« On a deux vies, et la deuxième commence le jour où l’on se rend compte
qu’on n’en a qu’une. »
Confucius
Cinq jours que je suis de retour à Genève, ma ville natale. Ne sachant pas trop quoi faire, j’ai pris une chambre dans un hôtel en attendant que quelque chose se passe.
À ce propos, je me rends à l’étude de Me Barreau pour faire le point sur mon affaire. Voilà ce qu’il m’apprend :
– Mme. Martina a accouché d’une petite fille appelée Céline, déclarée à l’état civile sous votre nom.
Elle s’est finalement mariée avec Roland Vidal, qu’elle a divorcé après que Vidal ait été condamné à 6 mois de prison pour abus de confiance et qu’elle vit actuellement avec le fils d’un grand industriel suisse dans une propriété de la Riviera vaudoise.
– Sacrée Martina, la voilà qui retombe sur ses pieds, elle m’étonnera toujours –.
La suite que j’ai de la peine à croire me stupéfie et me met dans une froide colère.
– Je dois vous dire, également que par un tour de passe-passe juridique incompréhensible, vos enfants ont été adoptés et porte dorénavant le nom de Vidal.
Je charge Me Barreau de faire une enquête pour en savoir plus ; nom du type, date de l’accouchement, etc. – J’ai ma petite idée là-dessus – .
– Faites attention Blaise, pas d’action intempestive, votre sursis court toujours, la justice vous tient à l’œil.
– Ne vous faites pas de souci maître, c’est juste pour me tenir au courant. C’est terminé, j’ai tourné la page Martina. Au revoir et merci pour votre soutien dans cette pénible affaire. Vous m’appelez quand vous avez les renseignements que je vous ai demandé.
Suite à ces terribles bouleversements, je ne reverrais plus jamais mon fils Cédric, quand à Céline, c’est seulement à la suite d’un nouveau drame, que je la rencontrerais pour la première fois – mais ça c’est une autre histoire que je vous dévoilerais dans les derniers chapitres.
Ce matin, j’ai l’idée d’aller prendre des nouvelles de mon magot qui dort à la banque « Planque & Trésor », ce qui devrait me remonter le moral.
Arrivé devant la banque, rue de la Corraterie… Comme d’habitude, j’appuie sur la sonnette planquée dans une discrète encoignure du chambranle de l’imposante porte en fer forgé et comme d’habitude, je sais que je suis observé par l’huissier de service, qui est également un bon physionomiste.
Après quelques minutes, la porte s’ouvre lentement sans le moindre bruit.
J’entre, traverse le hall d’entrée, sur les épais tapis qui tapissent le sol et rendent la marche silencieuse.
À ce moment, l’huissier-portier aux clés d’or sort de sa cachette. Monsieur Le Wenk bonjour, nous sommes satisfaits de vous recevoir à nouveau. – Et dire qu’il y a plus d’une année que je ne suis pas revenu à la banque. Fortiche le mec.
Veuillez me suivre – je suis – nous montons l’escalier dont les larges marches sont également recouvertes de tapis.
Arrivé dans le couloir du premier étage, vous savez celui aux luminaires empire en bronze doré et à la galerie de tableaux des peintres suisses Hodler, Valloton et Toeppfer, j’aperçois, assise dans un des deux fauteuils, une jeune femme habillée de noir, qui, à voir son air triste, doit être en deuil.
L’huissier semble gêné, habituellement les clients de la banque ne doivent jamais se rencontrer. Ils rentrent et ils sortent par des circuits différents.
– Veuillez m’excuser Monsieur, mais vous allez devoir attendre un instant, veuillez prendre place.
– Bonjour Madame, je sais qu’ici cela ne se fait pas, mais je me présente… Blaise Le Wenk, client de la banque.
– Merci, monsieur Le Wenk, je suis Cléo Martin.
– Madame Martin ? vous êtes la femme de Monsieur Martin l’associé de la banque « Planque & Trésor » ?
– Non, je suis sa fille.
– Ah... je connais très bien votre père, j’ai souvent eu affaire à lui pour la gestion de mon compte.
– Mon père, monsieur Martin est décédé la semaine passée, dans un accident de montagne.
Pris de court, je reste sans voix un instant... Je plonge mes yeux dans les siens, en la dévisageant avec intensité.
– Je vous présente toutes mes condoléances, Mademoiselle.
C’est tout ce que je trouve à dire. Quelque chose vient de se passer entre nous. Une vibration inconnue jusque-là, un échange de... de… je ne sais quoi !
– Merci... sniff... sniff, la voilà qui sort un mouchoir brodé où je distingue les initiales C.M. Elle essuie quelques larmes qui s’écoulent sur ses joues pâles.
Je ne résiste pas, je lui saisis une main, que je presse trop fort.
– Aïe... aïe vous me faites mal.
– Oh excusez-moi, ne pleurez pas, mais je....
À ce moment la porte du bureau qui porte encore la plaque de cuivre au nom de « M. Gérard Martin Aubert de Beaumont. Associé », s’ouvre, Charles, le comptable chauve au visage poupin que je connais bien, et à qui vous pouvez confier votre fortune les yeux fermés, me fait signe.
– Monsieur Le Wenk si vous voulez entrer.
– Non, je crois que madame ici présente était là avant-moi.
Charles prend un air absent. C’est que pour Madame je crains que cela ne soit beaucoup trop long.
Je me tourne vers la dame qui essuie toujours ses larmes d’un geste machinal, et la regarde d’un air interrogateur.
– Allez-y, je vais attendre. J’aime l’ambiance de la banque où mon père a travaillé pendant ces 25 dernières années.
– Comme vous voulez, j’espère à tout à l’heure – pour un peu je lui baiserai la main.
Nous pénétrons dans l’antichambre des secrets les mieux protégés au monde. Je m’installe dans le profond fauteuil club en cuir patiné et luisant, qui doit être là pour endormir toute votre vigilance. À mes côtés, sur la droite, une table-bar vous propose les meilleurs purs malts irlandais et une boite des célèbres cigares Davidoff de Cuba.
Charles, avec un air gêné, s’installe derrière le bureau, à la place de son défunt patron, il retourne prestement la plaquette placée sur le bureau.
– Monsieur Le Wenk, j’ai la douloureuse tâche de vous informer du décès accidentel de l’associé de notre banque, Monsieur Gérard Martin. Par discrétion, je ne peux vous en dire plus. Je le remplace provisoirement. Que puis-je faire pour votre service.
– Je veux seulement un relevé de mon compte à aujourd’hui.
– Patientez 5 minutes, je fais le nécessaire pour obtenir l’état de votre compte, en attendant je vous laisse vous servir un verre de whisky. Je reviens tout de suite.
Charles se lève à regret du fauteuil directorial, et s’en va à petits pas dans la pièce adjacente d’où on peut entendre des secrétaires répondre au téléphone et taper sur leurs IBM à boules.
Je déguste un plein verre de whisky irlandais, cuvée spéciale Bushmills 21 d’âge, de couleur vieil or – forcément dans une banque –. À toi et bon voyage Monsieur Gérard Martin.
La porte s’ouvre le petit bonhomme rondelet se rassied sur le bord du siège, en se tenant bien droit afin de se donner une bonne prestance, enfoncé dans le fauteuil, seule sa tête chauve dépasserait du bureau.
– Voilà, Monsieur Le Wenk, il me tend une feuille blanche avec juste un chiffre écrit à la main.
Je saisis la feuille et l’examine de près, je n’en crois pas mes yeux ; 1 million 350 mille francs !!
– Vous êtes certain de ne pas vous tromper, j’ai autant d’argent sur mon compte.
– Certain, nous avons fait de bons placements et avec les intérêts reportés cela représente cette somme.
– Très bien, continuez comme ça, je vais juste prélever 10.000 fr. – Vous savez qui va s’occuper de mon compte maintenant ?
– Non, le successeur de monsieur Martin n’a pas encore été désigné par la direction. Repassez dans un mois pour faire le point.
– Je vous remercie Monsieur Charles, à une prochaine fois.
Je m’extirpe du fauteuil, la tête me tourne légèrement, il y a déjà quelque temps que je n’avais plus consommé d’alcool.
Dans le couloir, Cléo, la fille de Monsieur Martin, attend toujours.
Je me dirige directement vers elle, si vous le permettez je vais vous attendre. Elle me regarde d’un air surpris, immédiatement sur la défensive.
– Je voudrais parler de votre père avec vous. C’est tout ce que j’ai pu inventer comme excuse pour l’approcher.
Son regard s’adoucit, d’accord, mais pas ici, attendez-moi au salon de thé de la Corraterie, juste en face de la banque, dans environ 1 heure, je vous le promets.
Je vous y attendrai, sans faute.
Après être passé au guichet de caisse pour encaisser mes dix mille francs – en petites coupures, svp, oui dans une enveloppe, merci –. Comme d’habitude je sors de la banque par la discrète porte arrière qui donne sur la Grand-Rue.
De là je remonte la Corraterie jusqu’au tea-room, où je prends place sur une banquette à une table près de la baie vitrée, avec vue sur l’entrée de la banque.
Je repense à cette Cléo triste, entrevue chez « Planque & Trésor ». Il faut que je vous la décrive, car nous allons faire un long voyage ensemble – elle et moi.
La première chose qui frappe chez cette demoiselle que je ne connais pas encore, c’est sa fragilité apparente. Elle est toute menue, certainement accentuée par sa tenue noire de deuil. Des yeux tristes, un regard désespéré, de petite taille, environ 167 cm. Un grand front et une chevelure dense déjà fortement parsemée de cheveux blancs.
Attention de ne pas trop la serrer, sinon la poupée pourrait se briser.
J’en suis là dans mes réflexions, quand je la vois sortir de la banque par la grande porte… regarder de gauche à droite, traverser la rue et se diriger droit vers le salon de thé où elle entre d’un pas hésitant.
Le salon est pratiquement vide à cette heure de la matinée, lorsqu’elle m’aperçoit, un léger sourire illumine fugacement son visage pâle de madone italienne.
Elle s’approche et s’assied timidement à ma table.
– Voilà je suis là, comme promis.
À la serveuse qui s’approche – 2 dl de vin blanc svp.
– Mademoiselle, attendez, apportez-nous une bouteille de blanc vaudois, oui du Vinzel, ça ira très bien comme ça.
– Permettez que je vous accompagne, Mademoiselle Cléo.
– Madame ! je suis divorcée.
– Je préfère vous appeler Cléo tout court, et appelez-moi Blaise cela sera plus chaleureux.
– Merci mademoiselle, laissez la bouteille, je vais servir.
– Cléo, à la vôtre, en souvenir de votre père et à votre peine à laquelle je compatis.
– Vous aimez le vin blanc ?
– De temps en temps, pour me soutenir quand c’est nécessaire, et en ce moment cela l’est.
– J’ai du me rendre à la banque pour régler des problèmes de succession consécutifs à la mort de mon père. Ma mère refuse de s’en occuper, elle m’a donné une procuration.
– Cléo, comment est mort votre père, si je ne suis pas trop indiscret ?
– Il a été victime d’un accident en gravissant le Cervin, il y a eu un gros orage et sa cordée de trois personnes a dévissé.
Nous étions au Grand Hôtel de Zermatt avec ma mère et ma sœur Antoinette, lorsqu’un des guides de la station est venu nous avertir du drame. Il n’avait que 56 ans, c’est jeune pour mourir.
À cette évocation, les yeux de Cléo se remplissent de larmes qui perlent une à une sur ses joues. Rempli de compassion, je me lève, m’assieds sur la banquette à ses côtés et lui passe un bras autour des épaules pour tenter de la consoler.
Cléo incline sa tête contre moi, et nous restons ainsi un bon moment sans rien dire.
– Merci, Blaise, excusez-moi pour cet instant de faiblesse, cela va mieux maintenant.
– Ne vous excusez pas, il n’y a rien de plus normal, dans des moments si tristes après la disparition d’un proche. Tenez, terminons cette bouteille de vin, ça nous remontera le moral. À notre rencontre. Santé !
– Il faut que je rentre, pour aider ma mère.
– Cléo, ne nous quittons pas ainsi, je vous invite à dîner, je ressens le besoin de mieux vous connaître, et surtout ne pensez pas que je vous drague, pas du tout. D’accord ?
Ma voiture est en face sur un des parkings privés de la banque. – Venez. Je vous emmène au restaurant de la « Perle du Lac ». Vous connaissez certainement, des filets de perches, ça vous dit ?
– J’ai pas très faim, mais le cadre au bord du lac est magnifique.
Lorsque nous arrivons, la terrasse est pleine, reste juste une table près de la barrière qui surplombe le lac. Nous nous asseyons, et je passe la commande pour des filets de perche sauce meunière et une bouteille d’Yvorne.
– Cléo, je sais que cela parait surprenant, ce matin, nous n’avions pas encore fait connaissance, et nous voilà ici comme des amis de vieille date. Je vous propose de faire comme si c’était le cas. Tout d’abord, tutoyons-nous, nous sommes amis après tout.
Cléo ne répond pas, mais acquiesce de la tête. Je pense qu’elle est timide et réservée et encore méfiante à mon égard. Elle a raison, pour le moment je ne suis qu’un inconnu rencontré dans un couloir de banque.
– Je vais commencer par te dévoiler rapidement ma vie pour te donner confiance. Je suis né à Genève en 1930 place St.Pierre, mes parents étaient gérants du Casino-Théâtre, plutôt ma mère, parce que mon père qui est antiquaire et joueur de poker n’était pas souvent là.
– Cet étrange, quelle coïncidence, je suis née en 1940 au 6 rue du Cloitre juste à côté, me répond Cléo, d’une voix triste.
– J’ai eu une enfance heureuse et agitée, suivie d’une adolescence tumultueuse et aventureuse. Je travaille souvent avec mon père. J’ai gagné beaucoup d’argent pas très honnêtement, que j’ai placé sur un compte à numéro dans la banque de feu ton père, monsieur Gérard Martin.
Ma première femme qui s’appelait Marie est morte du cancer en 1968 nous avions deux filles, Saba et Lilas de 10 et 11 ans.
Quelques années plus tard, je me suis remarié avec une femme de 19 ans, Martina, avec qui j’ai eu un garçon Cédric en 1971. Un jour elle m’a quitté pour vivre avec un autre type. Je suis devenu fou de jalousie. j’ai voulu le tuer à coups de couteau, dommage il n’est pas mort. J’ai été condamné à 3 ans de prison, dont deux, avec sursis.
Durant toutes ces années, je n’ai jamais revu Martina, ni mon garçon Cédric. Martina s’est arrangée pour me faire retirer mon autorité parentale et le faire adopter officiellement par son mari. À ma sortie de prison, j’ai demandé à mon avocat de se renseigner sur eux, et ce qu’il ma appris ma stupéfié. Environ un an après le drame, Martina a eu une fille nommée Céline, puis elle s’est remariée avec un richissime homme d’affaires qui est décédé d’une leucémie peu de temps après leur mariage en lui laissant une fortune considérable. Actuellement elle vit dans une magnifique demeure propriété de la famille de son mari, dont elle a hérité tous les biens. Les parents du défunt ont fait opposition au testament et lui font un procès pour abus de faiblesse envers leur fils qui était déjà malade avant leur rencontre.
D’après mes calculs, je suis convaincu que Céline est ma fille. J’ai essayé d’avoir une entrevue avec Martina pour éclaircir ce point, mais peine perdue, elle est entourée par une armée d’avocats qui font barrage à toutes mes sollicitations.
Impossible pour l’instant de forcer sa porte, je suis toujours en sursis et la moindre incartade me ramènerait en prison.
Cela fait maintenant une année que j’ai retrouvé la liberté, je reviens d’Espagne, où j’ai été invité par mon co-détenu de cellule, un célèbre notaire genevois accusé d’avoir détourné plus d’un million de fond public, lors d’une transaction immobilière.
Actuellement je suis en pleine réflexion sur la suite à donner à ma vie. J’ai commis tellement de bêtises que je dois me racheter d’une manière ou d’une autre. Tu es la première personne à qui je parle ouvertement de ma vie, je ne sais pas ce qui se passe, mais je te ressens comme mon âme sœur.
– T’en penses quoi ? Je te fais peur ?
– Eh..Oui… non… !
– Ta raison, mais je vais me ranger, après l’Amour et la Damnation, j’aborde maintenant l’ultime phase, la Rédemption.
– Non, ce n’est pas ça, mais je vis dans un monde aux antipodes du tien.
– Attends, dégustons tout d’abord ces excellents filets de perches, avant qu’ils ne refroidissent.
– Hum... vraiment délicieux, pas trop gras et bien frais, ils ne sentent pas le poisson. Tu veux bien me resservir, oui, je prendrai bien encore un verre de vin. Merci, Blaise.
– Je disais donc… oui le milieu où je vis, n’est pas plus honnête que le tien, mais beaucoup plus hypocrite, et la loi nous protège, contre des individus de ton genre !
J’ai été mariée 3 fois avec des hommes instruits et bien éduqués, de mon monde, quoi… mais je me suis également divorcée 3 fois, parce que je m’ennuyais à mourir. J’ai eu un enfant qui est décédé à 6 mois, c’est très dur, on ne s’en remet jamais.
Mes parents sont très riches, nous avons plusieurs propriétés, actuellement je vis avec ma mère et mes cousins dans notre hôtel particulier de la rue des Granges. La disparition de mon père pose de gros problèmes de succession. J’ai suggéré de créer une fondation pour éviter la dispersion des biens ancestraux de notre famille.
Ma mère, elle voudrait tout vendre et partager l’argent.
Dans notre famille on ne pense, on n’agit et l’on trahit qu’en fonction de l’argent.
Mon père m’avait ouvert un compte dans sa banque, il me laisse une grosse somme d’argent, je ne sais pas si je vais l’accepter. Je suis un peu dans la même situation que toi, j’ai 38 ans, je n’ai rien fait d’intéressant jusque-là, c’est le moment de prendre de bonnes décisions.
Nous allons avoir un conseil de famille pour décider comment procéder pour le partage de la succession.
Mais assez parlé d’argent, toi... Blaise que comptes-tu faire maintenant ?
– Je viens de passer 6 mois dans la villa d’un ami avec qui j’ai partagé ma cellule à Champ-Dollon. Un soir j’ai participé à une réunion d’un groupe d’illuminés pacifistes et végétariens, dirigé par un gourou du nom de Lanza del Vasto. Gaëlle, une de ses admiratrices, m’a dirigé et accompagné vers un autre groupe d’adeptes d’un philosophe japonais qui prône la santé par l’alimentation et la compréhension des lois de l’Univers. J’y suis resté une semaine pour apprendre à cuisiner d’après les règles macrobiotiques, une philosophie taoïste.
Je dois dire que j’ai appris énormément de choses, et que je vais probablement me diriger dans cette direction.
– Jamais entendu parler de ça, tu m’expliqueras une autre fois, maintenant je dois rentrer, ma mère est bouleversée par la mort de mon père, je dois la soutenir dans ces moments douloureux. Nous devons également préparer la cérémonie pour l’enterrement, qui a lieu à la cathédrale St.Pierre.
– Je te raccompagne jusque chez toi, mais avant, donne-moi ton numéro de téléphone, je te rappelle dans quelques jours.
– Merci pour ce repas et pour ta compagnie, j’ai vraiment apprécié, j’espère sincèrement que nous nous reverrons.
Pour nous rendre à la rue des Granges, je passe par la Place Neuve, pour remonter par la Treille – arrivé devant la statue du général Dufour qui trône au milieu de la place – tu vois là sur son cheval, c’est mon ancêtre, mon arrière-arrière grand-père maternel.
– Voilà, c’est ici que j’habite, au 8 rue des Granges, je te ferai visiter un jour et je te raconterai l’histoire de ma famille. Au revoir, Blaise, à bientôt.
Je suis impressionné, la rue des Granges, tous les Genevois savent que c’est là qu’habitent les nantis, les grands bourgeois qui tirent les ficelles de la ville depuis des siècles.
Du coup, je crois que je ne vais pas poursuivre notre relation, il y a trop de distance sociale entre nous.
Retombe sur terre mec, et occupe-toi de tes affaires.
Les jours suivants, j’attends un appel de Cléo, mais rien ne vient. Elle doit être trop occupée par les préparatifs des funérailles de son père.
Je scrute la Tribune de Genève chaque jour, enfin je tombe sur l’annonce de la cérémonie prévue le lendemain à 14 heures à la cathédrale de St.Pierre. J’examine ma penderie, aucun habit foncé digne de ce nom pour un enterrement.
Pour un sur mesure, c’est râpé, trop tard, je ne me suis jamais soucié de mon habillement. Après un rapide shopping dans les rues Basses, un complet 3 pièces bleu foncé de qualité, acheté à la boutique Kenzo fait l’affaire, complété par une chemise blanche et cravate noire en soie et me voilà transformé en un mâle « honnête » banquier.
Une demi-heure avant la cérémonie, la place devant la cathédrale et déjà noire de monde en noir, lorsque le corbillard Mercedes des pompes funèbres Murith s’arrête devant les marches, suivi de 3 voitures recouvertes de couronnes et de fleurs.
Le cercueil est sorti du fourgon funéraire, porté par 4 hommes, accompagné par la famille du défunt qui rentre lentement dans l’église au son du Requiem de Mozart.
J’aperçois Cléo au côté de sa mère et de sa sœur.
J’emboîte le pas et me place dans la travée juste derrière Cléo.
L’assemblée écoute avec recueillement l’éloge du pasteur Babel, suivie par l’homélie pour les funérailles de Monsieur Gérard Martin.
Je fixe mon attention avec intensité sur le dos de Cléo, qui après quelques minutes se retourne discrètement et m’aperçoit, la surprise se lit sur son visage. Je lui fais un léger signe de reconnaissance de la tête.
La cérémonie se prolonge durant plus d’une heure. Plusieurs centaines de personnes défilent près du cercueil pour rendre hommage au défunt.
Enfin le cortège repart dans le sens inverse, les couronnes sont accrochées sur les voitures et le convoi se met en marche au pas.
J’attends sur les marches, le passage de Cléo, lorsqu’elle parvient à ma hauteur, je la saisis par le bras...
– Bonjour Cléo, mes sincères condoléances. Excuse mon ingérence, je voulais juste être près de toi dans cette ultime épreuve.
Je l’embrasse rapidement sur la joue. Au revoir.
– Blaise, attends… merci de ta présence, si tu veux, je t’invite au buffet qui sera donné à la rue des Granges vers 16 heures. Tiens, c’est une carte pour rentrer, il faut la présenter au portier qui filtre les invités.
Maintenant je vais au cimetière de Cologny, à toute à l’heure, viens je compte sur ta présence.
– D’accord, je viendrai, pour toi !
En attendant, retour aux sources, je vais boire un verre au « Roi Ubu » anciennement Estaminet de Saint Germain rempli de mes souvenirs de jeunesse.
s
qu’on n’en a qu’une. »
Confucius
Cinq jours que je suis de retour à Genève, ma ville natale. Ne sachant pas trop quoi faire, j’ai pris une chambre dans un hôtel en attendant que quelque chose se passe.
À ce propos, je me rends à l’étude de Me Barreau pour faire le point sur mon affaire. Voilà ce qu’il m’apprend :
– Mme. Martina a accouché d’une petite fille appelée Céline, déclarée à l’état civile sous votre nom.
Elle s’est finalement mariée avec Roland Vidal, qu’elle a divorcé après que Vidal ait été condamné à 6 mois de prison pour abus de confiance et qu’elle vit actuellement avec le fils d’un grand industriel suisse dans une propriété de la Riviera vaudoise.
– Sacrée Martina, la voilà qui retombe sur ses pieds, elle m’étonnera toujours –.
La suite que j’ai de la peine à croire me stupéfie et me met dans une froide colère.
– Je dois vous dire, également que par un tour de passe-passe juridique incompréhensible, vos enfants ont été adoptés et porte dorénavant le nom de Vidal.
Je charge Me Barreau de faire une enquête pour en savoir plus ; nom du type, date de l’accouchement, etc. – J’ai ma petite idée là-dessus – .
– Faites attention Blaise, pas d’action intempestive, votre sursis court toujours, la justice vous tient à l’œil.
– Ne vous faites pas de souci maître, c’est juste pour me tenir au courant. C’est terminé, j’ai tourné la page Martina. Au revoir et merci pour votre soutien dans cette pénible affaire. Vous m’appelez quand vous avez les renseignements que je vous ai demandé.
Suite à ces terribles bouleversements, je ne reverrais plus jamais mon fils Cédric, quand à Céline, c’est seulement à la suite d’un nouveau drame, que je la rencontrerais pour la première fois – mais ça c’est une autre histoire que je vous dévoilerais dans les derniers chapitres.
Ce matin, j’ai l’idée d’aller prendre des nouvelles de mon magot qui dort à la banque « Planque & Trésor », ce qui devrait me remonter le moral.
Arrivé devant la banque, rue de la Corraterie… Comme d’habitude, j’appuie sur la sonnette planquée dans une discrète encoignure du chambranle de l’imposante porte en fer forgé et comme d’habitude, je sais que je suis observé par l’huissier de service, qui est également un bon physionomiste.
Après quelques minutes, la porte s’ouvre lentement sans le moindre bruit.
J’entre, traverse le hall d’entrée, sur les épais tapis qui tapissent le sol et rendent la marche silencieuse.
À ce moment, l’huissier-portier aux clés d’or sort de sa cachette. Monsieur Le Wenk bonjour, nous sommes satisfaits de vous recevoir à nouveau. – Et dire qu’il y a plus d’une année que je ne suis pas revenu à la banque. Fortiche le mec.
Veuillez me suivre – je suis – nous montons l’escalier dont les larges marches sont également recouvertes de tapis.
Arrivé dans le couloir du premier étage, vous savez celui aux luminaires empire en bronze doré et à la galerie de tableaux des peintres suisses Hodler, Valloton et Toeppfer, j’aperçois, assise dans un des deux fauteuils, une jeune femme habillée de noir, qui, à voir son air triste, doit être en deuil.
L’huissier semble gêné, habituellement les clients de la banque ne doivent jamais se rencontrer. Ils rentrent et ils sortent par des circuits différents.
– Veuillez m’excuser Monsieur, mais vous allez devoir attendre un instant, veuillez prendre place.
– Bonjour Madame, je sais qu’ici cela ne se fait pas, mais je me présente… Blaise Le Wenk, client de la banque.
– Merci, monsieur Le Wenk, je suis Cléo Martin.
– Madame Martin ? vous êtes la femme de Monsieur Martin l’associé de la banque « Planque & Trésor » ?
– Non, je suis sa fille.
– Ah... je connais très bien votre père, j’ai souvent eu affaire à lui pour la gestion de mon compte.
– Mon père, monsieur Martin est décédé la semaine passée, dans un accident de montagne.
Pris de court, je reste sans voix un instant... Je plonge mes yeux dans les siens, en la dévisageant avec intensité.
– Je vous présente toutes mes condoléances, Mademoiselle.
C’est tout ce que je trouve à dire. Quelque chose vient de se passer entre nous. Une vibration inconnue jusque-là, un échange de... de… je ne sais quoi !
– Merci... sniff... sniff, la voilà qui sort un mouchoir brodé où je distingue les initiales C.M. Elle essuie quelques larmes qui s’écoulent sur ses joues pâles.
Je ne résiste pas, je lui saisis une main, que je presse trop fort.
– Aïe... aïe vous me faites mal.
– Oh excusez-moi, ne pleurez pas, mais je....
À ce moment la porte du bureau qui porte encore la plaque de cuivre au nom de « M. Gérard Martin Aubert de Beaumont. Associé », s’ouvre, Charles, le comptable chauve au visage poupin que je connais bien, et à qui vous pouvez confier votre fortune les yeux fermés, me fait signe.
– Monsieur Le Wenk si vous voulez entrer.
– Non, je crois que madame ici présente était là avant-moi.
Charles prend un air absent. C’est que pour Madame je crains que cela ne soit beaucoup trop long.
Je me tourne vers la dame qui essuie toujours ses larmes d’un geste machinal, et la regarde d’un air interrogateur.
– Allez-y, je vais attendre. J’aime l’ambiance de la banque où mon père a travaillé pendant ces 25 dernières années.
– Comme vous voulez, j’espère à tout à l’heure – pour un peu je lui baiserai la main.
Nous pénétrons dans l’antichambre des secrets les mieux protégés au monde. Je m’installe dans le profond fauteuil club en cuir patiné et luisant, qui doit être là pour endormir toute votre vigilance. À mes côtés, sur la droite, une table-bar vous propose les meilleurs purs malts irlandais et une boite des célèbres cigares Davidoff de Cuba.
Charles, avec un air gêné, s’installe derrière le bureau, à la place de son défunt patron, il retourne prestement la plaquette placée sur le bureau.
– Monsieur Le Wenk, j’ai la douloureuse tâche de vous informer du décès accidentel de l’associé de notre banque, Monsieur Gérard Martin. Par discrétion, je ne peux vous en dire plus. Je le remplace provisoirement. Que puis-je faire pour votre service.
– Je veux seulement un relevé de mon compte à aujourd’hui.
– Patientez 5 minutes, je fais le nécessaire pour obtenir l’état de votre compte, en attendant je vous laisse vous servir un verre de whisky. Je reviens tout de suite.
Charles se lève à regret du fauteuil directorial, et s’en va à petits pas dans la pièce adjacente d’où on peut entendre des secrétaires répondre au téléphone et taper sur leurs IBM à boules.
Je déguste un plein verre de whisky irlandais, cuvée spéciale Bushmills 21 d’âge, de couleur vieil or – forcément dans une banque –. À toi et bon voyage Monsieur Gérard Martin.
La porte s’ouvre le petit bonhomme rondelet se rassied sur le bord du siège, en se tenant bien droit afin de se donner une bonne prestance, enfoncé dans le fauteuil, seule sa tête chauve dépasserait du bureau.
– Voilà, Monsieur Le Wenk, il me tend une feuille blanche avec juste un chiffre écrit à la main.
Je saisis la feuille et l’examine de près, je n’en crois pas mes yeux ; 1 million 350 mille francs !!
– Vous êtes certain de ne pas vous tromper, j’ai autant d’argent sur mon compte.
– Certain, nous avons fait de bons placements et avec les intérêts reportés cela représente cette somme.
– Très bien, continuez comme ça, je vais juste prélever 10.000 fr. – Vous savez qui va s’occuper de mon compte maintenant ?
– Non, le successeur de monsieur Martin n’a pas encore été désigné par la direction. Repassez dans un mois pour faire le point.
– Je vous remercie Monsieur Charles, à une prochaine fois.
Je m’extirpe du fauteuil, la tête me tourne légèrement, il y a déjà quelque temps que je n’avais plus consommé d’alcool.
Dans le couloir, Cléo, la fille de Monsieur Martin, attend toujours.
Je me dirige directement vers elle, si vous le permettez je vais vous attendre. Elle me regarde d’un air surpris, immédiatement sur la défensive.
– Je voudrais parler de votre père avec vous. C’est tout ce que j’ai pu inventer comme excuse pour l’approcher.
Son regard s’adoucit, d’accord, mais pas ici, attendez-moi au salon de thé de la Corraterie, juste en face de la banque, dans environ 1 heure, je vous le promets.
Je vous y attendrai, sans faute.
Après être passé au guichet de caisse pour encaisser mes dix mille francs – en petites coupures, svp, oui dans une enveloppe, merci –. Comme d’habitude je sors de la banque par la discrète porte arrière qui donne sur la Grand-Rue.
De là je remonte la Corraterie jusqu’au tea-room, où je prends place sur une banquette à une table près de la baie vitrée, avec vue sur l’entrée de la banque.
Je repense à cette Cléo triste, entrevue chez « Planque & Trésor ». Il faut que je vous la décrive, car nous allons faire un long voyage ensemble – elle et moi.
La première chose qui frappe chez cette demoiselle que je ne connais pas encore, c’est sa fragilité apparente. Elle est toute menue, certainement accentuée par sa tenue noire de deuil. Des yeux tristes, un regard désespéré, de petite taille, environ 167 cm. Un grand front et une chevelure dense déjà fortement parsemée de cheveux blancs.
Attention de ne pas trop la serrer, sinon la poupée pourrait se briser.
J’en suis là dans mes réflexions, quand je la vois sortir de la banque par la grande porte… regarder de gauche à droite, traverser la rue et se diriger droit vers le salon de thé où elle entre d’un pas hésitant.
Le salon est pratiquement vide à cette heure de la matinée, lorsqu’elle m’aperçoit, un léger sourire illumine fugacement son visage pâle de madone italienne.
Elle s’approche et s’assied timidement à ma table.
– Voilà je suis là, comme promis.
À la serveuse qui s’approche – 2 dl de vin blanc svp.
– Mademoiselle, attendez, apportez-nous une bouteille de blanc vaudois, oui du Vinzel, ça ira très bien comme ça.
– Permettez que je vous accompagne, Mademoiselle Cléo.
– Madame ! je suis divorcée.
– Je préfère vous appeler Cléo tout court, et appelez-moi Blaise cela sera plus chaleureux.
– Merci mademoiselle, laissez la bouteille, je vais servir.
– Cléo, à la vôtre, en souvenir de votre père et à votre peine à laquelle je compatis.
– Vous aimez le vin blanc ?
– De temps en temps, pour me soutenir quand c’est nécessaire, et en ce moment cela l’est.
– J’ai du me rendre à la banque pour régler des problèmes de succession consécutifs à la mort de mon père. Ma mère refuse de s’en occuper, elle m’a donné une procuration.
– Cléo, comment est mort votre père, si je ne suis pas trop indiscret ?
– Il a été victime d’un accident en gravissant le Cervin, il y a eu un gros orage et sa cordée de trois personnes a dévissé.
Nous étions au Grand Hôtel de Zermatt avec ma mère et ma sœur Antoinette, lorsqu’un des guides de la station est venu nous avertir du drame. Il n’avait que 56 ans, c’est jeune pour mourir.
À cette évocation, les yeux de Cléo se remplissent de larmes qui perlent une à une sur ses joues. Rempli de compassion, je me lève, m’assieds sur la banquette à ses côtés et lui passe un bras autour des épaules pour tenter de la consoler.
Cléo incline sa tête contre moi, et nous restons ainsi un bon moment sans rien dire.
– Merci, Blaise, excusez-moi pour cet instant de faiblesse, cela va mieux maintenant.
– Ne vous excusez pas, il n’y a rien de plus normal, dans des moments si tristes après la disparition d’un proche. Tenez, terminons cette bouteille de vin, ça nous remontera le moral. À notre rencontre. Santé !
– Il faut que je rentre, pour aider ma mère.
– Cléo, ne nous quittons pas ainsi, je vous invite à dîner, je ressens le besoin de mieux vous connaître, et surtout ne pensez pas que je vous drague, pas du tout. D’accord ?
Ma voiture est en face sur un des parkings privés de la banque. – Venez. Je vous emmène au restaurant de la « Perle du Lac ». Vous connaissez certainement, des filets de perches, ça vous dit ?
– J’ai pas très faim, mais le cadre au bord du lac est magnifique.
Lorsque nous arrivons, la terrasse est pleine, reste juste une table près de la barrière qui surplombe le lac. Nous nous asseyons, et je passe la commande pour des filets de perche sauce meunière et une bouteille d’Yvorne.
– Cléo, je sais que cela parait surprenant, ce matin, nous n’avions pas encore fait connaissance, et nous voilà ici comme des amis de vieille date. Je vous propose de faire comme si c’était le cas. Tout d’abord, tutoyons-nous, nous sommes amis après tout.
Cléo ne répond pas, mais acquiesce de la tête. Je pense qu’elle est timide et réservée et encore méfiante à mon égard. Elle a raison, pour le moment je ne suis qu’un inconnu rencontré dans un couloir de banque.
– Je vais commencer par te dévoiler rapidement ma vie pour te donner confiance. Je suis né à Genève en 1930 place St.Pierre, mes parents étaient gérants du Casino-Théâtre, plutôt ma mère, parce que mon père qui est antiquaire et joueur de poker n’était pas souvent là.
– Cet étrange, quelle coïncidence, je suis née en 1940 au 6 rue du Cloitre juste à côté, me répond Cléo, d’une voix triste.
– J’ai eu une enfance heureuse et agitée, suivie d’une adolescence tumultueuse et aventureuse. Je travaille souvent avec mon père. J’ai gagné beaucoup d’argent pas très honnêtement, que j’ai placé sur un compte à numéro dans la banque de feu ton père, monsieur Gérard Martin.
Ma première femme qui s’appelait Marie est morte du cancer en 1968 nous avions deux filles, Saba et Lilas de 10 et 11 ans.
Quelques années plus tard, je me suis remarié avec une femme de 19 ans, Martina, avec qui j’ai eu un garçon Cédric en 1971. Un jour elle m’a quitté pour vivre avec un autre type. Je suis devenu fou de jalousie. j’ai voulu le tuer à coups de couteau, dommage il n’est pas mort. J’ai été condamné à 3 ans de prison, dont deux, avec sursis.
Durant toutes ces années, je n’ai jamais revu Martina, ni mon garçon Cédric. Martina s’est arrangée pour me faire retirer mon autorité parentale et le faire adopter officiellement par son mari. À ma sortie de prison, j’ai demandé à mon avocat de se renseigner sur eux, et ce qu’il ma appris ma stupéfié. Environ un an après le drame, Martina a eu une fille nommée Céline, puis elle s’est remariée avec un richissime homme d’affaires qui est décédé d’une leucémie peu de temps après leur mariage en lui laissant une fortune considérable. Actuellement elle vit dans une magnifique demeure propriété de la famille de son mari, dont elle a hérité tous les biens. Les parents du défunt ont fait opposition au testament et lui font un procès pour abus de faiblesse envers leur fils qui était déjà malade avant leur rencontre.
D’après mes calculs, je suis convaincu que Céline est ma fille. J’ai essayé d’avoir une entrevue avec Martina pour éclaircir ce point, mais peine perdue, elle est entourée par une armée d’avocats qui font barrage à toutes mes sollicitations.
Impossible pour l’instant de forcer sa porte, je suis toujours en sursis et la moindre incartade me ramènerait en prison.
Cela fait maintenant une année que j’ai retrouvé la liberté, je reviens d’Espagne, où j’ai été invité par mon co-détenu de cellule, un célèbre notaire genevois accusé d’avoir détourné plus d’un million de fond public, lors d’une transaction immobilière.
Actuellement je suis en pleine réflexion sur la suite à donner à ma vie. J’ai commis tellement de bêtises que je dois me racheter d’une manière ou d’une autre. Tu es la première personne à qui je parle ouvertement de ma vie, je ne sais pas ce qui se passe, mais je te ressens comme mon âme sœur.
– T’en penses quoi ? Je te fais peur ?
– Eh..Oui… non… !
– Ta raison, mais je vais me ranger, après l’Amour et la Damnation, j’aborde maintenant l’ultime phase, la Rédemption.
– Non, ce n’est pas ça, mais je vis dans un monde aux antipodes du tien.
– Attends, dégustons tout d’abord ces excellents filets de perches, avant qu’ils ne refroidissent.
– Hum... vraiment délicieux, pas trop gras et bien frais, ils ne sentent pas le poisson. Tu veux bien me resservir, oui, je prendrai bien encore un verre de vin. Merci, Blaise.
– Je disais donc… oui le milieu où je vis, n’est pas plus honnête que le tien, mais beaucoup plus hypocrite, et la loi nous protège, contre des individus de ton genre !
J’ai été mariée 3 fois avec des hommes instruits et bien éduqués, de mon monde, quoi… mais je me suis également divorcée 3 fois, parce que je m’ennuyais à mourir. J’ai eu un enfant qui est décédé à 6 mois, c’est très dur, on ne s’en remet jamais.
Mes parents sont très riches, nous avons plusieurs propriétés, actuellement je vis avec ma mère et mes cousins dans notre hôtel particulier de la rue des Granges. La disparition de mon père pose de gros problèmes de succession. J’ai suggéré de créer une fondation pour éviter la dispersion des biens ancestraux de notre famille.
Ma mère, elle voudrait tout vendre et partager l’argent.
Dans notre famille on ne pense, on n’agit et l’on trahit qu’en fonction de l’argent.
Mon père m’avait ouvert un compte dans sa banque, il me laisse une grosse somme d’argent, je ne sais pas si je vais l’accepter. Je suis un peu dans la même situation que toi, j’ai 38 ans, je n’ai rien fait d’intéressant jusque-là, c’est le moment de prendre de bonnes décisions.
Nous allons avoir un conseil de famille pour décider comment procéder pour le partage de la succession.
Mais assez parlé d’argent, toi... Blaise que comptes-tu faire maintenant ?
– Je viens de passer 6 mois dans la villa d’un ami avec qui j’ai partagé ma cellule à Champ-Dollon. Un soir j’ai participé à une réunion d’un groupe d’illuminés pacifistes et végétariens, dirigé par un gourou du nom de Lanza del Vasto. Gaëlle, une de ses admiratrices, m’a dirigé et accompagné vers un autre groupe d’adeptes d’un philosophe japonais qui prône la santé par l’alimentation et la compréhension des lois de l’Univers. J’y suis resté une semaine pour apprendre à cuisiner d’après les règles macrobiotiques, une philosophie taoïste.
Je dois dire que j’ai appris énormément de choses, et que je vais probablement me diriger dans cette direction.
– Jamais entendu parler de ça, tu m’expliqueras une autre fois, maintenant je dois rentrer, ma mère est bouleversée par la mort de mon père, je dois la soutenir dans ces moments douloureux. Nous devons également préparer la cérémonie pour l’enterrement, qui a lieu à la cathédrale St.Pierre.
– Je te raccompagne jusque chez toi, mais avant, donne-moi ton numéro de téléphone, je te rappelle dans quelques jours.
– Merci pour ce repas et pour ta compagnie, j’ai vraiment apprécié, j’espère sincèrement que nous nous reverrons.
Pour nous rendre à la rue des Granges, je passe par la Place Neuve, pour remonter par la Treille – arrivé devant la statue du général Dufour qui trône au milieu de la place – tu vois là sur son cheval, c’est mon ancêtre, mon arrière-arrière grand-père maternel.
– Voilà, c’est ici que j’habite, au 8 rue des Granges, je te ferai visiter un jour et je te raconterai l’histoire de ma famille. Au revoir, Blaise, à bientôt.
Je suis impressionné, la rue des Granges, tous les Genevois savent que c’est là qu’habitent les nantis, les grands bourgeois qui tirent les ficelles de la ville depuis des siècles.
Du coup, je crois que je ne vais pas poursuivre notre relation, il y a trop de distance sociale entre nous.
Retombe sur terre mec, et occupe-toi de tes affaires.
Les jours suivants, j’attends un appel de Cléo, mais rien ne vient. Elle doit être trop occupée par les préparatifs des funérailles de son père.
Je scrute la Tribune de Genève chaque jour, enfin je tombe sur l’annonce de la cérémonie prévue le lendemain à 14 heures à la cathédrale de St.Pierre. J’examine ma penderie, aucun habit foncé digne de ce nom pour un enterrement.
Pour un sur mesure, c’est râpé, trop tard, je ne me suis jamais soucié de mon habillement. Après un rapide shopping dans les rues Basses, un complet 3 pièces bleu foncé de qualité, acheté à la boutique Kenzo fait l’affaire, complété par une chemise blanche et cravate noire en soie et me voilà transformé en un mâle « honnête » banquier.
Une demi-heure avant la cérémonie, la place devant la cathédrale et déjà noire de monde en noir, lorsque le corbillard Mercedes des pompes funèbres Murith s’arrête devant les marches, suivi de 3 voitures recouvertes de couronnes et de fleurs.
Le cercueil est sorti du fourgon funéraire, porté par 4 hommes, accompagné par la famille du défunt qui rentre lentement dans l’église au son du Requiem de Mozart.
J’aperçois Cléo au côté de sa mère et de sa sœur.
J’emboîte le pas et me place dans la travée juste derrière Cléo.
L’assemblée écoute avec recueillement l’éloge du pasteur Babel, suivie par l’homélie pour les funérailles de Monsieur Gérard Martin.
Je fixe mon attention avec intensité sur le dos de Cléo, qui après quelques minutes se retourne discrètement et m’aperçoit, la surprise se lit sur son visage. Je lui fais un léger signe de reconnaissance de la tête.
La cérémonie se prolonge durant plus d’une heure. Plusieurs centaines de personnes défilent près du cercueil pour rendre hommage au défunt.
Enfin le cortège repart dans le sens inverse, les couronnes sont accrochées sur les voitures et le convoi se met en marche au pas.
J’attends sur les marches, le passage de Cléo, lorsqu’elle parvient à ma hauteur, je la saisis par le bras...
– Bonjour Cléo, mes sincères condoléances. Excuse mon ingérence, je voulais juste être près de toi dans cette ultime épreuve.
Je l’embrasse rapidement sur la joue. Au revoir.
– Blaise, attends… merci de ta présence, si tu veux, je t’invite au buffet qui sera donné à la rue des Granges vers 16 heures. Tiens, c’est une carte pour rentrer, il faut la présenter au portier qui filtre les invités.
Maintenant je vais au cimetière de Cologny, à toute à l’heure, viens je compte sur ta présence.
– D’accord, je viendrai, pour toi !
En attendant, retour aux sources, je vais boire un verre au « Roi Ubu » anciennement Estaminet de Saint Germain rempli de mes souvenirs de jeunesse.
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