TRAFICS
Chassez la vraie nature, elle revient au galop.
Le second client sont les caves Bourquin, import-export de spiritueux. Le patron est un ami de Tobias. Il s’agit de se rendre 1 à 2 fois par mois en camion solo, au port de Sète charger de l’alcool en vrac, fûts ou bonbonnes.
Mon 3ème client est sous-traité par Danzas, ce sont les « Ateliers de Sécheron », qui fabriquent des équipements pour les centrales électriques.
C’est pas mal pour débuter. Il n’y a plus qu’à attendre l’appel qui m’annoncera le premier chargement. En attendant, je me rends aux établissements Tobias Le Wenk.
Je suis fier de présenter mon camion à Tobias, mais j’ai ma petite idée en tête. Dis papa, Gary le spécialiste n’est plus là, mais tu modifies toujours des réservoirs ?
– Sur commande c’est possible. J’ai un carrossier-tôlier qui vient sur demande.
– Tu peux le faire sur le réservoir secondaire de 500 litres qui se trouve là, sur le côté ?
– Pas de problème, mais il faut l’enlever. Laisse-moi ton camion 3 à 4 jours. Je t’appelle quand cela sera terminé.
Il faut que je vous explique en quoi consiste ces « modifications ». Le réservoir principal est ouvert sur le côté et une trappe amovible est installée. À l’intérieur, un second réservoir, plus petit totalement étanche, est fixé juste sous l’orifice de remplissage, rempli de quelques litres de carburant, il est destiné à tromper d’éventuels curieux, qui voudraient s’assurer en introduisant une jauge que le réservoir contient bien de l’essence ou du fioul. Ni vu ni connu. Compris.
L’espace libéré dans le gros réservoir peut ainsi être utilisé pour des petits trafics. Ça va me servir.
Cette fois, c’est parti, je tiens mon premier fret, cela sera pour le Havre.
Direction Tavaro, rue de Lyon. Marche arrière jusqu’au quai de chargement. Je contrôle la mise en place de 6000 machines Elna, sur palettes, en carton de 4 kg, soit 24 tonnes. Un douanier envoyé sur place vérifie les papiers, tamponne, fixe le câble de bâche et le plombe. Idem pour la remorque. Pas moyen de décharger quoique ce soit sans enlever le plomb ou couper le câble.
– C’est bon, Le Wenk, vous pouvez y aller.
Je me mets au volant, passe la première, évidemment avec 26 tonnes au cul, c’est plus pareil, faut utiliser les demi, sinon le moteur râle.
Genève – Le Havre, je vais parcourir cette route 150 fois en cinq ans et en connaitre chaque bosse, chaque carrefour chaque descente dangereuse. Mais pour l’instant je la découvre, carte Michelin fixée sur le volant.
Bellegarde, la longue montée jusqu’à Nantua, longer le lac sans l’admirer – Grimper au Col du Cerdon et se lancer dans la dangereuse descente sur Pont-d’Ain – Bourg en Bresse – Tournus – Chalon-sur-Saône – Arnay-le-Duc – Traversée du Morvan (pas triste en hiver) – Saulieu – Avallon – Auxerre – Arrivée en vue de Paris par la Forêt de Fontainebleau, contourner la ville sur Versailles, direction Mante-la-Jolie – Barentin – Yvetaux – Port du Havre.
Lorsqu’il est à quai, Le France dépasse les immeubles de la ville, il est donc facilement repérable.
Le déchargement doit s’effectuer obligatoirement à l’intérieur des cales du navire, pour éviter les vols sur les docks. Ce qui a comme conséquence de respecter un horaire bien précis, à cause de la grande amplitude des marées, environ 10 mètres. Si tu arrives trop tard, il faudra attendre 12 heures le prochain marnage, pour que la porte d’accès qui s’ouvre sur les flans du bateau se trouve à niveau avec le quai. Cela m’est arrivé 3 ou 4 fois en hiver de louper le créneau horaire et 1 fois où le France était déjà parti pour New York.
La valeur du chargement s’élève à 6 millions de CHF. Vous pouvez comprendre qu’il doit être en permanence sous la surveillance de vigiles, si le déchargement est retardé.
Pour éviter des retours à vide, j’ai ma petite combine…
Charger en France pour décharger en France est interdit aux camions étrangers. J’ai trouvé un affréteur sur les quais du Havre qui dispose de fret frais, (fruits) et d’un client qui accepte, pour la moitié du prix, que je décharge de nuit dans la cour de son entreprise située à Gex, tout près de chez moi.
C’est une affaire qui roule.
Comme vous devez vous en douter, le gros du trafic de contrebande à travers l’Europe se fait par train routier TIR.
Attention, si les douanes te chopent, c’est terminé, amendes salées et confiscation du véhicule. Cela ne décourage personne, les gains sont tellement importants. C’est encore beaucoup plus rentable si tu organises toi-même ton trafic.
La difficulté, il faut mettre tout le monde dans le coup. Là, il faut le dire, j’ai droit à un coup de chapeau. Merci…
Je vous mets au parfum, après plus de cinquante ans, il y a prescription.
Pour le compte des Caves Bourquin, mon second client, une à deux fois par mois, je descends à Sète, le principal port pinardier français. En général, en camion solo, par sécurité. L’alcool, ça s’enflamme.
Le vin qui arrive d’Algérie est transporté par camion-citerne. Moi, ce que je transporte, c’est du rhum blanc en provenance de la Martinique. 200 bonbonnes plastiques de 30 litres, plus faciles à manipuler.
Le transport d’alcool est particulièrement surveillé, la douane volante française peut vous contrôler à tout moment sur la route. Examen minutieux des papiers, comptage et recomptage du chargement, etc., pas moyen d’envisager le moindre trafic.
Arrivé à la douane suisse de St Julien, c’est encore plus sérieux, vous pensez, à 33 fr. de taxe par litre d’alcool, ça fait du blé pour la Confédération. (Je vous le calcul ça ira plus vite – 6000 x 33 = 198.000 fr.).
Même la cabine est fouillée, les réservoirs jaugés, des échantillons prélevés pour analyse. C’est là qu’un jour cela dérape, avec un douanier proche de la retraite qui fait du zèle.
Assigné au prélèvement d’échantillons, ce brave douanier à la face rubiconde siphonne au moyen d’un tuyau plastique l’alcool des bonbonnes dans des flacons de verre, qui sont ensuite scellés à la cire. Jusque là rien à dire, si ce n’est qu’il en prélève plus que nécessaire. – Pour ma réserve personnelle, me dit-il en faisant un clin d’œil.
Ce jour-là, il fait chaud, et notre douanier a particulièrement soif. Avant que je n’aie le temps de dire quoi que ce soit, il a embouché le tuyau et aspire une grosse goulée du blanc liquide, subitement sa bouche s’ouvre dans un rictus effrayant, laisse échapper le tuyau et le voilà qui tombe à la renverse, les yeux révulsés, le visage violet.
Merde... de merde. Je crie... Au secours là-dedans, votre pote est en train de s’asphyxier. Trois douaniers se précipitent, l’un d’eux, qui a dû suivre des cours de samaritain, lui fait immédiatement du bouche-à-bouche et un massage cardiaque. Après 5 minutes il revient à lui, ses collègues le transportent à l’intérieur du bureau de douane, où une ambulance, arrivée toutes sirènes hurlantes, ne tarde pas à le prendre en charge.
Interrogatoire du témoin ;
– Qu’est-ce qui s’est passé Blaise Le Wenk ? me demande le chef de poste.
– Je crois qu’il a voulu boire un coup, et qu’il s’est étranglé.
– Ah oui, ça ne m’étonne pas, c’était dans ses habitudes. Bon, je ne vais pas faire de rapport, il partira à la retraite avec juste un peu d’avance. T’es d’accord Le Wenk ?
– Oui, bien sûr, je n’ai rien vu, d’ailleurs.
– C’est bon, tu peux y aller, et merci encore.
– Ouf… cette fois j’ai eu chaud, j’ai senti le vent du boulet passer pas loin de ma tête. Vous savez pourquoi ?
L’astuce du trafic, c’est que les bonbonnes contiennent du rhum blanc à 90° au lieu des 40° déclarés. Pauvre douanier, je n’en ai plus jamais entendu parler.
Bénéfice de cette manipulation = 100 % que je partage avec le patron de la cave. Oui, ça fait du pognon, mais il y a aussi de gros risques.
Mais allez-vous me dire, et les analyses des échantillons, pourquoi n’ont-elles pas révélé le subterfuge.
Réparties dans le camion, une dizaine de bonbonnes, reconnaissables à leurs bouchons de couleurs, contenaient bien de l’alcool à 40°. Le douanier en question (proche de la retraite) n’était plus assez agile pour grimper sur le pont, c’est donc moi, qui lui passais les bonbonnes à échantillonner. Vu !
Mon troisième client – les « Ateliers de Sécheron » sont spécialisés dans la fabrication de transformateurs et de turbines Pelton pour centrales hydroélectriques.
Je prends mon repas du soir avec Marie et Saba lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Je n’aime pas trop être dérangé à ces heures. Je réponds brusquement
– Alloooo. Le Wenk, j’écoute. Eh, qui ? ... Oui... Quoi… oui... oui, de suite… bien, j’arrive.
– C’est Danzas, ils ont une urgence, un transport pour la Tchécoslovaquie. Je dois me rendre immédiatement aux Ateliers de Sécheron charger une turbine pour une usine électrique à Tabor, une ville de la Bohême au sud de la Tchécoslovaquie. Ils n’ont plus d’électricité, depuis une semaine l’usine électrique est en panne.
– Je vais préparer mon sac de voyage, ne t’inquiète pas, je te téléphone demain matin avant de partir.
– Saba, bisou à papa, au revoir chérie, je vous aime. Dès que je suis parti, tu lâches les chiens dans la cour.
Grimper dans la cabine, vérifier les instruments, tourner la clé, appuyer sur le bouton de préchauffage, et broummm... le ronronnement régulier du moteur, je m’enfonce dans le siège, saisis le volant, vitesse, accélérateur et démarrage en douceur. C’est instant est particulier, pour moi ce petit homme, diriger ce monstre de puissance avec seulement deux mains et deux pieds, c’est à chaque fois presque une sorte d’extase, que j’aime prolonger de quelques minutes.
Redescendons sur terre, direction Genève. Arrivé devant l’entrée des ateliers, un garde à vélo vient m’ouvrir le portail,
– Salut, t’es le Le Wenk, qui charge cette nuit la turbine.
– Oui, mais j’ai pas encore les papiers, la maison Danzas va les apporter dans la soirée.
– Suis-moi dans la halle de chargement.
Je suis le feu rouge arrière du vélo, qui stoppe devant l’immense porte de la halle, qui coulisse lentement.
– Tourne, et rentre en marche arrière… là, encore... encore, là, sous le treuil du pont mobile. C’est bon, maintenant il faut débâcher et descendre toutes les ridelles.
– Allez, les gars, à vous de jouer. Tu vois l’engin, une roue Pelton à godets de 6 tonnes. Attention, ne la laissez pas tomber sur le camion... Aaaah…
Viens Le Wenk, c’est quoi, ton prénom ? Blaise, OK, Blaise viens, on va boire un coup à la cafétéria, ils en ont pour un moment. Ne te fais pas de souci, ils ont l’habitude, tout va bien se passer.
Une heure plus tard et deux cafés fertig (café + kirch), une spécialité suisse allemande, un jeune transitaire de Danzas des paperasses plein les bras, se pointe excité et tout essoufflé.
– Calmos mec, assied-toi et bois un coup, on a tout notre temps. Bien, à la nôtre, santé… on t’écoute.
C’est que c’est un voyage compliqué, de l’autre côté du rideau de fer, j’ai pas l’habitude. Environ 1200 km en région inconnue, aucune carte récente, pas de douane, pas de certificat TIR, c’est pas reconnu là-bas.
Juste des factures en 12 exemplaires, photos, certificat de conformité, et c’est tout. C’est toi le chauffeur ? Eh ben, tu ne vas pas te marrer.
En premier lieu, tu vas à Berne, demain matin, tu te présentes au consulat de Tchécoslovaquie. Ils te fourniront un laissez-passer et les renseignements nécessaires, pour le voyage. Comme ils ne parlent pas français, une personne de Danzas sera là pour traduire. Bon, salut et bon voyage, je vais allez me pieuter maintenant.
– Tchao, salut et bonne nuit.
– Dis donc, ça va pas être du gâteau, il me semble, bah... je me débrouillerai, j’en ai vu d’autres. Je vais me reposer un moment dans la cabine, tu me réveilles quand c’est terminé.
4 heures du matin – Blaise, c’est bon la Pelton est en place, fixée et calée, elle ne bougera pas. Viens je te donne un coup de main pour lever les ridelles et bâcher, ce qui est un sacré boulot, les routiers me comprendront.
À 5 heures, je roule sur la route Suisse direction Berne. Un petit-déjeuner copieux dans le routier entre Lausanne et Yverdon d’où je téléphone à Marie. Je ne lui parle pas du véritable but de mon voyage – je vais en Autriche, je serai de retour dans 4 à 5 jours –. Je t’embrasse, ne te fais pas de souci.
À 9 heures je me gare devant le consulat tchèque de la Muristrasse 53, à Berne.
– Immédiatement, un garde surgit d’une guérite, me fait signe de circuler, à grands gestes accompagnés de hurlements en allemand.
– J’ai r. d. v. m’emmerde pas… espèce de con (en français dans le texte). Je klaxonne plusieurs fois, mettant ce quartier tranquille en émoi, des fenêtres s’ouvrent, des femmes se penchent, me font de grands gestes en signe d’exaspération. Enfin, une personne sort en courant du consulat.
Celui-là, il me baragouine carrément du tchèque, enfin je suppose. Stop... stop. Oui, j’ai compris.
Pour semer la confusion, une voiture de police arrive sur les chapeaux de roue et se place devant mon camion, un casquetté 3 gallons en sort, se précipite et tape sur ma porte – Öffnen Sie die Tür –. Ouvrez cette porte...
– Non, je n’ouvre pas. Je baisse la glace et lui mets sous le nez un des exemplaires de la facture.
– Sie sprechen Französisch ?
– Oui, un petit peu...
– Je dois rencontrer le consul, pour obtenir un laissez-passer pour me rendre en Tchécoslovaquie.
Il se saisit de la facture, et se dirige vers le portail, où il discute avec le chien de garde en brandissant la facture.
À cet instant, la porte du consulat s’ouvre, et un personnage de haute statue, en chemise et sans cravate (on a dû le sortir du lit) lance des ordres en tchèque. Le portail s’ouvre et on me fait signe d’entrer.
– Non, j’attends le traducteur de la société Danzas, c’est plus prudent.
Le consul qui s’impatiente, descend les escaliers, et vient lui-même parlementer avec moi.
– L’envoyé de Danzas est déjà là depuis 1 heure, il vous attend dans mon bureau, venez, et excusez-nous pour cet excès de zèle.
Au policier-chef, il demande de surveiller le camion.
Cette fois, j’ouvre la porte, descends de la cabine, et suis le consul. Arrivé dans son bureau, où se trouve le traducteur, il me fait asseoir, très aimable, commande du café pour tous, et lit avec attention les documents qui se trouvent devant lui.
Après s’être gratté plusieurs fois le menton – il se saisit du téléphone rouge qui se trouve sur son bureau, compose un numéro et entame une conversation animée avec son correspondant que j’entends hurler à l’autre bout de la ligne.
Monsieur le Consul se fait remonter les bretelles, il me semble. Son visage se fige, il se redresse sur son fauteuil, porte la main à son col de chemise, mais n’y trouve pas de nœud de cravate à desserrer.
– Ano. ano. Ano šéfe (oui chef) il repose le combiné d’un geste las, et se tourne vers le traducteur.
– blabla... blabla.
– Qu’est-ce qu’il dit ?
– Il dit qu’ils vont établir un laissez-passer et vous donner un itinéraire pour rejoindre la ville de Tabor. Il a dit aussi que vous ne devez sous aucun prétexte prendre une autre route, cela serait dangereux pour vous.
Une carte est étalée sur le bureau, un officier en tenue entre dans la pièce et se penche dessus, s’en saisit et disparait.
– Nous préparons les papiers. Encore un café ?
1/2 heure plus tard, le consul me tend une enveloppe.
Monsieur Le Wenk, suivez les instructions et tout se passera bien.
– Auf wiedersehen.
Je ne suis quand même pas trop rassuré par la tournure des événements.
Je ressors du consulat, accompagné par deux militaires jusqu’à la grille d’entrée.
Mon camion est toujours là, gardé par les gendarmes bernois. C’est bon, vous pouvez partir, merci, les gars.
Je fais signe à l’employé de Danzas de monter dans la cabine.
– Avant de partir, tu pourrais aller faire quelques emplettes pour moi.
10 cartouches de cigarettes américaines. – 10 plaques de chocolat – 2 bouteilles de champagne – 5 couteaux suisses et une montre. – Ce sont des cadeaux ou des bakchichs, c’est selon... pour amadouer les emmerdeurs qui pourraient me créer des ennuis. Tu vois ça avec ton patron, je t’attends devant le Wankdorf, et fais vite je suis pressé.
En attendant, j’ouvre l’enveloppe, et étudie soigneusement l’itinéraire transmis par le consulat.
Berne – St Gall – Munich – Salzburg – Linz – Ceske Budejovice – Tabor.
Depuis l’entrée sur le territoire tchèque, la route est signalée avec précision kilomètre par kilomètre, chaque village, chaque hameau, chaque ville portent un numéro et sont cerclés de rouge. La distance depuis la douane jusqu’à Tabor est de 150 km.
Ce qui m’intrigue, c’est que, le long de la frontière, il est noté « no man’s land » 30 kilomètres.
La pièce principale – le laissez-passer – plein d’énormes tampons, de signatures et de la photographie de mon camion.
Tiens... tiens, où se sont-ils procuré cette photo ?
Je dois téléphoner à ma femme, il y a justement une cabine devant l’entrée du stade.
– Allo, bonjour chérie, je suis à Berne, je pars maintenant, et je ne pourrai probablement pas te téléphoner pendant 4 à 5 jours, ne t’inquiète pas. Je t’embrasse.
Ah… voilà mon livreur de cadeaux, porteur de 2 gros sacs.
– Tout est là, salut… bon voyage et fais gaffe.
g
Voyage de l’autre côté du rideau de fer :
Un itinéraire tracé au crayon bleu par le consulat, sur une ancienne carte de 1925, c’est tout ce que j’ai.
1er jour.
Berne – St.Gall Suisse – douane avec l’Autriche de San Margrethen – Bregenz. Pas de problème, je connais.
2ème jour
Douane avec l’Allemagne, direction Munich : Contrôle par des GI de l’armée américaine.
Douane Autrichienne, direction Salzburg – Linz – Freistadt.
3ème jour. Douane tchèque (là c’est le total inconnu)
Dolní Dvořiště = 60 km – Ceské Budejovice = 80 km et arrivée à Tabor.
Nous sommes en 1962, l’Autriche a été libérée des troupes d’occupation alliées en 1955, soit depuis 7 ans, les ravages de la guerre sont encore partout visibles. La plupart des routes sont impraticables, les ponts détruits, villes et villages en ruine. Ce qui nécessite de longs et tortueux détours, mais ça passe.
C’est à la sortie de Freistadt que les gros problèmes commencent. Je fais connaissance avec le « no man’s land ». Une barrière de barbelés en travers de la route, deux miradors, une dizaine de militaires US ou Autrichiens, je ne sais pas trop ? Je sens que ça va être laborieux.
Et c’est parti en anglais, en allemand et en français. Je montre le précieux laissez-passer.
– non, nein… je ne vous le donne pas, j’en ai qu’un exemplaire. Je ne m’en sépare sous aucun prétexte, C’est mon assurance retour en pays libre.
– Open – Offen – Ouvrez.
Je m’exécute, décroche la bâche et abaisse la ridelle. Deux militaires armés sautent à l’intérieur avec lampe de poche et appareille de déminage. Ils inspectent un par un les 50 godets de la turbine Pelton.
C’est OK, venez dans le bureau. Donnez votre ausweiss. Je le pose sur la table sans le lâcher… Pan… un coup de tampon. C’est bon, roulez, mais vous êtes cinglé de vous aventurer là-bas. Vous ne passerez jamais. Encourageant.
Combien de kilomètres ? 30 de ce côté et 30 de l’autre. 60 km sans âme qui vive, pas de ravitaillement, pas de route, pas de pont, des miradors tous les 500 mètres.
Environ 150 km, depuis la frontière, jusqu’à Tabor, ce n’est quand même pas terrible.
Eh oui, terrible, cela l’a été, et même plus que ça. Tout est fait pour empêcher la circulation. La route, en premier lieu, terre battue avec des nids de poules de 50 cm de diamètre les uns à côté des autres. Deus solutions, rouler à 10 à l’heure et s’enfoncer dans chaque trou, ou rouler à 80 km/h et rester sur les crêtes avec comme résultat des vibrations qui vont réduire le camion en pièces détachées.
Les ponts en dur ont été explosés à la dynamite, à la place un assemblage de troncs d’arbres, aucune indication du poids limite. Je stoppe devant le premier, traverse à pied, saute, c’est du chêne, c’est quand même du solide, mais le poids total de mon camion et de 12 tonnes. 10 mètres de vide sous le pont, si je bascule, c’en ai terminé, personne ne viendra me dépanner, il faudrait une puissante grue et moi.. et pour moi... une ambulance.
Je mets en route. J’ai deux options, ou je prends de l’élan et passe à fond la caisse, ou j’avance prudemment centimètre par centimètre. Je me décide pour un juste milieu, traverser d’un seul coup à 20 km/h ça craque, ça branle, mais ça passe. Ouf... Il y en aura encore deux comme ça.
St Christophe patron des routiers, veillez sur moi.
Là, je suis encore sur la partie autrichienne. En traversant un village abandonné, j’aperçois à ma grande surprise de la fumée qui s’échappe du toit d’une vieille maison délabrée.
Je n’y résiste pas, faut que j’aille voir ça de plus près. Je me gare, ferme le camion à clé et glisse un rondin de bois sous les roues. Dans mes poches 2 plaques de chocolat et une cartouche de cigarettes.
Je frappe à la porte… je perçois des bruits étouffés et des chuchotements. Par prudence, je recule en me mettant sur le côté, des fois qu’ils sortent avec un fusil. Le battant supérieur de la porte s’entrouvre de 10 cm, deux yeux émergent de la pénombre, qui m’observent avec crainte.
– Wer bist du ?
– Schweizer fahrer.
Je sors les cigarettes – Für dich. (pour vous)
Le battant s’ouvre complètement, et un couple de vieillards apparait l’air intrigué.
– Was willst du ?
Utilisons le langage universel des signes.
Cigarettes, chocolat, für dich.
– Nein...nein, keine Währung (non, non pas payer)
– Geschenke, nicht zahlen. (cadeaux)
Conciliabule secret entre les deux vieux. Finalement, un accord semble être conclu.
Le deuxième battant de porte s’ouvre, et ils me font signe d’entrer.
Deux chandelles posées sur la table éclairent l’unique pièce. Dans la cheminée brûlent de grosses branches qui répandent une chaleur étouffante.
– Sitzen sie.
J’avance presque à tâtons et m’assieds sur une chaise branlante, dépose chocolat et cigarettes sur la table.
La femme se saisit du chocolat, l’ouvre, partage la plaque en deux d’un coup sec, et… l’engouffre d’un coup.
Son mari ouvre un paquet de cigarettes en sort une, l’allume à la bougie posée sur la table, la porte à ses lèvres, avale une énorme bouffée qui le fait tousser, aspire à nouveau profondément, ferme les yeux dans une extase ineffable.
Puis chacun procède à l’échange, l’homme avale l’autre moitié de la plaque de chocolat, tout en continuant à fumer, et son épouse allume une cigarette qu’elle porte à ses lèvres avec délice.
Je les regarde, subjugué, les larmes m’en montent aux yeux. Il y a assurément bien longtemps qu’ils n’ont pas gouté un tel plaisir.
Sa cigarette terminée, la femme se lève, se dirige vers l’âtre où est suspendu un chaudron en fonte, lève le couvercle et verse dans un bol de grès un breuvage fumant, qu’elle dépose devant moi.
– Suppe, goulasch , gut.
Le liquide épais est de couleur rouge sang, des morceaux de lard surnagent parmi du chou et des pommes de terre.
Je m’aventure avec méfiance à en porter une cuillère à la bouche, aussitôt les feux de l’enfer se répandent, mettent le feu à mon gosier et font un trou dans mon estomac.
J’ouvre la bouche, je manque d’air, je me lève précipitamment et sort sur le pas de porte.
La brave paysanne me suit tenant un grand verre d’eau, que j’avale précipitamment, pensant éteindre l’incendie, non de Dieu... au secours... le feu se ravive, envahit tout mon corps, je transpire, mon cœur bat la chamade, je m’écroule sur le banc qui se trouve contre la paroi de la masure.
– Quoi ? Pourquoi veulent-ils m’empoisonner ? Me voler le camion et mon argent. J’aurais dû être plus prudent, quel con je suis !
Les deux personnages me regardent intrigués, attendant probablement ma mort. Le vieux tient une bouteille dans sa main et un verre dans l’autre.
– Kartoffel-Alkohol, sehr gut
– Sehr stark…sehr stark. Ouh là il doit titrer du 60° minimum.
Ah bon, c’était seulement pour me souhaiter la bienvenue.
– Encore ?
– Nein, danke. Je dois partir.
– Viele danke. Morgen zurück. ( je reviens demain)
– Auf wiedersehen.
Je m’enfuis presque, la bouche me brûle, et je sens ma langue envahir la cavité buccale. Grimper dans la cabine, rincer la bouche avec de l’eau et manger quelques biscuits n’atténue pas la brûlure.
Il faut poursuivre coûte que coûte le voyage.
La nuit est tombée, lorsque j’arrive à la frontière tchèque. Là ça rigole plus, je crois qu’ils ne savent pas que la guerre est terminée.
Mirador, équipé de puissants projecteurs, mitrailleuses, véhicules blindés et une section d’hommes armés jusqu’aux dents. La route est barrée par d’énormes blocs de béton. Je stoppe à 50 mètres, aveuglé par le projo, je reste dans la cabine, protection illusoire, et lève les bras. Un détachement arrive au pas de course, encercle le camion, ouvre la porte et me tire sans ménagement en bas. C’est encadré par 4 gardes armés que je pénètre dans un poste de garde en rondins de bois. Un poêle en son centre chauffe la pièce, assis à une table qui sert de bureau, un officier prêt à aboyer et à me mordre, se tient vautré dans un vieux fauteuil de coiffeur.
Échange de politesse avec les gardes, aboiement avec moi... tu peux gueuler, je ne pige que dalle.
C’est le moment de sortir mon arme magique, je porte la main à ma poche intérieure, aussitôt le vautré sort un pistolet et le pointe dans ma direction. Il donne un ordre, deux de ses subalternes m’immobilisent les bras, le troisième plonge sa main dans mon blouson et en retire le « laissez-passer », qu’il transmet au petit chef. Tiens cela a l’air de faire de l’effet, il se redresse, boutonne son col, remet le révolver dans son étui et saisit le téléphone.
Ouf... l’arme fatale pour connard a fait son effet.
Suit une conversation, silencieuse que je devine, je vous la traduis : Oui... oui... à vos ordres commandant, le petit chef bafouille encore quelques mots, se met au garde-à-vous, claque les talons et fait le salut militaire au téléphone.
Je crois que c’est Antonín Novotniý lui-même, premier secrétaire du parti communiste et président de la Tchécoslovaquie à cette époque qui a signé le document.
Rien ne se passe, personne ne bouge. La sonnerie stridente du téléphone retentit, le chef bondit, saisit le combiné, ouvre la bouche, rien ne sort... Il me tend l’appareil et me fait signe de répondre.
– Bonjour – en français – Vous êtes Blaise Le Wenk chauffeur du camion qui transporte une pièce métallique pour l’usine électrique de Tabor ?
– Oui monsieur. Que se passe-t-il ? Je suis bloqué ici.
Voilà, j’ai donné des ordres pour qu’un détachement vous accompagne demain matin jusqu’à la ville de Tabor. Cette nuit c’est impossible, trop dangereux, il y a des mines sur le parcours. Notez mon numéro de téléphone, s’il y a le moindre problème, n’hésitez pas à m’appeler. Au revoir. Passez-moi le responsable du poste.
Je tends le téléphone, discussion... Ano, ano, Mám to. (oui, j’ai compris).
Le chef se retourne vers moi, donne des ordres, et nous sortons tous ensemble, direction mon camion.
Il me fait signe de mettre en marche et d’avancer. Branle bas, des projecteurs éclairent la scène depuis les miradors. Un tracteur arrive, fixe une chaîne aux blocs de béton qu’il déplace pour pratiquer une ouverture dans le mur.
C’est bon, passez. Ça y est, je suis de l’autre côté du mur, ça fait une drôle d’impression quand même.
Là une chose incroyable se produit, la compagnie se range de chaque côté du camion, au garde-à-vous. Je descends de la cabine, je suis en terre tchèque, applaudissement des soldats, qui étaient prêts à me descendre il y a un instant.
Je remonte dans la cabine, sous le siège une bonbonne d’eau de 20 litres qui contient en réalité du rhum blanc à 45°. Vous… vous savez d’où elle provient !!!
Ça, c’est un langage que tous les hommes comprennent.
Tendez vos gamelles, tournée générale, oui, aussi pour le chef. Attention – silný alkohol – ils ont l’air d’avoir l’habitude, personne ne s’étrangle, allez une deuxième tournée.
– À la vôtre. Bonne nuit.
Je remonte dormir dans ma cabine, maintenant je suis certain que personne ne viendra voler le camion, il est bien gardé.
Le soleil qui se lève à l’horizon illumine ma cabine, et me réveille, je saute à bas du camion. Un groupe d’hommes, torse nu, font leur toilette autour d’une fontaine creusée dans un tronc d’arbre, je me joins à eux... brrrr c’est froid, ça réveille.
Goulasch et pain noir pour le petit déjeuner. Non... non..., ma langue n’a pas encore repris une dimension normale. Je me prépare un Nescafé bien chaud et sucré.
Le commandant sort du poste, donne des ordres et distribue ses consignes à la troupe alignée au garde à vous.
Il me fait signe de mettre en marche et de suivre le véhicule blindé qui vient se positionner devant le camion.
Il donne le signal du départ et prend la tête dans une jeep Skoda. J’observe dans le rétroviseur qu’un second blindé suit derrière moi. Je suis bien protégé ou bien gardé. La colonne se met en marche lentement. Plusieurs fois, nous abandonnons la route, et prenons un chemin parallèle dans la forêt.
Il nous faut plus de 2 heures pour sortir du no man’s land et arriver sur une route bitumée. L’accompagnement militaire ne s’arrête pas là, mais continue à me protéger !
Nous traversons à grande vitesse Ceské Budejovice, encore 80 km et nous arrivons au but... Tabor.
La colonne stoppe sur la Place historique de Přemysl Otakar, au centre de la ville, devant un bâtiment de style Art nouveau viennois.
Un groupe de personnages officiels se tient sur les marches, le commandant descend de son véhicule, s’avance devant un galonné, salue militairement, et me fait signe de m’approcher.
Je sais pas comment ils font, mais un traducteur est toujours présent.
– Je vous présente le Maire de la ville de Tabor et le conseil de ville. Il vous félicite pour votre diligence et vous remercie. Nous allons vous accompagner à l’usine pour décharger la turbine. Ensuite un repas en votre honneur sera servi dans la grande salle du conseil.
Le commandant du détachement me tend la main, et me salue.
Traducteur :
Nous vous laissons ici, contents d’avoir pu vous accompagner, nous espérons vous revoir un jour. Adieu.
– Merci chef, au revoir.
Le traducteur et le directeur de l’usine électrique montent à mon côté dans la cabine, je vous guide jusqu’à l’usine, ce n’est pas très loin, 12 km.
Nous y sommes, l’usine est protégée par une barrière électrique, des miradors et des projecteurs, ma parole, c’est le pays des miradors. Je rentre directement dans la halle des dynamos où une turbine brisée git au sol.
Un palan se déplace et vient se positionner au-dessus du camion. Je débâche et m’apprête à diriger les opérations.
Traducteur :
– Stop, je suis responsable, tant que le chargement n’a pas quitté le pont du camion.
J’espère que le personnel est qualifié pour effectuer le déchargement. C’est une opération délicate. Monsieur le directeur de l’usine, veuillez me présenter le chef d’équipe.
– Je veux vérifier la charge maxi de la grue.
– Quoi... 5 tonnes !! C’est insuffisant.
– Il dit qu’elle a été révisée et adaptée, il n’y a pas de problème.
– OK. Allez-y. Écoutez bien mes ordres. La turbine doit être soulevée avec précision à l’horizontale, lentement sans à coups.
– Levez – traducteur. Criez plus fort.
– Encore... encore. Stop.
– Attendez. Je vais déplacer le camion, c’est plus prudent, si ça lâche, je ne tiens pas à ce qu’il soit écrasé.
Maintenant les gars, c’est à vous, allez-y, mais ne la brisé pas, je ne tiens pas à revenir de sitôt.
– Tchao... – tout le monde comprend ça.
Retour à Tabor, où une réception m’attend, je crains le pire.
Non... il ne fallait pas, je ne suis pas le président de la Suisse.
La salle du conseil de la mairie est décorée de guirlandes et de drapeaux. Lorsque je pénètre les 30 à 40 invités sont debout derrière leurs chaises, et m’applaudissent puis se saisissent de leur verre et porte le premier toast. Hélas il y en aura beaucoup d’autres.
Le Maire-président vient à ma rencontre et m’accompagne à ma place, entre lui et le traducteur officiel. À sa gauche un autre personnage, qu’il me présente – Monsieur Whalen, l’ingénieur de Brown & Boveri qui vient superviser la remise en route de l’usine électrique.
– Bonjour, enchanté – Blaise Le Wenk.
Nouveau toast, on me tend un verre plein d’un liquide légèrement vert…
– Traducteur ?
– Bison vodka –
Devant chaque place se trouve une bouteille Zubrowka Bison, à l’intérieur flotte un brin d’herbe verte.
– Na zdraví... Na zdraví… Na zdraví...
Bon... on peut s’asseoir, maintenant. Faut que je mange, il y a le bison qui est en train de percer la paroi de mon estomac.
Ah... voilà des jeunes femmes en habit traditionnel qui viennent servir.
Une énorme assiette de goulasch et déposée devant moi par une mignonne qui me sourit amicalement. Je n’en ai pas mangé la moitié, que d’énormes oies rôties font leur apparition sur de magnifiques plats en cristal de Bohême. Choux rouges et pommes de terre complètent le repas sans oublier un très bon vin rouge de Melnicka. Comme dessert du léger ! un Strudel aux pommes bien nourrissant au cas où tu aurais encore faim.
Et... n’oublions pas le bouquet final 2 ou 3 toasts à la Slivovitz, l’alcool de prune local. Je vais éclater ou m’endormir sur ma chaise.
Ce qui est sûr, je ne partirai pas aujourd’hui, il me faut du repos. Mais avant, il faut absolument que je parle au maire en privé. Je lui en fais part par l’entremise du traducteur.
Allons dans mon bureau. Je lui remets la montre et le couteau suisse. Pour vous de la part de la Suisse.
Je voudrais vous demander une faveur. Il n’est pas question que je prenne le même itinéraire pour le retour, à vide mon camion n’y résistera pas.
Pouvez-vous faire le nécessaire pour m’autoriser à prendre une autre route plus directe et en meilleur état, et si vous le permettez je ne partirai que demain, avez-vous une chambre de disponible ici, il faut que je me repose.
Oui, pas de problème, je m’occupe de tout. Il appelle sa secrétaire – suivez-là, elle va vous conduire à votre chambre.
Je m’y serais bien intéressé – à la jolie secrétaire –, mais je m’écroule sur le lit sitôt arrivé dans la chambre.
Il est 8 heures lorsqu’elle frappe à la porte, pimpante, habit strict, longue jupe droite. Elle me tend un billet – Monsieur Le Wenk, le maire vous attend, venez prendre votre petit-déjeuner dans son bureau.
(Par signe ) – J’arrive, je prends une douche, attendez-moi, je vais me perdre dans cet immense bâtiment.
Sous la douche, comme souvent je bande, tiens cela me donne des idées, je jette un coup d’œil dans la chambre, elle est là assise droite, sur l’unique chaise. Tentons notre chance, ça peut marcher. Je sors de la douche nu et ruisselant, je m’avance le membre dressé et m’arrête devant la dame, la regarde droit dans les yeux, qui sont d’un bleu nordique, si c’est pas une invitation ça...! Elle ne crie pas au secours, je la sens hésiter, je lui prends les mains la redresse et la presse sur mon ventre. Je crois qu’elle n’est pas contre pour une partie de galipette, elle s’appuie fortement contre mon sexe, je la prends dans mes bras, la soulève et la bascule sur le lit. Merde... ces jupes longues, impossibles à soulever, j’essaie d’ouvrir la ceinture qui lui serre la taille. Ah la voilà qui se décide à me donner un coup de main, elle me repousse sur le côté, se lève et d’un coup sec, laisse tomber sa jupe à ses pieds, balance ses escarpins, retire son slip, écarte ses cuisses et vient s‘empaler sur mon bas ventre. Ano... ano... stále Ano, je crois qu’elle dit oui encore.
Aïe… quelle cavalière, elle me chevauche comme un cheval de course, heureusement qu’elle n’a pas de cravache. Un cri rauque, c’est chaud, humide, elle me prend par l’encolure, serre, serre, m’embrasse, j’étouffe, je défaille, et jouis en elle. Sans autre forme de procès, la voilà qui saute de la selle, court à la douche, sitôt repris mon souffle et mes esprits, je la rejoins sous l’eau, dans l’idée – pourquoi pas – de poursuivre la chevauchée, brrrr... l’eau est glacée, mes ardeurs se calment radicalement. Nous nous essuyons vigoureusement et nous nous rhabillons.
– Ton nom ? Tvoje jméno ?
J’aime bien connaitre le prénom de mes partenaires amoureuses. C’est pour mes mémoires.
– Irina, Jsem Rus.
– Russe ! je vois, pouliche de caractère. Il ne me reste que deux cartouches de cigarettes et un couteau suisse, tiens en souvenir de notre cavalcade. Je la prends dans mes bras et l’embrasse longuement, je n’en avais pas encore eu l’occasion.
– Pospěšte si nyní. (dépêcher maintenant).
Le maire est assis devant une table basse, pleine de victuailles – Jambon, œufs, beurre, poulet, quiche, fromage, etc. Il a commencé à manger visiblement impatient. Il jette un regard réprobateur à Irina et lui donne un ordre sec. Sans un mot elle sort de la pièce et revient 5 minutes plus tard avec le traducteur.
– Installez-vous et restaurez-vous. Ça tombe bien, j’ai une faim de cheval... Tenez votre autorisation pour le retour, valable seulement 12 heures sur le territoire Tchèque. Ne traînez pas en chemin, ne commettez aucune infraction.
Allez à Prague, ensuite prenez la route nationale pour Pilsen c’est la route la plus directe pour l’Allemagne, puis continuez par Nuremberg – Heilbronn – Stuttgart – Zurich = 950 km environ.
Bon voyage de retour et merci. Je dois partir. Terminez tranquillement votre repas, si vous avez besoin de quelque chose vous vous adressez à Irina.
Irina c’est de toi dont j’ai besoin... non, tu ne veux pas ? Alors, apporte-moi du café. Nous terminons ce déjeuner face à face sans mot dire.
Je me lève, il faut que je parte. Je m’approche pour l’embrasser, mais elle met un doigt sur sa bouche puis sur son oreille, elle me montre le plafond et les murs.
J’ai compris, il y a des micros, évidemment. Elle me fait signe de la suivre, nous sortons du bureau et de la mairie, mon camion est là sur la place, gardé par deux policiers. Je lui serre la main longuement, et nous nous séparons sans nous retourner.
Je mets en marche, direction Prague. J’éprouve brusquement le besoin de quitter rapidement ce pays et de respirer l’air libre de ma Suisse natale.
Le retour se passe sans incident, le soir même je suis à Zurich. La nuit, les poids lourds ne sont pas autorisés à rouler, je dors dans la cabine. 5 heures du matin, encore un petit effort 8 heures de route et c’est Genève puis directement mon domicile a Thoiry.
Je me gare dans la cour, klaxonne, silence rien ne bouge, les chiens ne sont pas là, la porte est fermée, et je n’ai pas la clé.
Je prends la voiture et retourne au village, téléphoner à ma mère depuis le bistrot de la Poste.
– Bonjour maman, j’arrive de voyage et il n’y a personne à la ferme, que se passe-t-il ?
– Marie a accouché, hier, elle est encore à la maternité. Tu es papa d’une nouvelle petite fille. Saba est ici avec moi.
Je reste sans voix.
– Je descends tout de suite à la maternité. Tu ne sais pas où sont passés les chiens ?
Je crois qu’il y a quelqu’un qui s’en occupe à Thoiry. Je ne connais pas son nom.
– Merci, maman, je passerai chercher Saba demain.
– Patron… salut, tu ne saurais pas qui s’occupe de mes chiens, j’étais en voyage, et ma femme a dû partir accoucher à la maternité de Genève.
– Ah… c’est vous le Suisse qui habitez la ferme Hutin ?
– Oui, je m’appelle Blaise Le Wenk, je suis routier.
– C’est le père Louis qui a vos chiens, il loge, à 300 mètres d’ici, sur la route principale.
– Merci du renseignement, j’y vais de ce pas.
Je n’ai pas de peine à trouver. Mes deux chiens sont dans un enclos situé devant la demeure du Père Louis. Ils font un boucan d’enfer en me reconnaissant. Le Louis apparait sur le pas de porte et me fait signe d’entrer.
– Bonjour, Monsieur Le Wenk. Venez prendre un verre, je vais tout vous expliquer. Je passais sur le chemin près de chez vous, quand j’ai croisé le taxi qui emmenait votre épouse à la maternité. Le taxi s’est arrêté à ma hauteur et votre femme m’a demandé si je pouvais m’occuper des chiens, enfin juste leur donner à manger.
J’ai l’habitude des chiens, après les avoir un peu amadoués, avec des morceaux de viande, j’ai préféré les prendre ici avec moi. Dites donc, c’est des sacrés molosses. Vous n’êtes pas fâché, j’espère.
– Non pas le moins du monde, au contraire, je suis très content et je vous remercie. Vous pouvez les garder encore un peu, je vais être assez occupé ces jours.
Nous discutons encore un moment pour faire connaissance. À la fin de la bouteille de blanc, je connais toute sa vie. Elle est assez exceptionnelle. Le père Louis a 73 ans, a fait la guerre de 14-18 et celle de 39-45. Prisonnier, il a été expédié au terrible Stalag VIII en Pologne avec 300.000 soldats alliés. Il touche une petite pension militaire et arrondit ses fins de mois en donnant des coups de main à droite et à gauche.
Je saute sur l’occasion, dis, père Louis, tu pourrais venir chez moi m’aider à entretenir la ferme, il y a du boulot, et je suis souvent en déplacement à l’étranger. Tu y réfléchis, je repasse ce soir ou demain matin.
Tu as le téléphone ? Non.
– Salut, à demain.
Ouaah...ouaah...Oui mes chiens… je reviens vous chercher plus tard, gentil, coucher.
Je saute dans ma voiture, direction la maternité.
– Bonjour, madame Marie Le Wenk s.v.p.
– Chambre 218 – 2ème étage.
Je n’ai rien dans les bras, les cadeaux, ce n’est pas mon truc. J’ouvre et j’entre. Elle est là toute menue et pâle assise dans ce grand lit, à ses côtés un berceau, avec une petite tête blonde qui dépasse.
Je m’avance et la prends dans mes bras.
– Blaise... Blaise... enfin tu es là.
– Chérie, pardonne-moi si je n’ai pas pu être présent, je ne pouvais même pas te téléphoner, j’ai été chez les communistes de l’autre côté du rideau de fer. Je t’assure qu’ils ne rigolent pas là-bas.
Quand peux-tu sortir ?
– Demain – tu veux prendre ta fille dans tes bras ?
– Je peux ? Allez viens mon bébé.
– Bonjour toi... elle est bien mignonne, comment va-t-on l’appeler ? Nadia ou Priscilla... je ne sais pas, nous verrons ça plus tard.
Messieurs, dames, les visites sont terminées.
– Je passe demain te chercher, tu sais à quelle heure ? Dès 14 heures. Je serai là, ensuite nous passerons chez ma mère reprendre Saba.
Finalement nous nous sommes décidés pour Lilas.
Notre vie reprend son cours à la ferme de Thoiry.
Je ne prends plus de transport durant les 15 prochains jours.
J’ai récupéré mes chiens Eddy et Brutus chez le père Louis, qui a accepté de venir nous donner un coup de main presque chaque jour, parfois le matin, une autre fois c’est l’après-midi. Cela rassure Marie et moi également
j
Salut mes chiens......
– Je ne vous conseille pas d’entrer !!!!!!
C’est bien beau, la vie de famille, mais quand même un peu lassant. Il faut que je bouge, que je voyage, que je voie d’autres horizons.
c
Un pote m’a filé un super tuyau pour se faire un paquet de fric. L’adresse et une recommandation pour un client, la « Virginia Tobacco ». Le deal est spécial. Cette entreprise, basée dans la zone industrielle de la Praille, est une société spécialisée dans le marché gris des cigarettes. Elle fait partie officiellement d’une multinationale du tabac, mais, son but réel, c’est l’exportation de cigarettes hors taxe en contrebande principalement vers l’Italie.
Je me pointe avec ma recommandation auprès du responsable de ce trafic à grande échelle. Aucune allusion n’est faite concernant l’illégalité de ce négoce. Je reçois un ordre de transport pour 20 tonnes de tabac vrac en balles de 1000 kg à charger au port autonome de Marseille. Juste une recommandation – Tu ne t’occupes de rien, tu charges, tu conduis et tu ramènes la marchandise ici.
Le mec en question, qui m’a mis sur le coup, m’affranchit sur les détails de l’opération.
Pour tes débuts, ils vont te tester sur l’importation de tabac en vrac. Il y a moins de risques, les contrôles se font uniquement sur facture. En réalité, tu charges 2 ou 3 balles en plus que ce qui est mentionné sur la facture d’accompagnement, aucun souci à Marseille, les douaniers sont dans le coup et touchent leur part, ici lors du déchargement il y a une combine, mais je ne la connais pas. Ce qui est certain, c’est que personne ne compte le nombre de balles ni vérifie leur poids.
Le tabac qui rentre officiellement en vrac doit sortir manufacturé, à poids égal, sous forme de paquets de cigarettes. La différence non déclarée sert à produire les cartouches de contrebande.
Pour le moment, tu touches le double du prix du transport, payé en cash. Ce n’est pas terrible, mais le risque est faible.
Plus tard, quand ils te connaîtront mieux, tu pourras aller sur l’export des cigarettes pour l’Italie, là, ça paye gros, mais le risque est beaucoup plus grand. Je fais ces voyages depuis 2 ans, mais il faut que j’arrête, la douane suisse m’a dans leur collimateur, je suis passé entre les gouttes jusqu’à maintenant, n’abusons pas de la chance. Si tu es d’accord, donne-moi 10 % sur tes gains pour t’avoir mis sur ce coup.
– OK. Tope là. Adjugé.
2 chargements par mois sur Marseille, c’est le rythme habituel, 2 à 3 tonnes de tabac vrac non déclaré à chaque fois c’est le deal. Aucune anicroche, le système est bien huilé, et il fonctionne comme sur des roulettes. Du fric en cash tombe régulièrement et va grossir mon magot chez « Planque & Trésor ».
Maintenant, ça roule, je suis presque continuellement sur la route, rarement chez moi. Comme les marins, j’ai quelques maîtresses dans les ports, histoire de pas trop m’emmerder les nuits et les heures de longue attente.
À Sète, c’est une jeune femme d’une trentaine d’années, type espagnol que j’ai rencontrée sur la digue le long de l’étang de Thau où je stationne souvent dans l’attente d’un fret de retour. À part son nom… Dolorès, je ne connais rien d’elle, elle me parle souvent de Toulouse et possède un charmant accent du sud-ouest. Nous faisons l’amour dans la cabine ou sur le sable de la plage.
À Marseille c’est Livia, la femme du douanier chargé des formalités sur le port, et qui a eu le malheur de m’inviter chez lui pour une bouffe. Ils sont tous deux Corses, et vachement sympas... surtout elle !!! Je la baise chez elle, mais pas dans leur lit, j’ai des principes, non, par terre sur le tapis du salon. Je ne suis pas trop tranquille, avec les Corses, on ne sait jamais, ils ont le sang chaud et la gâchette facile.
À Berne, c’est la cousine d’un copain suisse-allemand qui habite Genève. Je joue de temps en temps au poker chez lui. Elle a tout juste 18 ans et vient à Genève pour s’éclater.
Et elle s’éclate, je ne suis pas le seul, une vraie nymphomane, elle n’en a jamais assez. Lorsque je passe à Berne dans le quartier de Bümpliz où elle demeure, je lui téléphone, souvent c’est sa mère qui répond...
– Bonjour Frau, Lise est-elle là ? En français...
– Lise... ist dein freund in Genf - Sie kommt – elle vient.
Frau, Madame, me passe Lise sans discuter.
– C’est moi... Blaise, tu viens, prends un taxi, vite... j’ai envie de toi.
Je lui donne rendez-vous sur un parking où je peux me garer avec mon camion. Je la prends dans la cabine, enfin c’est plutôt elle qui me la prend, Lise adore pratiquer la fellation et elle est douée pour ça. Pas question d’aller à l’hôtel, je ne suis pas certain qu’elle soit majeure.
Je suis même monté à Berne avec mon camion vide, pour la voir.
Je sais, c’est pas très joli... joli... tout ça. Quand j’ai quelques remords sur mes agissements extra-conjugaux, je les balaie rapidement, surtout ne pas se laisser envahir par ce genre de pensée malsaine, le déni total est l’unique méthode efficace. Je sais qu’un jour, je vais devoir payer, pour tous ces forfaits, c’est une petite voix qui me le susurre constamment à l’oreille.
– T’es qui toi... hein ! pour me juger, fous le camp, je t’emmerde.
Aujourd’hui c’est le grand jour, je charge un camion-remorque de cigarettes, plein jusqu’au toit, de toute façon si tu te fais gauler, le tarif est le même pour 10 cartons ou 1000. Le douanier suisse de la « Virginia Tobacco » vient plomber le câble, vérifie que la bâche n’a pas de déchirure et me tend les papiers d’accompagnement pour le port franc de Turin.
– C’est bon, tu peux y aller. Bonne chance !
Tiens, je me demande s’il est dans le coup ? Un douanier suisse corrompu, je ne peux y croire.
J’emprunte pour la première fois le tunnel du Mt Blanc qui vient d’être inauguré ce mois de juillet. Entrée Chamonix. Sortie 12 km plus loin à Courmayeur. Le tunnel ne comporte qu’une seule galerie de 8 mètres de large. Deux voies de 3,50 m. Les camions TIR font 2,80 m. Quand tu croises en sens inverse un autre poids lourd à 90 km/h, ça fout la trouille, c’est plus fort que moi, mais je ferme les yeux quelques secondes.
Douane italienne à la sortie du tunnel, un coup de tampon – circulez, rendez vous directement au port franc de Torino pour dédouaner et décharger votre cargaison.
Le trajet fait environ 500 km par la route.
Arrivé devant le portail d’entrée, j’ai le souffle coupé par le spectacle, sur l’immense parking, 4 à 500 camions bien alignés, attendent. Chauffeurs, aides-chauffeurs, transitaires, douaniers, discutent par petits groupes dans les allées, autour d’une bouteille de vin rouge et d’une pizza.
Contrôle d’entrée par les douanes et la police.
– Papiers du véhicule et du chargement. T’as quoi là-dedans ? Des cigarettes... ah bon.
Le préposé me tend une fiche avec 2 numéros.
– C’est quoi ?
– Ah t’es nouveau dans le secteur. Premier numéro, l’allée, le second c’est ta place de stationnement, tu y vas, tu gares ton camion et tu n’en bouges plus jusqu’à ce qu’on vienne te chercher. Faut de la patience, peut-être 24 heures.
Ce n’est que le lendemain en début d’après-midi qu’une grosse berline Alfa-Roméo se gare près de mon camion, un douanier et un gars en complet foncé et Ray-ban en descendent et tapent à ma portière.
– Salut... t’es Le Wenk.
– Oui.
– Donne les papiers... merci. OK. Suis-nous. Leurs grosses bagnoles stoppent devant un entrepôt, une porte coulissante s’ouvre, ils me font signe d’entrer, la porte se referme. À l’intérieur plusieurs petits camions sont stationnés. Ne bouge pas, reste dans la cabine, on s’occupe du déchargement.
Une dizaine d’hommes arrivent, font la chaîne et transfèrent mon chargement en moins de 15 minutes dans leurs camionnettes.
Deux coups sur ma cabine, un signe en direction de la sortie. La porte coulisse pour me laisser le passage et se referme derrière moi. Terminé, je sors tranquillement de la zone douanière, passe devant la guérite, le douanier me salue, lève la barrière…
– Allez-y.
– Ouf... c’est quand même stressant la première fois, s’agit pas de faire le malin. Je ne m’attarde pas à chercher du fret, je rentre direct sur Genève par le même chemin.
Je vais en faire souvent des voyages à Turin. Maintenant je connais toutes les ficelles, un bakchich pour ne pas rester planté sur le parking. Ne jamais parler à un inconnu qui te pose des questions, même et surtout si c’est un Guardia Civile ou un douanier. J’ai un numéro de téléphone gravé dans ma tête que je dois appeler en cas de problème. Eh oui, ça marche comme ça en Italie.
T.IR. – Trafic – Fric et petites pépées vont durer 5 ans sans incident majeur.
700.000 km au compteur. 1 révision moteur.
J’en ai marre, j’arrête avant que ma chance tourne.
Le camion est vendu pour 20.000 fr.
Je suis un client important de la banque P. & T. mon compte atteint les 7 chiffres. X + 000.000 – Fr.
Mais qu’en faire ? En attendant, il continue à faire des petits.
Saba et Lilas ont 5 et 6 ans je n’ai pas été souvent présent.
Je vais me rattraper.
l
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