir, j’ai la nausée, un puissant mal de tête et je sens du sang couler de mon front blessé. C’est le moment où un visage d’ange auréolé d’une chevelure noire geai, se penche sur moi...
– Bonjour... Vous me reconnaissez, j’habite dans votre immeuble. J’ai entendu le choc, et je suis descendue. Attendez, vous avez une blessure au front, si vous le permettez, je vais mettre mon foulard autour de votre tête en attendant qu’on vous emmène aux urgences de l’hôpital.
– Vous êtes qui ? Ah oui… oui, si vous voulez. C’est quoi ton nom ? Marie, ah oui je me rappelle de toi.
– Moi c’est Blaise. Salut et merci pour ton aide. Tu vois le monsieur qui s’agite avec les flics, c’est mon père, va le chercher.
– Blaise ça va… ah merde, t’es blessé. Attend je vais chercher ma voiture pour t’emmener à l’hosto. Mais avant faut que je m’occupe du constat avec la police, ce con de chauffeur n’avait pas de freins, c’est une voiture neuve qui vient directement du port franc de Sécheron avec des tringles de freins qui n’étaient pas fixées, il doit la priorité, il roule trop vite, tu vois le topo, il l’a entièrement dans le baba.
– Ça va tu peux encore attendre ? Bonjour, mademoiselle, vous pouvez rester avec mon fils un moment ?
– Oui, bien sûr.
C’est ainsi que ma relation avec Marie a débuté, elle devait durer 10 ans, et se terminer tragiquement, mais ça, c’est une autre histoire.
Depuis ce jour mémorable, je revois régulièrement Marie, nous sortons quelquefois en amis dans les estaminets de la vielle ville, mais rien d’autre. Je ne vais plus très souvent au Bar-a-Tin. Gary picole, grossit, et déconne avec une bande d’anciens de la légion et des ex-taulards.
Un matin à 7 heures, je roupille encore, quand la sonnette de la porte d’entrée me réveille. Je suis à poil, j’enfile rapidement un slip…
– Oui, j’arrive, par prudence je n’ouvre pas… qui c’est ?
– Ouvrez, police !
– J’ouvre, mais laisse le verrou à chaîne.
– Vous êtes bien monsieur Blaise Le Wenk.
– Oui !
– Habillez-vous et suivez-nous.
Aïe… aïe, ça se gâte pour mon matricule, il n’y à rien à discuter, je crois bien.
– Je passe quelques vêtements et j’arrive.
– Laissez la porte ouverte, et dépêchez-vous.
– Heureusement, tout est bien planqué, je vérifie une dernière fois.
– Voilà, je suis prêt.
Devant la porte d’entrée, une voiture de police, attend - allez monter -.
Quai Gustave Ador - pont du Mt. Blanc et direction le Bourg de Four où se trouve les bureaux de la police, qui jouxtent le Palais de Justice.
Commence alors la grande séance d’intimidation dans une salle d’interrogatoire du 2ème étage.
– Inspecteur Javel. Assieds-toi.
Je remarque immédiatement que la chaise n’est pas stable. Je suis assis en face de la fenêtre, qui m’éblouit malgré les barreaux. Pourquoi je suis là ? Que savent-ils de mes activités répréhensibles ?
– Tu t’appelles bien Blaise Le Wenk, fils de Tobias Le Wenk, tu es né en 1930 à Genève.
– Oui.
– Quelle est ta profession ?
– Apprenti ébéniste dans l’atelier de mon père.
– Tu connais un certain Marcel Devil ? - Ah nous y voilà - .
– Oui, c’est un client.
– À quelle occasion l’as-tu rencontré ?
– J’ai fait quelques transports pour lui avec mon fourgon.
– Ah oui... et quelle marchandise tu transportais
– Euh.. ! Je ne me rappelle plus, il y a longtemps.
– Blaise, ne me prends pas pour un con. (là... ça sent le roussi)
– J’ai transporté 1 ou 2 fois de la ferraille.
– Quel genre de ferraille exactement ?
– Mais je n’en sais rien, frigos, cuisinières, voitures, de la récupération quoi…
Je vois bien où il veut en venir, va falloir jouer serré.
– Tu n’aurais pas transporté des bobines de cuivre par hasard ?
– Des bobines de cuivre... non, je ne vois pas.
– Attends je vais te rafraichir la mémoire.
Javel, se lève et passe derrière moi... Bang... bang....
– Aïe... connard, va te faire foutre.
Un coup de bottin de téléphone sur la tête et un sur l’épaule, c’est une spécialité des interrogatoires de la police genevoise, ça ne laisse aucune de traces, et après plusieurs coups assénés avec force t’es tellement groggy que tu commences à dégoiser ce qu’ils veulent entendre.
Moi, je dégoise pas, mais je dégueule sur la table.
Javel est fou furieux, il sort et appelle un gardien pour me surveiller.
– Tu me nettoies cette merde et tu le mets au frais en cellule.
– À vos ordres inspecteur-chef.
– Lève-toi, passe devant... stop - lacets, ceinture, montre, portefeuille, cigarette - dépose tout ça dans cette boîte.
– Entre là… clic... clac... la porte se referme.
Je suis seul, assis sur une banquette de béton froide couverte de graffitis.
Ça sent le roussi !
Après un temps qui me paraît interminable, Javel se pointe, ouvre la cellule.
– Tiens rhabille-toi, et signe la fiche pour la restitution de tes effets personnels, Il est 12 heures, tu es en garde à vue dès cet instant. Je t’accompagne à la gare, direction Lausanne. Tu seras interrogé par mes collègues vaudois, le délit ayant eu lieu sur sol vaudois.
– Quel délit ?
– Ta gueule, tu t’expliqueras avec eux.
Arrivé à la gare, Javel m’accompagne au train en partance pour Lausanne et me fait monter dans un wagon qui comporte une cellule spéciale pour le transport des prisonniers. Exigue comme les toilettes habituelles de train, fenêtre grillagée et porte verrouillée de l’extérieur. Faut pas être claustrophobe.
1/2 heure de train, arrivée à Lausanne. J’attends… pourvu qu’on ne m’oublie pas, le convoi continue en direction du Tessin.
Un bruit de serrure, je n’ai pas le temps de dire ouf… un jeune inspecteur tout essoufflé, me claque une menotte sur mon poignet droit - allez grouille, le train va repartir.
Quai N° 1, traversée de la grande halle de la gare de Lausanne pleine de monde qui heureusement ne nous prête aucune attention, une voiture de police est stationnée devant l’entée.
Monte à l’arrière, reclac… clac, de la pince sur le montant intérieur du véhicule.
Déclac… clac, à la sortie devant le bâtiment de la police, qui a l’air encore plus vieux que celui de Genève. Nous montons 3 étages par des escaliers aux marches creusées par l’usure, couloir sombre avec de chaque côté plusieurs portes numérotées en tôle rivetée grise.
Rituel habituel pour éviter l’évasion ou le suicide et pour te montrer ta totale impuissance dans la suite des événements.
– Mets tes effets persos dans la boîte, valeurs, lacets, ceinture, etc.
– Entre là… clicccc... cloccc...
La porte se referme dans un bruit sinistre. Il fait tellement sombre, que j’ai de la peine à distinguer un homme assis sur la banquette métallique fixée au mur.
– Salut…
Pas de réponse. Je m’assieds à l’autre extrémité du banc. Faut dire que je n’en mène pas large. Tout a été si rapide.
– C’est la première fois mec ?
– Oui.
Je regarde le visage du personnage... Houla ! Il est tatoué jusqu’aux oreilles, je distingue le dessin d’une corde autour de son cou.
– T’inquiète pas, c’est que des gonzesses. Il tremble de trouille quand ils viennent te chercher. Ne te laisse pas impressionner, ici en Suisse il y a des lois qui te protègent.
– Tu es d’où ?
– Je suis Letton, mon nom est K.K. - Kurt Kortz. Je me suis évadé d’une prison Russe à la fin de la guerre, j’ai traversé la Pologne et l’Allemagne pour arriver à Bâle. J’avais entendu dire que ce pays était riche et neutre, c’était justement ce que je recherchais. J’ai été bien accueilli en tant que réfugié politique.
– Pourquoi t’es là ? Je suis trop con, je me suis évadé du pénitencier de Bochuz, j’aime pas bosser dans les champs comme un vulgaire « payouse » .
– Et toi ton nom ?
– Basile...
– Drôle de nom. Tu fous quoi ici ?
– Je sais pas, il ne m´ont rien dit.
– Ah oui... je vois t’es innocent ! Comme tout le monde dans ce putain d’endroit.
– T’as raison, fais gaffe, je suis peut-être une balance, il y en a partout ici.
Terminé, il se tait lève la tête et regarde une araignée au plafond.
La porte s’ouvre, KaKa, visite chez le commissaire, tends les bras, je dois te mettre les pinces. Allons-y.
– Salut et merde mec...
Je ne le reverrai jamais.
La porte s’ouvre à nouveau, Le Wenk, debout, viens, passe devant et pas de connerie, je t’ai a l’œil. Couloir jaunâtre déprimant et puant la fumée de cigarette.
– Stop, entre là.
Là… c’est la même salle merdique, une table en chêne, du solide et deux chaises.
Un flic entre, s’assied en face de moi, je suis l’inspecteur Bourel, il ouvre un dossier, qu’il lit attentivement, fronce les sourcils..
– Blaise Le Wenk, je vois que vous avez avoué avoir participé à un vol de ferraille composé d’une bobine de cuivre sur un chantier de la ligne à haute tension près de Nyon.
– Non, je n’ai rien dit de tel, j’ai déclaré avoir fait un transport pour le compte de Marcel Devil, c’est tout.
– Ne me fais pas perdre mon temps. J’ai là sous les yeux, le procès verbal du fils de Marcel Devil, sieur Aloïs Devil 23 ans qui admet avoir été présent dans la nuit du 23 juillet avec son père Marcel et un certain Blaise Le Wenk... toi, pour aider à voler une bobine d’une tonne de câbles électriques en cuivre. Nous avons également arrêté Marcel Devil qui, après interrogatoire, nous a avoué avoir commis ce vol avec l’aide de Blaise Le Wenk, propriétaire de la camionnette ayant été utilisée pour le transport, et de son fils Aloïs. Ce fil de cuivre après avoir été découpé en petits morceaux a été revendu à un grossiste pour la somme de 3000 fr. Blablabla... blablabla. Ah... là, je lis encore que tu as touché 1000 fr. pour ce boulot spécial de nuit.
– Alors qu’est-ce que t’en dis !
– Oui, j’admets avoir effectué ce transport.
– Ah oui ! au milieu de la nuit, tu me prends pour un con...
– Je ne suis pas responsable de la marchandise que je charge sur une commande d’un client, même si c’est de nuit.
– Bien, dans ce cas tu t’expliqueras avec le juge. Tu vas être transféré immédiatement, en préventive au château de Nyon où se trouve le tribunal du 1er district.
Le Château de Nyon a de tout temps été un bâtiment administratif, tant sous la maison de Savoie qu’à l’époque bernoise. Il en alla de même lorsque la Ville de Nyon l’acheta en 1803 : elle y installa les tribunaux (jusqu’en 1999), les prisons (jusqu’en 1979) ou le Musée (dès 1888).
Il doit être 18 heures, lorsque l’inspecteur Bourel me pousse à l’arrière d’une voiture banalisée et s’installe sur le siège avant, à côté du conducteur de la police.
Direction Nyon, où, après 1/2 heure, le véhicule stoppe dans la cour d’un château à l’allure de forteresse médiévale peu rassurante. Javel me fait sortir de la voiture, en me serrant fortement le bras.
– Viens. Je t’avertis que le coin n’est pas très rigolo, mais tu auras au moins une belle vue sur le lac. Nous montons des escaliers faits d’énormes dalles de pierre, arrivés au dernier étage, nous nous arrêtons devant une porte massive en chêne qui doit bien dater du 15ème siècle ! Seule la sonnette électrique, sur laquelle appuie frénétiquement Javel, fait tache dans le décor.
– C’est un vieux gardien, un peu sourdingue… me dit Javel.
Enfin la porte s’ouvre et la tête chauve d’un petit vieux grimaçant apparaît dans l’entrebâillement…
– Salut Jef.
– Ah c’est toi Javel, entre, tu m’amènes de la marchandise fraîche ! Aaaah... aaaah.
J’ai justement un frigo vide... Aaaaaah.
Ils se marrent… pas moi. Comment un tel lieu peut encore exister en 1950, et encore, je ne suis pas au bout de mes surprises.
Je me trouve dans une immense cuisine au sol fait de tomettes usées. Contre le mur, une vieille cuisinière à gaz, qui a du être blanche dans sa jeunesse. Sur la gauche deux portes de bois bardées de traverses en fer rouillé.
Jef se dirige vers l’une d’entre elles, l’ouvre avec une clé ouvragée en fer forgé qui doit bien peser 1/2 kilo.
– Entrez, môssieur...Votre chambre est prête, je vous y souhaite un excellent séjour.
J’entre lentement, la porte se referme derrière moi dans un bruit sourd.
Non ce n’est pas possible, je rêve, je dois être figurant dans le film sur Mandrin tourné à Pérouges.
Je reste immobile un bon moment.
Je me trouve dans une cellule étroite de 3 mètres sur 5 environ, mur en pierres de taille couvertes de graffitis gravés. À droite, un sommier métallique recouvert d’un matelas défoncé à rayures rouges et deux couvertures brunes de l’armée. Une chaise, une bouteille d’eau complètent l’ameublement. Sur le mur du fond, une fenêtre, non, plutôt une meurtrière de 40 x 30 cm. Je m’en approche, et là, s’offre à ma vue un splendide panorama, le lac Léman couleur turquoise avec les Alpes aux sommets enneigés qui se détachent dans un ciel feu de coucher de soleil.
J’en oublierais presque ma condition de prisonnier dans une geôle du XV siècle.
Un fumet particulier vient me tirer de mes pensées, et me rappelle que je n’ai rien mangé de la journée.
Boum… boummm. Jef crie de sa voix rocailleuse de gros fumeur.
– Le Wenk éloignez-vous de la porte, et restez assis sur la chaise.
Il ouvre lentement la porte et pose un plateau fumant sur une tablette fixée contre le mur.
– Tiens, ton repas. Bon appétit.
Il ressort rapidement et referme la porte à clé, quand je l’entends répéter la même phrase dans la pièce d’à côté.
– Dubeuf, recule, assis. Tiens ton repas.
Il y a donc un autre occupant dans la cellule d’à côté. Mais les murs doivent bien faire 1 mètre d’épaisseur, impossible de se parler. La nuit tombe, heureusement que nous sommes en juillet, je m’aperçois qu’il n’y a même pas d’ampoule électrique. Et les chiottes, merde j’ai besoin de pisser.
Pan… pan dans la porte à coups de pied.
– Jef comment je fais pour pisser ?
– La clé tourne dans la serrure, recule... La porte s’ouvre, là… au fond de la cuisine.
Retour au 20ème siècle, un salle de bain moderne, faïence blanche sur les parois, baignoire, douche, chiotte et bidet. Je sens que je vais avoir souvent des besoins naturels à satisfaire. Mais c’est sans compter avec notre garde-chiourme de Jef.
– C’est fini là dedans, tu vas pas y passer la nuit.
– Oui, j’arrive, d’autant qu’il n’y a pas de serrure.
– Tiens une bouteille d’eau pour la nuit, tu pourras toujours pisser dedans quand tu l’auras finie, je ne me lève pas la nuit, pas la peine de m’appeler. Bonne nuit, tu verras c’est silencieux.
Sacré Jef, je n’arrive pas à savoir si c’est un pauvre vieux, un con ou un gardien sympa... Allez à demain.
Il fait déjà jour quand le pan... pan.. contre la porte me réveille.
– Debout... Café froid et croissants chaud pour ces messieurs.
Ah... mais c’est qu’il aurait de l’humour le bougre.
La porte s’ouvre et se referme. Le plateau et là sur la tablette. Je suis encore assis au bord du pieu, quand par l’odeur alléché, maître Blaise se précipite sur ce petit-dèj. de première classe, engouffre café, beurre et croissants, en se pourléchant les babines d’un geste satisfait. Voilà une journée qui débute bien.
– Pan... pan... La porte s’ouvre… À la toilette, tu connais le chemin. Reste pas trop longtemps, t’es pas tout seul.
Jef, se tient à l’écart debout près de la cuisinière. Il semble sur ses gardes, je comprendrai bientôt pourquoi.
Douche, shampoing, rasage au rasoir électrique Braun, je vous le dis la pension est bonne. J’ouvre la porte…
– C’est terminé ? Retourne dans ta cellule.
– Jef, tu sais combien de temps je vais rester ici.
– T’as pas de chance, le juge est en vacance pour 3 semaines, t’es mal tombé en juillet. Fallait pas déconner.
Jef referme la porte, je l’entends faire la même cérémonie avec Dubeuf, mon voisin de palier inconnu.
Tranquille jusqu’a midi, rien à foutre.
Nous sommes en juillet, une chaleur étouffante règne en cellule dans la journée.
Je reste en slip, et je me distrais en comptant les bateaux qui passent dans mon champ de vision. Je peux apercevoir le débarcadère d’où Me Zurbrigen me remit le fric de l’assurance. Là si je me fais chopper pour ce coup, je suis bon pour plusieurs années de privation de liberté.
Les jours passent ainsi à m’emmerder et à gamberger sur la suite des opérations. Je le sentais bien que je n’aurais jamais du faire des affaires avec la famille Devil. Maintenant il est trop tard pour regretter, le mal est fait, je vais devoir assumer.
Je compte plus les jours, ils sont trop longs. Le temps s’écoule lui aussi trop lentement.
Quand brusquement un changement brutal et imprévu arrive.
Cela a du se passer vers le 10ème jour peut-être.
La procédure matinale habituelle se déroulait normalement.
Pan… pan… debout, café chaud, pain sec, oui les croissants c’est pour le dimanche.
Pan… pan… Toilette... terminé... retour, etc.
Au prochain, Dubeuf.... silence, Dubeuf… toilette, magne-toi. Rien, silence.
Je tends l’oreille, ce n’est pas habituel ça.
Brusquement un cri rauque, la porte de la cellule d’à côté qui claque.
La mienne qui s’ouvre !
– Salut Le Wenk, je suis ton voisin de cellule Dubeuf, ou plutôt j’étais.
– Il y a un petit changement ce matin, les rôles se sont inversés, c’est moi qui ouvre et ferme les portes, tu piges ?
– Non je comprends rien, tu fais quoi, tu te tires ?
– Oui, je me fais la belle. Après mon jugement, je vais en prendre probablement pour 3 ou 4 ans de Bochuz. Non, plus jamais ça. Tu viens avec moi, oui ou merde ?
– Non... non, je suis en préventive. Si je me casse maintenant c’est de la prison ferme pour moi, je reste, tire-toi, je ne bougerai pas et ne donnerai pas l’alerte. S’il te plait, referme ma porte à clé, et pose-la sur la table de la cuisine. Je dormais, je n’ai rien entendu. Bonne chance et merde pour ta belle.
Un bruit de porte, et à nouveau le silence. J’entends vaguement des gémissements venant de la cellule voisine. Merde... merde de merde, que faire.
J’appelle de toutes mes forces.
– Jef, ça va ?... Quoi ? je n’entends rien, crie plus fort.
– Ouvre-moi cette porte.
– Je ne peux pas, je n’ai pas la clé et je suis encore enfermé.
– Un espèce de râle, et plus rien.
Comment se sortir d’un tel pétrin. Si quelqu’un ne vient pas nous rendre visite, on va tous moisir ici un bon bout de temps, sans boire, sans manger on va crever. Je commence vraiment avoir la trouille, d’autant que je n’ai encore jamais vu ni entendu quelqu’un venir à cet étage.
Comment une telle connerie a pu arriver. Comment laisser un vieux gardien seul avec des dangereux repris de justice.
C’est en fin de soirée que j’entends une cavalcade sur l’étage, des voix et des bruits de porte.
La mienne s’ouvre, je peux apercevoir 5 ou 6 gendarmes en tenue, l’un d’eux se précipite sur moi et me passe les menottes.
– Bouge pas. Ton nom ?
– Blaise Le Wenk.
– Sors de cette cellule, et assieds-toi là, dans la cuisine près de la table.
– Je pourrai avoir à boire, j’ai rien bu de la journée.
– Ferme ta gueule et la ramène pas.
À ce moment, je vois Jef, soutenu par deux infirmiers en blouse blanche sortir de la cellule de Dubeuf. Le pauvre n’a pas l’air bien. Les infirmiers l’installent sur une civière et disparaissent dans l’escalier.
Au même moment, entre dans la pièce un personnage en costume trois-pièces, anthracite, grosses lunettes, serviette en cuir noir sous le bras. C’est quand même pas un gars des pompes funèbres ! Il se dirige directement vers moi,
– Bonjour, tu es Blaise Le Wenk ?
– Oui, c’est bien moi.
– Je suis le substitut du procureur. J’enquête sur ce tragique incident. Voulez-vous me dire ce qui c’est passé.
– Écoutez, je ne dirais pas un mot tant que je n’aurais pas bu et mangé. Je ne me sens pas bien du tout.
– Très bien… Gendarme, enlevez les menottes à ce monsieur, et accompagnez-le avec ménagement en voiture à l’hôpital de Nyon. Je vous suis avec mon propre véhicule.
C’est ainsi que je me retrouve installé dans une confortable chambre de l’hosto de Nyon. Une infirmière m’apporte un repas et à boire. Un toubib vient m’examiner, de long en large, prend ma tension et ma température… sort dans le couloir, où je l’entends discuter avec quelqu’un.
Le substitut entre alors dans la chambre, s’assied sur une chaise près de mon lit, sort son dossier, et une plume dorée dont il dévisse avec précaution le capuchon.
– Allons-y, vous êtes en mesure maintenant de me décrire les évènements qui se sont passés aujourd’hui au château ?
– Oui, mais je ne sais pas grand-chose. Avant tout, je voudrais bien savoir pourquoi vous êtes intervenu ce soir en force pour nous délivrer moi et Jef.
– Que cela reste entre nous… c’est Dubeuf qui a téléphoné depuis la France à la mairie de Nyon, pour avertir le Syndic de ce qui se passait avec Jef et vous au château.
– À bon, c’était quand même pas un salaud, alors !
– Ce matin à 8 h la toilette terminée, je suis rentré dans ma cellule, Jef l’a refermée, comme d’habitude. Ensuite je l’ai entendu dire – “Dubeuf toilette“ – Suivi immédiatement du bruit de la porte de la cellule que l’on referme brusquement, et plus rien. Silence complet, ce qui n’était pas normal.
J’ai appelé, aucune réponse, j’ai quand même entendu des râles venant de la cellule de Dubeuf.
Vous pensez si j’étais inquiet, sachant qu’il ne vient jamais personne à cet étage. Aucun signe du gardien Jef. À midi pas de repas. J’ai alors compris que Dubeuf, s’était fait la malle et que probablement Jef était enfermé dans la cellule d’à côté. C’est tout ce que je sais.
– Bien, je vous remercie. Vous allez rester ici cette nuit, demain je vous libère sur parole. Vous devez vous représenter à la séance du tribunal de lundi prochain à 9 heures au 1er étage du château.
– Bien, j’y serai. Comment va Jef ?
– Il va s’en tirer, mais pour lui, c’est terminé, il sera mis à la retraite.
– Tenez, reprenez vos effets personnels. Vérifiez que tout y est. Au revoir, à lundi prochain, et toutes mes excuses pour cette malheureuse affaire.
Je le sens dans ces petits souliers le bonhomme.
J’adore l’hôpital, le lit, les infirmières aux petits soins, je peux même me promener la nuit dans les couloirs, vous ne me croyez pas… allez passer quelques jours dans une cellule vétuste et puante d’une ancienne prison.
Le lendemain, aux alentours de midi, je reçois mon bon de sortie. Bye... bye... Nyon.
Je vous recommande la visite du château - le musée - les magnifiques porcelaines de Nyon du 18è siècle et la vue depuis la terrasse. Ne monter pas plus haut, ça craint.
Je me prends une première classe dans le train pour Genève. La liberté faut l’apprécier quand elle est là. Je crois que je n’ai jamais été aussi heureux. J’ai eu du pot ! Vive la liberté.
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Im Memoriam
Ses dernières paroles :Excusez-moi j’ai perdu la tête.
À mon arrivée à Genève, je me rends directement au Bar-a-Tin, pour parler a Gary. Le bar est fermé... des scellés de police sur la porte ne présagent rien de bon ! Je traverse la rue pour aller au tabac d’en face.
– Bonjour, vous savez pourquoi le Bar-a-Tin est fermé.
– Vous n’êtes as au courant, Gary est mort, il s’est pris une balle en pleine tête en jouant a la roulette russe. Ils étaient tous givrés là-dedans.
Je ressors sans un mot, la douche froide… non c’est pas possible, Gary disparu !
Là, ça commence à faire trop, je suis totalement déboussolé, faut que je rentre chez moi faire le point.
Je reste 2 jours à glander, boire, dormir, reboire et tomber en travers du pieu pour me réveiller le lendemain matin, avec une monstre gueule de béton. Les pensées se bousculent dans ma tête, je m’attends à être arrêté à nouveau à chaque instant. La police a-t-elle découvert quelque chose de compromettant en fouillant dans le bar ?
Le soir du 2ème jour la sonnette retentit, j’ouvre avec la trouille au ventre… c’est Marie.
– Blaise ! mais où avais-tu disparu ? Je suis venue chaque jour depuis une semaine, que se passe-t-il ?
– Entre, excuse-moi, c’est le boxon ici, j’ai eu quelques problèmes. Je t’expliquerai, mais pas maintenant.
– Attends, va prendre une douche, je range ce cheni (désordre) pendant ce temps. Après si tu es d’accord on sort se changer les idées.
– D’accord, cela ne me fera pas de mal. Merci, Marie, t’es gentille.
Nous nous rendons à pied dans la vieille ville. Nous y avons pas mal de potes plus sérieux que ceux que j’ai l’habitude de fréquenter.
Je doit absolument changer de vie, si ce n’est pas déjà trop tard, je sens que cela va mal se terminer.
Ce soir nous écoutons comme souvent, des artistes de passage qui jouent de la guitare et chantent. Certains deviendront célèbres, plus tard. Je ne suis pas trop à l’aise, faut que je m’habitue à vivre normalement.
– Marie, je rentre, tu peux rester si tu veux.
– Non, je viens avec toi.
– Nous descendons la Grand Rue, pour ensuite longer le Rhône par le Quai des Bergues et poursuivre par le Quai du Mont Blanc jusqu’à la rue Gauthier où nous habitons.
Nous ne parlons pas beaucoup, pourtant, je dois être honnête avec Marie.
– Marie… il faut que je te dise la vérité. J’ai été arrêté, et je viens de faire 15 jours de prison. Je dois encore passer en jugement lundi matin à Nyon.
Gary mon meilleurs ami s’est donné la mort durant cette période, je viens de l’apprendre. Tu comprends pourquoi je vais pas très bien en ce moment. Je ne suis pas un type très recommandable, je crains que tu t’attires des ennuis en me fréquentant, même en tant qu’amie.
– Marie, me regarde tristement, et ne répond pas. Des larmes coulent sur ses joues.
– Tu as compris ce que je viens de te dire. Arrêtons de nous voir quelque temps. Je dois mettre de l’ordre dans ma vie, et attendre le jugement du tribunal. Après on verra...
Nous prenons l’ascenseur, Marie descend au 4ème et moi au 6ème. Je suis triste de lui avoir fait de la peine.
Le lendemain, je vais trouver mon père, il est au courant de mes mésaventures.
– J’espère que t’as compris, et que ce séjour à l’ombre te servira de leçon. Ne travaille jamais avec des demi-sel, qui vont se mettre à table au premier coup de bottin sur la tête, tu me comprends.
– Oui Tobias.
– Maintenant tu es fiché, c’est con. Tu vas devoir faire gaffe où tu mets tes pattes et tes pieds, sinon c’est la case retour.
Je ne sais plus si j’ai de la chance ou si c’est une malédiction d’avoir un père de cet acabit. Plein de bons conseils.
– Tu sais ce qui est arrivé à Gary.
– Oui, bien sûr, j’ai été à son enterrement, et j’ai fait envoyer une couronne au nom des établissements Tobias Le Wenk, et une en ton nom puisque tu n’étais pas là.
– Il y avait du monde ?
– Des potes de son bar, je suppose, mais pas de famille.
– Merci père, je suis très touché par ton geste. Où a-t-il été enterré ?
– Au cimetière de St.Georges.
– Tu veux bien m’y accompagner, je tiens à aller me recueillir sur sa tombe.
– D’accord, allons-y tout de suite, plus tard j’ai du boulot.
Cimetière de St Georges : À l’entrée, se trouvent des fleuristes de cimetière.
En face des marbriers de pierres tombales. C’est pratique, tout est sur place.
À côté un bistrot avec une grande salle pour accueillir les verrées de famille d’après enterrement. Vous connaissez, en général, c’est pas triste, le défunt a toutes les vertus, les absents… Je ne vous dis pas, mais vous voyez ce que je veux dire !
– Tu peux me laisser là, j’en ai pour un moment, je rentrerai en taxi. Elle est où sa tombe ? Demande au gardien, je ne me rappelle pas, c’est tellement grand.
Je commence par acheter une grosse potée fleurie.
En passant devant le guichet du gardien, je lui demande où se trouve la tombe de Mr. Gary… Gary, attendez j’ai un blanc, je ne me rappelle plus son nom de famille. À voilà, Gary Kreps. - Travée C - tombe 3560.
Je mets un moment pour la trouver, c’est la première fois que je viens dans un cimetière. Ah, voilà la tombe de Gary.
Je dépose mes fleurs, sur les couronnes qui encombrent déjà le talus de terre. Sur la croix de bois verni, est posée la casquette blanche de la Légion étrangère.
Je me recueille un bon moment, perdu dans le souvenir des moments passés avec mon pote Gary.
Salut Gary, la mort a fini par t’avoir, bon voyage de retour.
En sortant du cimetière, je me rends chez le marbrier, j’ai décidé de lui offrir une pierre tombale, je lui dois bien ça.
Je la choisis sur le catalogue.
– Celle-là, en marbre noir. Pour l’inscription, gravez ça… :
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Suite prochain chapitre :
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