mercredi 22 mars 2017

CHAP. 2 — LES JEUX SONT FAITS


Rien ne va plus
Les jeux sont faits
Tout va bien

***




       Après ces années tumultueuses, j’aspire à une pause. Ces mois de maladie nécessiteraient une longue convalescence – mais non Blaise, ce n’est pas le moment –.
Ta famille te presse pour régulariser une situation gênante et inconvenante. (paroles de mère).
Marie, qui arrive gentiment à son 8ème mois de grossesse est impatiente d’accoucher.
Moi, Blaise… ce remue-ménage, commence à me gonfler.
Surtout que je ne suis pas chaud pour me marier et encore moins de devenir père.
Pour ne pas faire de peine à Marie, finalement j’accepte le mariage, mais sans les agapes habituelles. 
Mairie des Eaux-Vives deux potes de l’Estaminet seront témoins de notre union civile, une bouffe sympa au Café de la Pointe à Villereuse, célèbre pour ses entrecôtes-frites, marqueront et clôtureront cet événement.


Mariage avec Marie en 195.......

Tobias, qui entre-temps a divorcé, s’est remarié avec sa jeune Russe volcanique. Nous a invités pour le repas du soir, dans sa nouvelle maison à Commugny. Comme d’habitude, mon père a préparé des réjouissances dignes de lui.
Repas à la russe, accompagné d’un virtuose du violon pleureur, de Galya sa nouvelle femme russe et d’une dizaine de ses amies et amis.
Buffet de Zakouskis hors-d’œuvre typiques de la cuisine russe. Borchtch. Kacha à la crème aigre. Blinis. Caviar et vodka à volonté.
À minuit la plupart des invités sont sous la table, ou affalés dessus parmi les restes du festin. Les rasades cul sec de vodka à grands coups de « naz drovié » ont fait leur œuvre.
Avec Marie, nous nous sommes éclipsés avant la noyade générale dans la chambre que Tobias nous a préparée à l’étage.
Épuisés, nous dormons sagement !
Lorsque nous descendons vers 10 heures pour le petit dèj. un couple d’Italiens, engagé par Tobias, a fait place nette, et un grand pot de café noir brûlant nous attend sur la table.
J’écris un mot de remerciement à mon père que je glisse sous la cafetière, et nous prenons la route pour notre domicile de Soral. 
Ouf… voilà une chose de faite, un peu de tranquillité nous fera du bien. 
Cela ne va pas durer, 15 jours plus tard, un 15 février, Marie accouche d’une petite fille que je vais déclarer à l’état civil sous le nom de Saba Le Wenk, notre petite reine conçue sous le soleil d’Afrique. Fini les nuits silencieuses.
Je glande à la maison et commence sérieusement à m’emmerder. J’ai l’impression de m’être fait prendre dans un piège à filet utilisé dans la brousse pour capturer les grands singes.
La vie de famille n’est pas faite pour moi, j’ai besoin de liberté et d’aventure. Dilemme comment m’en sortir sans faire de peine à ceux qui m’aiment.
Oui, je sais, c’est de l’égoïsme pur, et il n’y a pas de solution immédiate à mes aspirations.
En attendant je retombe dans mes vieux démons, le jeu, les petits trafics et les copains de bistrot, ça ne paye pas, mais ça m’occupe.
Je m’absente de plus en plus souvent, rentre tard le soir, quelquefois en vacillant et de mauvaise humeur quand j’ai perdu au jeu.
C’est triste, car Marie est une femme au foyer parfaite. Maison impeccable, cuisinière hors pair, aux petits soins pour notre fille Saba, douce et amoureuse avec moi, jamais aucun reproche.
 6 mois se passent ainsi, et Marie est de nouveau enceinte. Vous dire que la nouvelle m’enchante serait mentir. Je me dis que cela va l’occuper un moment. Vraiment, je ne suis qu’un abruti de macho.
Le soir même, par dépit, je me rends au Casino de Divonne. Bien que je ne sois pas addict au jeu, j’ai besoin de ces décharges d’adrénaline quand je gagne et encore plus quand je perds. Hypnotisé par cette boule qui a sa propre vie, qui hésite, dans quel trou va-t-elle tomber, tiens celui-là le 21… finalement non, sur quelle couleur, rouge, vert, noir ? Pair — Impair ? Allez... allez, décide-toi non de… d’une pipe. Ce soir, je gagne plusieurs centaines de francs, cette maudite roulette a choisi de rouler pour moi. Je décide de claquer mes gains au bar avec quelques créatures sexy, certainement à la solde du casino. Des entraîneuses entraînées à faire recracher l’argent gagné sur les tables de jeu. Je connais le procédé, mais je m’en fous… 
– Holééé… champagne, barman, servez ces demoiselles et pour moi un alcool de mec, donne-moi une bouteille de vodka et une coupe de caviar. 
2 heures du matin. Sérieusement bourré, déconnant à pleins tubes, pelotant assidument tour à tour les deux filles assises à mes côtés.
– Monsieur… nous fermons.
– Hein... quoi... fermer ?
– Oui, l’établissement ferme. Voilà votre addition. 
– Hum... Quoi ! 1600 fr. C’est quoi st…’embrouille, vous voulez me reprendre l’argent que j’ai gagné au jeu. Je connais vos méthodes, allez vous faire foutre, je ne payerai rien, tenez je vous rends votre bouteille de vodka.
D’un geste brusque, je lance le flacon, qui va s’écraser sur les rayons de verre où sont alignés de nombreux flacons d’alcool. Le résultat est saisissant, miroir, rayons et bouteilles, dans un effet domino, se brisent et s’écroulent au sol, dans un fracas dantesque.
– Me voilà remboursé... Salut, les meufs.
J’ai pas le temps de descendre de mon tabouret, que je suis soulevé dans les airs par les deux malabars du casino. J’ai beau m’agiter tel un pantin désarticulé, en hurlant des imprécations, rien n’y fait, en moins de temps qu’il n’en faut pour vous le décrire, me voilà brutalement propulsé sur le perron de marbre à l’entrée du casino. Je m’y étale de tout mon long, gratifié de deux ou trois coups de pied dans les côtes pour faire bonne mesure.
Là… j’ai mon compte, je reste étendu sur place, vomissant tout l’alcool ingurgité dans la soirée. Les deux videurs reviennent à la charge, me mettent debout sans ménagement pour me traîner et m’étendre sur un banc du parc.
– Maintenant, t’arrêtes de nous faire chier, ne remets plus jamais les pieds dans cet établissement, dorénavant tu es interdit de casino. T’as bien pigé !
Je m’endors rapidement dans un profond sommeil éthylique. Quelques heures plus tard, je me retrouve sur la banquette arrière d’un taxi. Où suis-je ? C’est le trou noir.
– Bonjour, vous allez mieux, je suis chargé par la direction du casino de vous raccompagner à votre domicile, à Soral, c’est bien ça ?
– Eh... oui, je suppose. Quelle heure est-il ? 
– 5 heures du matin, monsieur. 
– Bien, déposez-moi à l’entrée du village. 
– Merci, combien je vous dois, rien, je suis payé par le casino. 
– OK, tenez 100 balles pour vous. Au revoir et merci pour le dérangement.
Maintenant, va falloir affronter le plus dur, passer la porte et raconter une histoire à ma femme. Ah, que j’aimerais qu’elle m’engueule, j’aurais moins honte.
Après m’être déshabillé, je prends une douche froide pour me remettre d’aplomb, quand j’en ressors, Marie est là, dans la cuisine occupée à préparer du café. À part un regard réprobateur, rien, pas une parole. J’ouvre la bouche pour lui débiter des excuses bidon, elle m’arrête d’un signe de main. Ne dis rien, pas de mensonge, assieds-toi, bois ton café et va te coucher.
Je ne demande pas mon reste, et m’exécute penaud.
Interdit de casino, finalement c’est une bonne chose, il va falloir rapidement changer, sinon je cours a la catastrophe.
À force de gamberger, une idée a germé dans mon esprit, je vais m’acheter un camion et faire du T.I.R. (transports internationaux) c’est une bonne solution, qui présente que des avantages pour moi. Je serai libre, je voyagerai, et je gagnerai ma vie presque honnêtement. 
Depuis cette nuit mouvementée du casino, un nuage plane pour la première fois sur mes relations avec Marie. J’enrage qu’elle ne me demande pas des comptes sur mes occupations nocturnes.
Je sens qu’il va falloir percer l’abcès. J’attends le moment adéquat pour tout mettre sur le tapis et lui parler de mes projets.
Pour amortir le choc de mes idées, je lui prépare une surprise, 
– Chérie, nous devons avoir une conversation, c’est urgent. Ce soir j’ai commandé un repas chez un traiteur pour que toi et moi soyons entièrement disponibles. Ne t’occupe de rien, un majordome va venir dresser et décorer la table, servir le repas et ensuite il s’éclipsera. Demain à 8 heures cette entreprise viendra tout débarrasser.
À 20 heures, on sonne à la porte. Bonjour, c’est la maison « GastroGourmet », le traiteur que vous avez commandé.
– Oui… entrez, voilà la cuisine et la salle à manger. Je vous laisse travailler. Nous montons à l’étage et revenons dans 1/2 heure, ça ira pour tout installer ?
– Oui, nous avons l’habitude, ne vous faites pas de souci.
– Marie… va coucher Saba et allons nous changer, fais toi belle pour cette occasion.
Lorsque nous redescendons, deux garçons en gants blancs se tiennent de chaque côté de la porte de la salle à manger.  Une table magnifiquement décorée avec chandelier d’argent, vaisselle de Limoges, et nappe brodée, nous attend. 
– Madame… monsieur… si vous voulez prendre place. Nous allons vous servir. Par discrétion, et pour préserver votre intimité, nous avons préparé le repas sur ce service- boy.

Menu :
Entrée : saumon fumé à l’aneth sur toasts beurrés.
Plat principal : pintadeaux farcis et gratin dauphinois
Dessert : Tiramisu 
Vin. Clos-Vougeot 1946

La soirée terminée, laissez tout en place, demain matin à 9 heures nous viendrons reprendre le matériel et faire place nette. Au revoir et bon appétit.
– Chérie, si tu veux t’asseoir, mettons-nous à table et dégustons ce délicieux repas.
Nous voilà en tête à tête reposés. Dans une ambiance propice pour une discussion que j’espère positive, et que j’expose d’entrée à Marie.
– Voilà à quoi j’ai réfléchi ces derniers temps, si tu es d’accord, nous allons déménager dans un logement rien qu’à nous. J’ai envisagé plusieurs résidences possibles, nous irons choisir celle qui te plaît ces prochains jours.
– Oh, oui, j’accepte, mais...
– Attends, ne m’interromps pas.
– Secundo, je vais acheter un gros camion pour faire du transport international, j’ai déjà quelques clients potentiels. Je ne serai jamais absent plus de 2 ou 3 jours, c’est un travail qui me plaît et j’espère gagner suffisamment d’argent pour que notre famille puisse vivre correctement.
– Voilà, qu’en penses-tu ? 
– C’est formidable, je suis content pour toi, c’est une excellente idée, et pour déménager, le plus vite possible, sera le mieux.
– Heureux d’avoir trouvé un terrain d’entente, je vais rapidement concrétiser ces projets, et je suis certain que cela dissipera les malentendus qu’il y a pu avoir entre nous deux. Terminons ce dîner en amoureux – Humm... fameux ce pintadeau, allez… santé, à l’Amour, à notre réconciliation et à l’avenir.
Après avoir conclu nos retrouvailles au lit, et nous être endormis dans les bras l’un de l’autre, c’est la sonnette de la porte d’entrée qui nous réveille brusquement à 9 heures.
– Laisse, j’y vais, c’est le traiteur qui vient rechercher son matériel.
Il y a bien longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien, le sombre nuage qui planait au-dessus de notre couple s’est dissipé. – Je prépare du café – Marie arrive tenant Saba dans ces bras. La vie reprend son cours.
Ce matin en lisant les annonces dans le GHI (le journal genevois gratuit des petites annonces) j’ai repéré quelque chose qui pourrait être intéressant, une ferme comprenant un appartement rénové de 5 pièces avec grange, garage, et un verger d’un hectare. Reste un petit inconvénient, elle est en France près de la frontière à Thoiry. 
Cela peut poser un problème avec un camion immatriculé en Suisse. On verra bien. Je téléphone, c’est une agence immobilière d’Annemasse qui me répond.
Je me renseigne sur le prix de location et un r. d. v. pour visiter. Le loyer est de 1000 fr. suisses, c’est dans mes cordes. J’obtiens rapidement un r. d. v. pour l’après-midi même. La personne de l’agence m’attendra devant la mairie, la ferme est isolée et difficile à trouver. Parfait pour moi.
Je demande à Marie de m’accompagner et à 14 heures nous attendons sur la place de la Mairie de Thoiry. Nous sommes les seuls, et en plus avec des plaques genevoises, faciles à repérer. Rapidement une voiture vient se garer à notre hauteur. Le conducteur qui est une femme nous fait signe de la suivre. 
Nous roulons environ 3 km sur un chemin de campagne bordé de noyers, pour arriver dans une cour de ferme pavée et couverte de mauvaise herbe. Ça a l’air abandonné, mais l’endroit est… champêtre. Je fais la grimace en me tournant vers Marie. La dame est déjà là, qui nous ouvre la porte de la voiture.
– Bonjour, je suis, Madame Dumont, directrice de l’agence. 
– Bonjour, Blaise Le Wenk, et voilà mon épouse.
– Par ici, venez, entrons, je vais vous faire visiter les lieux. C’est un banquier de Genève qui est propriétaire, comme vous pouvez le constater l’appartement a été entièrement rénové, un chauffage au fuel installé et le toit des bâtiments refait à neuf.
– Très bien, pouvons-nous également jeter un coup d’œil aux dépendances ? 
C’est grand, sale, délabré et rempli de vieilles machines agricoles. 
– C’est ça… exactement ce qu’il nous faut. Qu’en penses-tu chérie ? 
– Je trouve l’endroit un peu isolé, mais ça me plait. 
– Ne t’inquiète pas, nous prendrons des chiens.
– Madame Dumont, nous sommes intéressés, juste deux remarques. Pourriez-vous faire enlever le matériel qui encombre la grange et l’écurie et trouver un électricien pour installer des luminaires qui éclaireront la façade et la cour. 
– Voyez avec le propriétaire, s’il accepte, préparez le contrat de location, je passerai à votre agence demain matin. Ah, encore une chose, au point de vue administratif, comment ça marche ? 
– En théorie, vous ne pouvez pas résider ici en permanence, cela doit être considéré comme une résidence secondaire. Ne vous inquiétez pas, personne ne contrôle jamais. Vous trouverez certainement un arrangement avec le Maire du village.
– Très bien, pour nous c’est OK. Voilà mes coordonnées, appelez-nous pour finaliser notre accord.

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– Allo… c’est Madame Dumont de l’agence, c’est en ordre, j’ai obtenu l’accord du propriétaire. Vous pouvez passer pour signer le bail dans la journée.
C’est fait, le bail à été signé, et 15 jours plus tard, les travaux effectués, nous pouvons emménager dans notre nouveau logement.
Je choisis les meubles qui nous sont nécessaires dans le stock de Tobias. J’emprunte pour les transporter mon ancien fourgon Citroen que j’avais laissé à mon père avant de partir pour l’Algérie.
En examinant une carte au 1:50. 000, j’ai trouvé une route de campagne qui part de Choully, longe les bois, traverse l’eau de L’Allondon au Moulin Farny, et arrive pas loin de notre domicile à Thoiry France. Aucune douane, ça pourra toujours me servir. 
Ce qui ne tarde pas, je tente un premier passage test avec du matériel de cuisine, cuisinière, frigo, buffet, etc. acheté chez Torres à Genève. Tout se passe bien, je ne rencontre pas âme qui vive, en dehors d’un pêcheur sur le pont Farny.
L’installation dans notre nouvelle demeure est presque terminée, manque encore le raccordement téléphonique, faudra patienter, nous sommes en France.
Pour rassurer Marie, j’achète deux molosses dans un chenil réputé en Bourgogne. Eddy et Brutus, des Rottweiler de 2 ans, dressés pour la garde. Ils suffiront certainement à décourager toute incursion malveillante à proximité de la ferme.
Au début de l’automne, nous sommes définitivement installés dans les lieux. La lisière des forêts du Jura se trouve à moins de 500 mètres, par la fenêtre de la cuisine nous pouvons voir l’allée qui mène à la ferme, bordée par 50 noyers séculaires. 
J’ai tellement de travail – désherber la cour, ramasser les noix, transformer la grange en garage pour mon camion, promener les chiens dans les forêts alentour, – que je n’ai pas songé un instant à reprendre mes coupables et irresponsables distractions.
Marie rayonne, elle prépare le nécessaire pour la prochaine naissance, arrange et décore l’appartement.
La première partie de mon plan s’est bien déroulée, il faut passer à la seconde, les transports par camion TIR.
Pour l’entreprise d’affrètement, ce sera Danzas où je connais une personne bien placée.
Le plus important maintenant, c’est de trouver et acheter un camion. J’ai un faible pour le M.A.N, turbo. 200 cv. pas facile d’en trouver un d’occase. Je me rends chez le concessionnaire à Lausanne.
 En passant dans l’atelier il y en a justement un, difficile de se faire une opinion, vu qu’il est complètement désossé. Je m’adresse à un des mécanos…
– Bonjour, ce camion est-il à vendre ? 
– Oui, je crois, il a eu un accident, il s’est renversé sur le côté, mais nous le remettons à neuf, il n’a que 50.000 km. Voyez avec le patron monsieur H., il est justement là, dans son bureau.
– Bonjour monsieur, je suis Blaise Le Wenk, le camion, là qui est en réparation dans l’atelier, est-il a vendre ?
– Oui, il sera terminé dans 15 jours, visite passée avec une garantie prolongée d’une année. C’est une excellente affaire, il était encore sous garantie, le propriétaire, qui avait une bonne assurance, a racheté le dernier modèle, plus puissant.
– OK, ça m’intéresse, combien en voulez-vous ?
– Je vous sers un verre… un coup de blanc, whisky ?
– Si vous le permettez, je préfère un coca.
– Alors, nous disions... ce prix, combien ? Juste une question, pour mon information, quelle est sa valeur à neuf, je suppose que c’est vous qui l’avez vendu... non !
– Entièrement équipé en TIR, bâché avec sa remorque, charge utile en Suisse 26 tonnes, à l’étranger 30 tonnes, attendez que je consulte mon fichier... voilà... 150.000 CHF.
– Et maintenant qu’il est cassé ? c’est combien ?
(Dans les tractations d’achat vente, il y a deux catégories championnes de la magouille ; les vendeurs de voitures d’occasion et les antiquaires-brocanteurs. Le principe N° 1 ne jamais énoncer le prix en premier, et le second dénigrer la marchandise au maximum. J’ai été à bonne école avec mon père Tobias. La discussion va être longue.)
– Alors, monsieur combien ?
– Un moment, je vais aller examiner les fiches d’atelier, vous voulez des pneumatiques neufs ? Et la bâche, on la répare ou on la change ?
– Du neuf... du neuf. Entièrement remis à neuf. Alors ?
– Tac… tac… tac, minute, je calcule… voilà, 75.000 CHF – la moitié du prix d’achat neuf.
– Non… non c’est trop cher, il y a un nouveau modèle qui est sorti cette année… faites un effort, je paye comptant en cash. Votre dernier prix ?
– 65.000 CHF je ne peux pas faire mieux.
– OK. C’est d’accord, préparez l’acte de vente, je repasserai demain vous payer la moitié, le solde à la livraison à la fin du mois, comme convenu. Ah, j’y pense, faites-moi une fleur, rajoutez un réservoir de 500 litres sans supplément de prix bien sûr !
– Vous êtes dur en affaire Monsieur Le Wenk, mais c’est d’accord, vous aurez votre réservoir.
15 jours plus tard, début octobre, mon camion flambant neuf avec sa remorque est sur l’esplanade bétonnée du garage MAN à Crissier.
– Bonjour Monsieur Le Wenk, comme vous pouvez le voir, votre camion est là, terminé, en ordre de marche. Prenez le volant, nous allons faire un tour, je monte à vos côtés. 
Je suis un peu fébrile, pas trop l’habitude de conduire un train routier de cette importance. Allons-y. Préchauffage quelques minutes, démarreur... bloum... bloum... bloum, un ronronnement rythmé puissant se fait entendre. Je passe la première vitesse, lâche doucement l’embrayage, le monstre obéit et se met en marche, seconde, troisième et c’est parti. Nous sortons de Lausanne et prenons la route de la Blècherette, puis la cantonale en direction d’Yverdon. 
6 vitesses et 6 demi, ce qui fait douze, le compte est bon, faut pas s’emmêler les pinceaux. Génial, 100 à l’heure, calmos, la remorque a de la peine à suivre ! À pleine puissance, le turbo fait entendre son sifflement caractéristique, les 200 CV se déchaînent sous le capot, je me cramponne au volant. À vide, sur une route déformée, ça tressaute, heureusement le siège à suspension pneumatique amortit les chocs.
Arrivés à Yverdon, nous prenons la direction de Vallorbe, histoire de vérifier son comportement en côte, faudra voir ça à pleine charge, mais pour l’instant, rien à redire, le camion répond parfaitement aux sollicitations. 
Retour à Lausanne. Je me gare devant le garage, fais basculer la cabine pour accéder à l’impressionnant groupe moteur-turbo. Rien à signaler, pas de fuite d’huile ou de diesel, la bâche TIR, fixée par le câble douanier réglementaire, est hermétique, les 10 pneumatiques du camion avec ses 2 essieux arrières et les 4 de la remorque sont neufs. 
– Monsieur H., l’essai est concluant, nous pouvons finaliser l’achat. Tenez voilà le solde du payement comme prévu. 
– Monsieur Le Wenk, nous sommes très satisfaits d’avoir pu conclure cette transaction en toute confiance, nous espérons que ce véhicule vous donnera pleine satisfaction. Revenez pour un service dans 10.000 km. Au revoir.
Je me mets au volant, prends la route suisse jusqu’à Genève, où j’arrive par la rue de Lausanne, passe devant la gare, puis à droite direction la route et la douane de Meyrin.
Halte… Douane suisse – papiers du véhicule, veuillez ouvrir la bâche. C’est bon, roulez. Encore 15 minutes et j’entre dans dans la cour de notre ferme à grands coups de klaxon. Marie apparaît sur le seuil de la porte tenant Saba dans les bras. Je saute à bas de la cabine, et me précipite vers ma petite famille.
– T’as vu la bête, il en impose, non… j’ouvre la porte de la grange, décroche la remorque et rentre le camion solo.
Cette fois, nous y sommes, 18 mois après notre retour d’Algérie, la situation s’est enfin stabilisée.
Tout est prêt pour la prochaine arrivée du nouveau bébé. J’ai mon camion, une maison, 2 chiens pour garder mes trésors, reste plus qu’à trouver des clients et du fret – et roule Simone !



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Prochain chapitre : N°3 — TRAFICS





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