mardi 4 avril 2017

CHAP. N° 9 — RÉDEMPTION


PUNITION ET RÉDEMPTION




Plus grande la face
Plus grand le dos
Plus intense est la satisfaction
Plus immense sera la déception
C’est la loi universelle enseignée par la philosophie Taoïste




          Tobias et son long bras, Me Barreau, ma bonne conduite, il en faut du monde pour convaincre le juge des libertés à ouvrir les portes de la prison avant le terme fixé par la loi.

Il y en a eu également à ma sortie : Tobias et Galya, Saba et Lilas, ma maman, Robert et Lise sa femme, Me Barreau, ils sont tous là.
Embrassades, accolades, c’est quand même un moment assez exceptionnel – le retour à la liberté.
Quelques jours plus tard, je goûtais avec Robert, l’odeur de cette liberté par un mémorable repas gastronomique chez Girard à Crissier. Nous le méritons bien... non. 
Maintenant que les comptes sont soldés, dis-moi Robert tu l’as planqué où ton million ? Je vais le dire à mon compagnon d’infortune… en Espagne, j’ai acheté un super terrain sur la Costa Brava en bordure de mer où j’ai fait construire un lotissement de villa pour les riches retraités suisses.
– Si tu es d’accord, je t’invite dans celle que je me suis réservée. Après avoir passé 6 mois à l’ombre, 6 mois au soleil nous feront le plus grand bien.
– Pourquoi pas, je n’ai plus d’attache à Genève, à part mes deux filles, qui sont assez grandes pour se débrouiller seules. Je pourrais peut-être les inviter à passer quelque temps avec nous en Espagne.
– Oui, bien sûr, il y aura également ma femme Lise et mon fils Jean. Nous devons surveiller les travaux et nous occuper de la vente des villas.
Cet été 1978 fut un moment privilégié dans ma vie. Plus aucun souci, je me laissais vivre auprès de mes hôtes.
Robert a acheté un puissant bateau à moteur avec lequel nous partons visiter les îles de l’archipel Des Medes. 
Je me suis initié au ski nautique et à la pêche sous-marine.
Chaque soir tout le monde se retrouve sur la terrasse au bord de la piscine à déguster en grillade les poissons capturés dans les anfractuosités rocheuses de la côte.
Selon le précepte  ; « Tout ce qui a un début a une fin »













En me baladant dans la région, je suis tombé sur une affiche annonçant une conférence-débat dans les environs de L’Escala d’un certain Lanza del Vasto, adepte de la non-violence personnage connu et controversé en Espagne et en France, fondateur de la communauté de l’Arche.
Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je décide d’y aller, seul, le reste du groupe n’étant pas intéressé. La réunion a lieu sous une tonnelle dans une ferme appartenant à la communauté. 
Lorsque j’arrive, en retard, j’ai eu de la peine à trouver, une vingtaine de personnes sont là, assises par terre, buvant les paroles d’un personnage aux cheveux et à la barbe longue et blanche.
Il parle de végétarisme, du respect des animaux, de décroissance, du retour à la terre et de non-violence.
Autant dire à l’opposé de ce que je suis, à part les animaux que j’aime et que j’ai toujours respectés, mais que je mange quand même avec délice.
Comme Gandhi, Lanza del Vasto est un végétarien convaincu. Comme Gandhi, il suit le précepte de non-violence de la philosophie indienne classique et de respect de la vie à l’égard de l’ensemble du règne animal.
Lanza nous raconte ses combats.
En 1972, il soutient les paysans du Larzac (Massif central) dans leur lutte contre le camp militaire par un jeûne de 15 jours dans le bourg de La Cavalerie. 
En 1974, une communauté s’installe dans la ferme des Truels, achetée par l’armée sur le plateau du Larzac.
En 1976, il participe aux manifestations contre le réacteur nucléaire de Creys-Malville.
La violence et la peur représentent un effort sur soi-même, un changement de direction et pour employer le langage traditionnel, une conversion. 
Me voilà en cours de conversion. Malgré mes profondes réticences, je reste jusqu’à la fin, partage avec l’assistance une tranche de pain complet et un verre de lait de chèvre, pouah... assis en tailleur, je les écoute parler de leurs expériences de vie malheureuses, et de la joie qu’ils semblent avoir retrouvée dans ce nouveau mode de vie.
Pas vraiment convaincu, mais laissant un doute raisonnable. Le vers est dans le fruit et commence à creuser sa galerie, bientôt il mangera toute la pomme.
Gaëlle, une Bretonne à la quarantaine bien conservée, un peu trop maigre pour mon goût, une des ferventes disciples de L’Arche, me parle d’un maître japonais qu’elle a connu il y a plusieurs années, nommé Senseï Sakurasawa.
– Je pars demain pour Soulac où je vais participer à un séminaire sur le zen macrobiotique animé par un de ses disciples. Viens avec moi, tu ne seras pas déçu, plage de sable fin et pinède et en prime la recette du bonheur éternel.
– C’est où ce Soulac ? Et tu y vas comment ? 
– Train et stop : par Toulouse – Bordeaux et Soulac s/mer, c’est dans le Médoc, la région des bons vins.
– Après tout pourquoi pas. Cela me changera de mon oisiveté actuelle. Je viens te chercher demain matin, on va s’y rendre avec ma voiture.
Non, mais qu’est-ce qui me prend, de m’intéresser à ces disciplines ésotériques. Faut dire que ma vie est à un tournant et trouver un peu de sérénité agrémentée de joie de vivre ne me déplairait pas, après toutes ces années de galère où je me suis fourvoyé dans la recherche de plaisirs faciles et immédiats.
Le lendemain, j’informe mes hôtes de mon désir de partir, sans trop leur donner de détail sur ma nouvelle orientation. Ils ne comprendraient pas.
J’ai rencontré une copine, hier soir à cette conférence, nous partons faire un peu de nudisme à Montalivet près d’Arcachon, ensuite je rentre en Suisse.
Salut, Robert, au revoir, Lise, portez-vous bien et encore mille mercis pour ce merveilleux séjour.
J’ai la nette impression qu’une page vient de se tourner.

o

Traversée du Médoc par Pauillac, St Estèphe, Château Margaux, Mouton Rothschild sans même déguster un de ces célèbres vins, j’en bave rien qu’en lisant les écriteaux à l’entrée des villages. Il y a du changement dans l’air.
C’est la faute à Gaëlle, elle ne boit pas d’alcool et ne mange pas de viande. C’est pas équilibré, qu’elle dit.
Arrivée à Soulac dans la soirée, nous nous arrêtons devant une crêperie. 
– Viens Blaise manger des crêpes au sarrasin avec un verre de cidre.
– C’est tout ! avec quoi ? De la crème fouettée et du sucre j’espère, j’ai une de ces fringales.
– Non avec du Gomasio, tu verras c’est très équilibré
Ah, elle commence à me les briser, avec son équilibre.
Et ton camp, comment il s’appelle déjà – « Cuisine et Santé » – non, mais ça n’a rien à voir, je préfère cuisine et gastronomie. Il y a bien un 3 étoiles dans le coin, non ? 
– Patience, Blaise, tu verras, je suis certaine que cela va t’intéresser.
– Bon je ne dis plus rien, je te suis comme un bon toutou, c’est bien la première fois. 
– T’as un sac de couchage pour aller dormir sur la plage ?
– Non, je pensais plutôt à une chambre avec un grand lit dans un hôtel confortable.
– La soirée est trop avancée pour trouver quelque chose. Allons à Montalivet, c’est juste un peu plus loin.
– Voilà c’est ici – Grand Camping Naturiste de Montalivet – tu peux louer un bungalow, moi je vais dormir sur la plage. Salut à demain.
C’est raté, pour une nuit à deux, elle doit être frigide, ma parole. De toute façon elle ne m’inspire pas trop...
Je passe quand même une bonne nuit sans rêve érotique, c’est l’effet végétarien qui doit se faire sentir.
Ça… ça commence à m’angoisser.
Toc… toc… toc… c’est quoi, ce boucan ?
– Blaise réveille-toi, c’est 9 heures, viens déjeuner sur la terrasse de la cafétéria du camping.
– J’arrive... je prends une douche et je m’habille.
– Non ça va pas, c’est un camp naturiste, tout le monde est nu comme Adam et Ève. 
– Quoi ?
J’ouvre la porte, la Gaëlle est là devant moi, nue, les seins, la chatte, le gazon, intégralement nue quoi !
– Eh..Oooh... excuse-moi, je referme rapidement la porte, la rouvre, bon entre, j’arrive.
C’est pas facile la première fois de se balader à poil, de s’installer au bistrot, de commander un café croissant à une jolie serveuse nue, parmi d’autres clients tout aussi nus. Je ne sais pas où poser mes yeux, trouver la bonne contenance des habitués, sans regarder passer les nuages dans le ciel.
Gaëlle doit être une fervente du nudisme, ça se voit immédiatement, elle est bronzée de partout, même sous ces seins en forme de poire. Holà... attention pas de pensée suggestive, le corps répond immédiatement à la demande, j’ai pas encore l’habitude de me maîtriser à ce niveau, cela serait plutôt le contraire. Ça, c’était avant.
Je serre les jambes et cache mon attirail sous la table.
– Vient Blaise, allons nous baigner, l’eau froide calmera tes ardeurs. 
À la coquine, elle n’a pas les yeux dans sa poche.
– Une minute, je dois me détendre avant de me lever.
– Bah... comme tu peux le voir, ici des queues et des chattes sont la norme, personne ne le remarque, sauf si tu portes un maillot de bain, là t’as l’air d’un con.
Faut quand même s’habituer, à ce monde à l’envers.
– Bon, allons-y… maintenant, je suis en état de marche !
Une plage de 25 km de sable doré, peu de monde, juste quelques familles avec enfants, nous somme en 1978, les homos et autres “partouseurs“ n’ont pas encore pris possession des lieux, rejetant les amoureux de la nature sur des plages privées et fermées.
Quelle sensation de plénitude de se baigner, de courir, et de s’étendre nu sur le sable chaud.
Dommage d’avoir perdu le jardin d’Eden, je m’y serais certainement plus.
Gaëlle s’est étendue à mes côtés, j’ai une folle envie de caresser ses seins et le reste... je me retourne sur le ventre, ah c’était ça, l’histoire de la pomme, la chute du paradis. 
Seuls des impuissants ont pu inventer une connerie pareille, ici il n’y a pas de serpent, seulement des pommes à croquer.
– Gaëlle, j’aimerais caresser ton corps, t’embrasser et...
– Non, non pas ici, cela serait inconvenant !
– Quoi ? Inconvenant !! ça, c’est la meilleure, bon OK, allons au bungalow, j’en peux plus de me contenir, autrement je m’habille et je fous le camp.
– D’accord… si c’est ça que tu veux, viens.
Elle me prend la main, se lève, et nous courons à perdre haleine jusqu’au pavillon.
C’est pratique, et rapide, pas de séance de déshabillage intempestive, pas de préliminaires, nous tombons en travers du lit, et nous croquons la pomme et même plusieurs pommes.
Sacrée Gaëlle, elle avait bien caché son jeu, elle se défend pas trop mal, elle a étudié le Kamasutra en Inde. 
– C’est bon, t’as eu ton compte, on peut y aller maintenant.
– Ah... t’es pas une sentimentale toi.... mais ça me plaît, on recommence quand tu veux. La douche est là.
– Habille-toi, nous partons à Soulac-sur-mer chez René de Vally qui est le propriétaire et l’animateur d’un centre d’étude macrobiotique, où depuis sept ans il accueille de nombreux stagiaires qu’il forme à la cuisine macrobiotique et qui ouvrent des restaurants dans toute la France.
Dès notre arrivée, Gaëlle me présente à René.
– René, je te présente un ami qui voudrait s’initier à la cuisine macrobiotique.
Elle est gonflée la dame, je veux juste manger, j’ai une de ces faims, les galipettes de bon matin, ça creuse.



Mais chez René, avant de manger, il faut préparer le repas. Sur une longue table de bois, une montagne de légumes attendent les 8 apprentis cuisiniers amateurs que nous sommes.
  Je reçois un énorme couteau japonais qui coupe comme un rasoir. René nous fait une démonstration de la découpe des légumes yin-yang en diagonale, en triangle, en allumettes, j’y comprends rien dans ce charabia ésotérique. Je fais principalement attention à ne pas me couper un doigt.
Les légumes prêts, nous passons en cuisine, pour préparer du gomasio...! Griller des graines de sésame dans une poêle saupoudrer avec du sel de mer et broyer avec un pilon dans un mortier strié japonais appelé « suribachi » .
Puis, c’est la cuisson du riz complet, laver, rincer, et verser dans une casserole, ajouter 2 fois le volume d’eau et une pincée de sel, cuire 1 heure. 
Sur un autre feu, cuisent des haricots rouges, que René appelle azukis.
Fait chaud dans cette cuisine, je sors prendre l’air, enfile un maillot de bain et vais piquer une tête dans l’océan.
Quand je reviens, une vingtaine de personnes défilent devant René, qui prépare les assiettes en fonction de l’état de santé de chacun.
   Plus de céréale pour toi, non pas de gomasio, toi 30 % de légumes, 10 % d’azukis pour tous, c’est bon pour les reins. Certains sont en chaise roulante pour une sclérose en plaques ou un Parkinson, à ceux-là régime spécial N° 7. Rien que des céréales. 
L’idée que tout ce cirque n’est que du charlatanisme et que je ferais mieux de me tirer de là en vitesse me traverse l’esprit. Mais en même temps, je me dis que j’ai trouvé là, une méthode de soins que je cherchais depuis la mort de Marie.
Je me rappelle mes paroles exactes :
« Plus jamais ça, renoncer, changer, mais par quoi remplacer ? – Je n’en avais pas la moindre idée. »
Je mène une petite enquête auprès des patients atteints de maladies chroniques, tous sont intarissables sur l’efficacité de ce régime. 
Je décide de rester toute la semaine et de m’impliquer totalement dans l’étude de cet art de soins macrobiotiques. 
Chaque soir il y a conférence de René suivi d’un question-réponse assez animé.
Je n’y comprends absolument rien dans ce que le maître des lieux nomme « Le Principe Unique de la Logique Universelle » .
Un P.U. qui serait basé sur la polarité énergétique de toute chose, et particulièrement des aliments.
J’achète à la bibliothèque du centre les livres de Georges Ohsawa, le maître japonais qui est venu enseigner cette discipline en Occident et qui est décédé en 1966.





  • Le Zen Macrobiotique.
  • Le Principe Unique.
  • 4000 ans d’histoire de la Chine.
  • La Philosophie de la Science et de la médecine.
  • L’Ère Atomique.


Chaque après-midi, nous nous installons sous les pins avec Gaëlle, sur des chaises longues en toile à larges rayures rouges de cette époque, et nous lisons et commentons avec ferveur ces ouvrages. 
Peu à peu une petite lumière éclaire la noirceur de mon âme. J’avance sur un terrain inconnu, et j’ai la trouille. À la fin de la semaine, je sais couper les légumes selon la technique yin et yang, j’ai appris à cuire du riz complet selon les règles de l’art culinaire macrobiotique, j’ai même mangé des algues ; du kombu, des izikis, des haricots azukis. Je suis devenu un peu japonais, j’utilise des baguettes, maladroitement c’est vrai, paraît-il, que cela permet de s’alimenter plus lentement.
Mais ce que j’ai mangé n’est rien à côté de ce que je n’ai pas mangé ou bu pendant ces 7 jours. Pas un verre d’alcool, pas de viande, ni de fromage, pas de café, pas de glace, pas de crème fouettée, pas de confiture… je comprends mieux pourquoi on appelle cette manière de se nourrir le régime… “non-non“ .
Des tomates ? Non trop riche en potassium !
Des aubergines ? Non, c’est violet, très yin !
De l’ananas ? Non, rien d’exotique.
Un jus d’orange pressé... bien sûr que non, c’est beaucoup trop yin. Mais alors que reste-t-il pour se nourrir correctement.
Je resterais bien encore, mais il faut songer à rentrer, je dois mettre un peu d’ordre dans mes pensées, elles ont été salement secouées ces derniers temps.
Je reviendrai, j’en suis certain. Gaëlle va rester tout l’été comme bénévole, pour donner un coup de main à René.
En rentrant sur Genève, je fais un détour par Paris, où se trouve l’unique magasin spécialisé dans la vente de produits spécialement utilisés dans l’alimentation macrobiotique.
Il existe 6 restaurants macrobiotiques à Paris. Je les essaie tous pour me faire une idée, tout est tellement nouveau pour moi.
Je fais le plein de nourriture à Tenryu, le magasin de Françoise, une des premières disciples de Georges Ohsawa dans les années 1960.
De retour à Genève. Pour la xème fois, je suis sans domicile fixe, mais heureusement pas sans argent.
Une nouvelle vie s’ouvre devant moi, ne sachant pas trop quoi entreprendre, selon mon habitude, je laisse faire le destin.
Et là, je vais être bien servi, je touche enfin les bonnes cartes, mais que vais-je faire de ce bon jeu ?
Continuer une vie sans but, la plupart du temps hors-la-loi. Gagner de l’argent facile sans trop savoir qu’en faire...!
Ou changer radicalement, prendre cette nouvelle Voie lumineuse que j’ai entrevue ces dernières semaines.
Choisir entre plusieurs options n’est jamais facile. Le poids de l’entropie qui pèse sur une vie t’incite à l’immobilité, pas d’action intempestive, continue à faire ce que tu connais et que tu as toujours fait, la sécurité est là. Ne bouge pas, sinon tu vas te casser la gueule.
Allez, donne-moi un petit coup de main, une incitation, un signe…


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