vendredi 24 mars 2017

CHAP. N°5 — PAN…DANS LA GUEULE



Je le savais, qu’il allait falloir payer un jour pour toutes mes conneries. 
Ce jour est arrivé. La facture est lourde.





J’ai débuté dans mon travail. Super content. J’ai mon propre bureau. Bonne ambiance, juste que l’odeur des parfums, me file un puissant mal de tronche, paraît que c’est normal les premiers temps, ça devrait passer.
En fin de journée, je passe chercher mes filles à l’école Steiner, à midi elles mangent sur place, c’est végétarien, pourquoi pas ! ça ne peut pas leur faire de mal !
Pendant le repas du soir, Marie m’annonce qu’à la suite de la visite chez son médecin, elle doit aller faire des examens à l’hôpital.
– Mais, il t’a dit quoi... ton toubib. 
– Pas grand-chose, il a fait la grimace. – Vous devez rapidement aller faire des analyses à l’hôpital cantonal, je vous prends un r. d. v. immédiatement – voilà, c’est pour demain matin 10 heures, vous devez voir le professeur Jenzer qui va vous examiner.
– Et maintenant, comment te sens-tu ?
– Seulement très fatiguée. Je n’ai pas faim, j’ai toujours des nausées. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.
– Je vais t’accompagner à l’hôpital demain.
– Non, ce n’est pas nécessaire, tu ne vas pas déjà t’absenter de ton travail, quand tu viens de commencer. Je te téléphonerai, dès que cela sera fini.
– J’irai en taxi. Ne te fais pas de souci.
Du souci je vais m’en faire toute la journée. Il est 16 heures quand je reçois un téléphone du professeur Jenzer.
– Monsieur Le Wenk ? Oui, c’est moi. – Nous allons garder votre femme en observation quelques jours. Vous pouvez venir la voir ce soir jusqu’à 20 heures. Bonsoir.
Je reste abasourdi, la main en l’air, tenant le combiné téléphonique. Je ne suis pas rassuré du tout. Tant pis si je perds mon boulot, mais il faut que je parte immédiatement.
En premier lieu, je vais chercher Saba et Lilas et les ramène à la maison. Ensuite pour ce soir, il faut que je trouve quelqu’un pour les garder. Je téléphone à une amie de Marie qui n’habite pas très loin, et lui demande si elle peut venir s’en occuper pour la soirée. 
Oui, bien sûr, je viens directement après le travail vers 18 heures.
Sitôt que Chiffon – c’est son surnom, arrive – je lui explique la situation, et pars immédiatement.
Réception de l’hôpital : bonjour la chambre de Mme Marie Le Wenk s.v.p.  – La 113, premier étage. – Merci.
Long couloir, sol miroir, odeurs d’hôpital. Voyons... 81 – 93 – 111 – 113... la voilà. toc... toc, j’entre en douceur, bonsoir. 6 lits...
– Marie ! Je suis là – bisou... bisou – comment vas -tu ? 
Ça va, juste un peu fatiguée. J’ai passé des radios, prise de sang, auscultation dans tous les sens, tu vois le topo, tu l’as subi aussi à notre retour d’Algérie.
– Et alors, ils t’ont dit quelque chose ?
– Non absolument rien. Je dois rester encore demain pour d’autres examens. Le médecin te téléphonera quand ils seront terminés.
– Comment vont les enfants ?
– Pas de problème, j’ai demandé à ta copine Chiffon de les garder ce soir. Demain matin, je les raccompagne à l’école. Maintenant il faut que je parte, repose-toi. Je t’aime, bonne nuit.
La mienne est mauvaise, je ne cesse de gamberger. Finalement, je décide de ne pas aller travailler, je suis inquiet, comme un mauvais pressentiment.
Je reste toute la matinée à tourner en rond, attendant le téléphone de l’hôpital. Il est midi quand il sonne enfin.
– Bonjour Monsieur Le Wenk, je suis le docteur Jenzer, vous pouvez venir chercher votre femme en début d’après-midi, mais avant, je vous demande de passer à mon bureau. Je vous attends à 14 heures.
– Cet appel n’est pas vraiment pour me rassurer. Impatient, je saute dans ma voiture pour me rapprocher de l’hôpital et trouver une place de parc, ensuite je vais manger au Café des Platanes, juste en face de l’entrée de l’hosto.
À l’heure fixée, je frappe à la porte du grand professeur Jenzer.
– Oui… entrez. Bonjour, Monsieur Le Wenk, vous pouvez vous asseoir ici. Je vais être direct, ce que je vais vous dire va vous causer un choc – votre femme a un cancer de l’estomac très avancé, avec métastases aux poumons. Il faut l’opérer rapidement. Je ne vous cache pas que ses chances de survie sont très faibles. J’ai prévu de l’opérer dans deux jours. C’est une grosse opération par thoracotomie. Encore une chose, votre femme n’est pas au courant de la gravité de sa maladie, je ne vous conseille pas de l’informer trop précisément, cela pourrait l’inquiéter et compromettre une éventuelle guérison.
– Vous pouvez ramener madame Le Wenk chez vous et la préparer à cette intervention qui sera suivie de plusieurs séances de radiothérapie. Je vous reverrai après l’opération pour vous donner plus de renseignements. Au revoir et bon courage.
Il se lève et me tend la main d’un air absent.
Je fais un effort pour me lever, mes jambes ont de la peine à me soutenir. Je sors du bureau comme un automate, il faut que je reprenne mes esprits avant d’aller chercher Marie.
Je sors de l’hôpital, et me dirige directement vers le café des Platanes, il me faut un puissant remontant.
– Un cognac s.v.p. je l’avale cul sec, un autre… qui suit le même chemin. Ça ne me remonte pas le moral, mais je ne peux pas retourner bourré chercher Marie. Impossible de rassembler mes esprits, le choc est trop terrible. Je ne peux même pas imaginer tout ce que cela va entraîner comme bouleversements dans nos vies.
– Allez Blaise... reprends-toi, c’est le moment de montrer ta maîtrise de joueur de poker. Allez, j’y retourne. 
Chambre 113… je reste quelques minutes devant la porte, calmos, calmos, visage impassible – j’entre.
Marie est assise sur le bord de son lit. Pour la première fois, je remarque son teint pâle et sa maigreur.
– Bonjour chérie, tu es prête ?
– Oui, j’attends depuis 1 heure.
– Excuse-moi j’ai été trouver ton docteur.
– Ah ! que t’a-t-il dit? – une certaine appréhension perce dans sa voix et dans son regard –. 
– Pas ici, c’est compliqué, rentrons, je t’expliquerai à la maison.
Je dois la soutenir, tellement elle paraît faible. 
– Attends, je vais chercher un fauteuil roulant pour t’amener jusqu’à la voiture qui est dans le parking. Voilà, installe-toi pendant que je ramène le fauteuil à la réception.
Pas un mot pendant le trajet. La tension est palpable. Je réfléchis à la meilleure manière de lui mentir pour cacher la véritable gravité de sa maladie. Il faut que j’invente rapidement quelque chose de plausible sur son état.
À peine arrivés chez nous, que Marie, inquiète me questionne – alors, qu’est-ce que j’ai ? 
– D’après le professeur Jenzer, tu as un ulcère à l’estomac qu’il faut opérer rapidement à cause d’un risque d’hémorragie. L’opération est prévue dans deux jours.
– Ah, c’est pas trop grave alors ?
– Non... je ne pense pas, mais c’est quand même une opération assez sérieuse. Ne t’inquiète pas trop, cela va bien se passer.
Je crois que je m’en suis bien tiré. Non, je ne suis pas très fier. Dans ce temps-là, personne ne disait la vérité au malade atteint d’une maladie à l’issue fatale, paraît que c’était pour qu’il conserve un bon moral. Foutaise...
Je passe les deux prochains jours à m’organiser pour les prochaines échéances. Chercher un internat pour Saba et Lilas. Arranger mon temps de travail afin d’être disponible pour les visites à l’hôpital. Faire les courses et préparer les repas, Marie étant trop faible pour avoir la moindre activité.
Le matin à 8 heures du jour programmé pour l’intervention, j’accompagne Marie jusqu’à une chambre commune de 6 lits. Elle s’assied sur son lit d’un air las. Je lui dis au revoir d’un air détaché et je quitte la chambre rapidement sans me retourner, submergé par l’émotion.
Dans le couloir, l’infirmière responsable du service me tend un papier avec un n° de téléphone.
– Monsieur Le Wenk, vous pourrez appeler ce numéro pour avoir des nouvelles en fin de journée.
Je prends le billet sans un mot, sors de l’hosto et vais directement au café des Platanes boire un café accompagné d’un solide remontant.
Je ne réalise pas encore vraiment ce qui se passe.
Incapable d’aller travailler, je reste sur la terrasse du café toute la journée, vers 18 heures, j’appelle le numéro indiqué. – Allooo... c’est monsieur Le Wenk, je viens prendre des nouvelles de madame Marie Le Wenk.
– Bonsoir, monsieur, je crois que vous devriez venir pour rencontrer le chef de clinique.
Je me précipite, traverse le boulevard de la Cluse, entrée de l’hôpital, 1er étage. Salle des infirmières.
– Je suis le mari de madame Le Wenk, je voudrais voir son médecin. 
– Venez, je vous accompagne. C’est ici, entrez.
Assis à son bureau, un jeune médecin me reçoit. Bonsoir, monsieur Le Wenk, je suis le docteur Clerc, asseyez-vous.
– Ce que j’ai à vous annoncer ne sont pas de bonnes nouvelles. Votre épouse a été opérée, nous avons dû enlever l’estomac et le poumon gauche qui était trop atteint. Malgré cela, de nombreuses métastases se sont disséminées dans d’autres organes. Pour être franc, malgré tous les traitements à notre disposition, il faut malheureusement envisager une issue fatale à brève échéance. 
Je me tasse dans le fauteuil, ma bouche est sèche, je prononce dans un souffle...
– Combien de temps ?
– C’est toujours difficile de faire un pronostic sur ce genre de cas, mais je dirais 1 à 2 mois, 3 dans la meilleure des probabilités.
Dans 15 jours, madame Le Wenk pourra rentrer à son domicile pour quelques semaines. Ensuite, c’est à vous de voir si vous voulez la garder jusqu’à la fin, ou nous la ramener ici dans le service où nous ferons tout notre possible pour l’accompagner et lui éviter le maximum de souffrance.
– Puis-je la voir maintenant ?
– Non, pour aujourd’hui ce n’est pas possible, revenez demain à 14 heures, je vous accompagnerai auprès d’elle.
Le docteur Clerc se lève, me tend la main – je suis désolé, bonsoir, monsieur Le Wenk, à demain. 
Je sors de son bureau complètement sonné, longe le couloir traverse le hall d’entrée et me dirige vers le parking récupérer ma voiture.
Une fois assis au volant, je mets la radio à fond, sors mon flacon du vide-poche et vide d’un trait le rhum qu’il contient.
Tant de choses se bousculent dans ma tête, je n’arrive pas à rassembler mes esprits. Cependant, peu à peu une pensée s’impose, le moment est arrivé où je vais devoir payer le prix de ma mauvaise vie passée.
Le lendemain dès 14 heures je suis sur place, le docteur Clerc m’accompagne au chevet de Marie, qui est seule dans une chambre. J’entre à sa suite...
Elle est là, minuscule dans son lit, reliée à de nombreux appareils de survie, pâle, les joues creusées, les yeux voilés et tristes.
Je suis incapable de lui parler, je n’ose même pas m’approcher pour la toucher. Elle tourne légèrement la tête dans ma direction et tente un pauvre sourire. Je me décide à lui prendre la main, nous restons ainsi plusieurs minutes sans rien dire. Puis je la lâche, me dirige à reculons en direction de la porte…  
– À demain chérie. Au revoir docteur.
Il va falloir que je maîtrise mieux mes émotions.

l

Une semaine a passé, bien qu’elle ait perdu 20 kilos, la condition physique de Marie s’améliore de jour en jour, elle commence à marcher et à manger. C’est incroyable, la capacité du corps à se régénérer. J’en viendrai presque à reprendre espoir.
J’ai mis à profit ce temps pour aménager notre nouvel appartement. Style confort anglais. Chambre à coucher Chippendale en acajou, salon cuir, cuisine équipée. Tout est prêt pour le retour de Marie.
Je dois faire comme si c’était définitif.
Saba et Lilas qui ont 10 et 11 ans ne sont pas au courant de la gravité de la maladie de leur maman. Je ne les ai pas emmenées lui rendre visite à l’hôpital pour ne pas les inquiéter.
3 semaines après l’opération, le jour de sortie de Marie est arrivé, elle est encore très faible, je dois la pousser dans un fauteuil jusqu’à la voiture.
Comme je ne prends pas le chemin habituel, Marie me demande où nous allons.
– Je t’ai réservé une surprise, nous nous rendons au Lignon à notre nouvel appartement. 
Je stoppe la voiture devant l’entrée, l’aide à s’en extraire avec difficulté et la soutiens jusqu’à l’ascenseur.
C’est parti, 25ème étage, en quelques secondes nous sommes devant notre porte, je l’ouvre prends Marie dans mes bras, pour franchir le seuil, et la pose avec douceur dans un des deux fauteuils de cuir. 
– Voilà, notre nouveau domicile, comme tu vois, tout est neuf et confortable, si tu arrives à marcher, viens voir notre chambre à coucher.
– Donne-moi la main, je n’arrive pas à m’extraire de ce fauteuil trop profond. 
– Viens... comme ça, doucement, encore quelques pas. Regarde, comme elle est jolie, je l’ai choisie pour toi. Elle te plaît ?
– Oh, oui, merci, je vais l’essayer immédiatement et m’étendre, je suis fatiguée. Si tu veux bien m’aider.
– Repose-toi. Je vais aller chercher les filles à la pension. Je serai de retour dans 1 heure. 
J’ai donné mon congé à Gévaudan. Je tiens à profiter des derniers moments avec toute ma famille. Marie a récupéré, et se porte beaucoup mieux. Nous allons souvent passer quelques jours dans des stations de montagne, Leysin, les Diablerets ou plus près à St.Cergue.
Nous ne parlons jamais de sa maladie, bien que je la sente inquiète dans son for intérieur.
Fin novembre l’état de Marie se dégrade à nouveau brusquement, il faut à nouveau l’hospitaliser.
Son médecin m’explique qu’il reste encore un espoir avec un nouveau traitement, la radiothérapie au cobalt qui est censé détruire les cellules cancéreuses profondes.   


          
Marie va subir plusieurs séances de cette nouvelle technique de torture. Elle en sortira brûlée au 3ème degré sur la moitié du corps. Après contrôle, le cancer n’a toujours pas régressé. 
Par contre l’état de Marie s’aggrave rapidement, il faut la mettre sous respirateur artificiel et la nourrir par perfusion.
Son teint est devenu cireux, elle ne parle plus. On lui administre de fortes doses de morphine. Je passe chaque jour de longues heures à ses côtés.
Dans un dernier moment de lucidité, Marie me prend la main et en me regardant droit dans les yeux...
– Chéri, je sais que je vais mourir, ça va être difficile pour toi, mais fais-moi la promesse de t’occuper de nos deux enfants, ne les abandonnes jamais, jure-le-moi.
– Je te le promets chérie. Ne t’inquiète pas. 
Ce sont les dernières paroles que nous échangeons. 
Terrassée à l’âge de 36 ans par un cancer généralisé, après avoir été disséquée par des apprentis sorciers aveugles sans état d’âme.
En ce soir du 25 décembre 1968, je suis à son chevet dans une chambre isolée de l’hôpital de Genève. Totalement inconsciente depuis plus d’une semaine, étendue, immobile, le visage cireux, reliée aux nombreux tuyaux qui la maintiennent prisonnière, sur ce lit de souffrance, donnant l’illusion d’un souffle de vie arrivé depuis longtemps à son terme. 
En ce jour de Noël, comme chaque soir depuis de nombreux jours, je viens veiller près de ce corps inerte, dans un silence pesant, troublé uniquement par le flux régulier du respirateur.
La soirée est déjà bien avancée, je m’apprête à partir, plus désespéré que jamais devant mon inutilité, lorsque la porte s’ouvre, l’interne de garde, passe la tête en disant d’une voix endormie “ tout va bien ici ! “ . Brutalement, je suis envahi par une poussée d’adrénaline, dans un furieux sentiment d’indignation, je réponds calmement, OUI, OUI… attendez-moi dans le couloir, j’ai deux mots à vous dire. Je me lève d’un seul coup, traverse la chambre, pousse le toubib dans le couloir et le saisis par le col de sa blouse blanche, et tout en le secouant, je lui hurle au visage :
– « Vous avez l’intention de la laisser “comme ça“ encore longtemps, vous savez bien que c’est finiiiiii… »
Et… stupéfait, j’entends « l’interne de garde ce soir de Noël » me répondre calmement… Mais monsieur, si vous m’exprimez clairement votre décision de faire stopper le soutien médical vital indispensable pour maintenir votre femme en vie, je peux le faire immédiatement.
– Abasourdi, par ce que je viens d’entendre, je le lâche. 
– Quoi… qu’est-ce que vous dites ! 
– Écoutez, je n’ai pas le droit de prendre cette décision de mon propre chef, mais si vous me le demandez, dans ces circonstances, je peux prendre la responsabilité de la débrancher.
Je n’hésite pas une seconde.
– Faites-le, tout de suite.
– D’accord, mais ne restez pas là, allez dans mon bureau, je viendrai vous chercher quand tout sera fini.
1/2 heure plus tard, le jeune interne est de retour.
– C’est fait, vous pouvez retourner dans la chambre dans laquelle repose votre femme. 
Là un choc m’attend… Marie est là, étendue, un petit bouquet de fleurs entre ses mains croisées sur sa poitrine. Son visage détendu reflète une sérénité indescriptible.
Tous les instruments de torture ont disparu, le lit a été fait, avec des draps d’un blanc immaculé. C’est terminé, le temps, suspendu un instant, s’est remis en marche. Il est minuit, en ce soir de Noël 1968. Je vais rester auprès d’elle pour la veiller jusqu’au matin, puis, complètement sonné par les événements de la nuit, je rentre chez moi, une boule dans le ventre qui mettra plusieurs mois à disparaitre.
C’est durant cette nuit, anéanti, scandalisé et révolté, que j’ai pris la décision irrévocable d’abandonner le système que cette société me propose et la voie toute tracée qui m’était destinée, et surtout, de renoncer à cette médecine symptomatique destructrice dont j’ai pu constater l’hypocrisie et les terribles limites.

Plus jamais ça…
OUI… oui, plus jamais ça, renoncer, changer, mais par quoi remplacer ? 
– Je n’en avais pas la moindre idée.
Quoi qu’il en soit, depuis cette tragique nuit de Noël, je renonce. J’ai vendu mes meubles, abandonné l’appartement, et me suis acheté un mobile home que j’ai installé dans un camping sauvage à quelques kilomètres du centre de Genève, au bord de l’Arve (une rivière boueuse issue du Massif du Mont-Blanc qui traverse la ville et se jette dans le Rhône au lieu dit « la Jonction ».)
Chaque nuit je m’efforce d’oublier la mort de Marie dans les bars de la ville, je me suis remis au jeu, aux femmes et à l’alcool.
Au petit matin un taxi me ramène à la caravane, où je m’effondre sur le lit jusqu’à la mi-journée.
Je sens bien que ma vie m’échappe, que je m’enfonce de plus en plus dans la débauche. Je veux payer mes erreurs passées par une forme de suicide.
Saba et Lilas sont toujours dans leur pension, je les prends quelquefois le dimanche. J’ai tellement de culpabilité de ne pas trouver le courage de reconstruire un noyau familial pour elle, comme je l’avais promis à Marie.
Je vais tenir un an à ce régime. Un matin où je rentre selon mon habitude totalement ivre, accompagné et soutenu par mon chauffeur de taxi habituel qui est devenu presque un ami, je m’écroule devant l’entrée de la caravane, terrassé par une insoutenable douleur dans la poitrine. Un rouleau compresseur m’écrase, je n’arrive plus à respirer, je perds connaissance.
Lorsque je me réveille, je suis à l’hôpital aux soins intensifs. Un médecin m’explique que j’ai eu une crise cardiaque que j’ai pu être sauvé grâce au sang froid du chauffeur de taxi qui m’a amené rapidement aux urgences.
La crise cardiaque a été provoquée par l’obstruction d’une artère, la coronaire droite, ce qui empêche le sang d’arriver au muscle du cœur (myocarde). Il a fallu donc déboucher l’artère le plus rapidement possible sous peine de mort immédiate.
Vous êtes tiré d’affaire pour le moment, mais à 36 ans, affaibli par un mode de vie déraisonnable : mauvaise alimentation, vie déréglée, tabagisme, alcool et manque d’exercice physique, une rechute est inévitable.
Nous allons vous garder un certain temps pour des examens complémentaires et mettre en place un traitement spécifique à votre cas.
Un mois… j’y suis resté, réadaptation, oui, j’ai une jambe légèrement paralysée, médicaments, régimes, etc.
Derniers entretiens avec mon médecin...
– Vous voilà à nouveau sur pied, provisoirement… Mais attention, si vous ne changez pas radicalement de mode de vie vous êtes foutu, vous m’avez bien compris ?
Vous êtes veuf et vous avez 2 enfants, je crois, alors... reprenez-vous N… de D... sinon ils seront bientôt orphelins.
Là il touche où ça fait mal.
– OK. Docteur, je vais essayer. Merci.
C’est le choc qu’il me fallait pour stopper ma propre destruction.









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